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 Petites chroniques familiales


Summary

1 - Le 17 février 1772 Sur les bords de la Sèvre Nantaise

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Comme à l’accoutumée Perrine s’est levée à l’aube. Dans la cheminée noircie par le temps elle ranime les braises sous la marmite pour réchauffer le fond du brouet d’hier soir. Sa cadette sort aussi de son sommeil et elles rempliront le creux de leur estomac avec ce reste de soupe. A l’étable contiguë les bêtes s’impatientent. Une génisse trois juments dont la jeune noiraude et deux vaches attendent leur pitance. Il faut traire l’une d’entre elles avant que son veau ne maltraite les mamelles de sa mère.

Dans le grand lit clos les derniers enfants de Joachim poursuivent leurs rêves. Il y a François, Jean, Marie-Jeanne et Françoise la dernière de trois ans. Sept enfants c’est la grande richesse que lui a laissé son défunt mari. Les deux premiers Joachim et René sont placés comme domestique. Leurs modestes gains servent à soulager Perrine de deux bouches à nourrir. La disparition du meunier chef de famille a rendu difficile la survie d’une famille certes nombreuse mais assez prospère.

Perrine essaie de chasser de sa mémoire ce triste mois de 1770. Début novembre on surveillait inquiet la montée des eaux de la Sèvre. La grande crue de décembre sera catastrophique pour bon nombre de riverains. Prévoyant le débordement des eaux sur la vieille chaussée romaine Joachim Moquard était parti pour une tournée de ces débiteurs et créanciers. Las la mort le prit au bourg du Longeron. Le 18 novembre, dans le petit cimetière par un matin gris et pluvieux elle disait adieu à son compagnon.

D'autres souvenirs se bousculent dans sa tête; leur installation à la saint Georges de la même année à la Roche après avoir quitté Gallard, l'accueil du père Mathurin Bourasseau l'autre meunier du moulin. Et puis le père Bourasseau lui aussi, a rendu l'âme en février 1771. Jean Guérin a pris sa succession. Et les deux chefs de famille se sont attachés à tirer le meilleur parti du moulin aux trois paires de meules du Pinail pour moudre seigle et froment.

La tête contre le flanc de sa vache, Perrine monologue tandis que le jet de lait bruisse dans le seau. L’autre Perrine sa fille, habile, aère les litières avec la vieille fourche édentée. Petit plaisir, elles goûteront toutes deux au breuvage encore tout chaud. Dehors l’air est vif. Elles ont un regard toujours un peu angoissé vers cette rivière qui donne vie au moulin mais qui parfois devient impétueuse, détruit tout sur son passage et laisse des souvenirs de désolation et tristesse.

A l’intérieur, derrière les rideaux verts on s’agite et pleurniche. Une bouillie de seigle calmera Françoise. Un bol de caillé et un quignon de pain de la même farine calleront les joues des trois autres. Chamailleries, hurlements, ambiance garantie ! Mais l’heure n’est pas à l’attendrissement. A 9 heures Perrine reçoit des personnalités. La marmite a été récurée remplie d’eau et raccrochée à sa crémaillère. Les bûches crépitent et leurs flammes lancent des formes fantomatiques sur le mur de la cheminée.

En décembre dernier Perrine a accepté la demande en mariage de Joseph Durand le domestique du Moulin Guérin et fin janvier ils ont passé contrat devant les notaires de Tiffauges pour préserver les droits des enfants en particulier. Aujourd’hui Maîtres Trastour et Douillard sont attendus pour l’inventaire de la communauté qui unissait Perrine et son premier époux défunt. Doivent également venir parents et experts pour fixer le prix des biens inventoriés et apprécier les dettes actives et passives.

La jeune jument s’agite à l’étable et en haut de la côte qui mène au moulin s’approchent en devisant les hommes de lois, cavaliers bottés l’étui à dague à la ceinture et sacoche de cuir en croupe. Les suivent Bordron Pierre sur son cheval de labour du Petit Douet, Pierre Fontanit du moulin de la Nallière sur sa mule tous deux de la paroisse des Landes Génusson. Coutand du Bourg, Poirier de la Lardière et Murzeau du Bois Corbeau sont déjà là Leurs sabots s’alignent sur le pas de la porte d’entrée.

La meute des marmots est expulsée de la grande pièce. L’adolescente de son vieux chiffon époussette une dernière fois la grande table replace les bancs et Perrine reçoit avec déférence ses visiteurs de marque. C’est maître Douillard qui s’attable, sort de sa mallette écritoire, fiole d’encre, plume d’oie, papier tamponné, cérémonial qui captive les présents ne sachant ni lire ni écrire. Maître Trastour se charge de l’inventaire Louis Poirier et Jean Murzeau désignés experts jurés fixeront les estimations de prix.

« Un lit garni composé d’une couette, deux traversins, couverture et rideaux verts » tonne le notaire. Poirier et Murzeau, inspectent, retournent se concertent ; 116 livres annoncent-ils. Recroquevillée près de la cheminée Perrine écoute. 116 livres est-ce bien le prix de tant de moments heureux ou douloureux d’une vie de couple ? Les étreintes, les enfantements ? « Une mauvaise armoire de différents bois fermant à clef » « 9 livres ! ». Celle où elle a déposé son trousseau en prenant possession des lieux…

La litanie continue. Une armoire à trois battants ; 21 livres, achetée avec les premières économies du couple. Une poêle à frire aux trois quarts usée ; 30 sols, dérisoire ! Sept chaudrons de cuivre et de fer, un pocton, une cuillère ; le tout pour 51 livres, c’est dans l’un des chaudrons de cuivre que Joachim aimait à faire son fromage. Encore des meubles des ustensiles des vêtements du linge… Et ces deux mauvais fusils estimés à 8 livres seraient-ils encore capables de toucher le lièvre ou le perdreau à dix pas ?

Le soleil est au zénith, les estomacs crient famine. On pousse l’écritoire et ses accessoires. Dans sa vaisselle en étain Perrine sert la soupe de pain trempé où nagent quelques légumes secs. Elle en a amélioré la saveur en y faisant cuire le morceau de lard tiré du charnier, le plat de résistance. Là encore les prix résonnent dans sa tête ; 8 livres pour ses deux charniers ! Sans savoir lire et écrire elle connaît le prix des choses. Un vieux fromage et le pichet de vin aigrelet pris au grenier clôtureront les agapes.

L’enquête se poursuit à l’étable. Il y a là les biens les plus précieux de Perrine ; ses bêtes. Deux vaches, un veau, une tore (génisse) de deux ans à poil roux, trois juments dont une pouliche de trois ans un peu énervée par la présence au dehors des chevaux des visiteurs. Les experts flattent, palpent, comptent les dents dans la bouche des juments agacées. On souffle, Fontanit s’amuse même un instant du veau prompt à prendre ses doigts pour des pis. Et l’on rejoint maître Douillard et son écritoire.

Va pour 45 livres pour la bête au pelage roux. Pour la vache rougeâtre ; 50 livres. Pour Murzeau, la vache et son veau ne valent pas plus de 45 livres ; on acquiesce. Pour les deux juments sans âge au poil rouge on est d’accord pour 36 et 30 livres. Pour la jeune pouliche à la robe noire, pas d’hésitation elle vaut bien ses 105 livres. On allait oublier la réserve de foin, elle est estimée à 20 livres. Ce petit cheptel représente un capital sur pattes pour Perrine de plus de 300 livres.

On en terminera avant le crépuscule par l’inspection du moulin à eau. Dans la pièce habitable tout un bric-à-brac s’offre à la vue des visiteurs dont un mauvais lit avec sa couette et son traversin estimé à 15 livres. Fontanit connaît la contine « Meunier tu dors » qui s’applique plus à son moulin en bois et à vent. Un emballement du moulin peut créer des étincelles entre les meules de grés et provoquer des incendies. Le meunier doit être vigilant. Une cloche le rappelle à l’ordre faute de grains à moudre ou en cas de sieste prolongée !

C’est la saison morte pour la meunière. Il reste cependant quelques boisseaux de froment et de différents grains qu’on évalue à une vingtaine de livres. Les experts ne donne pas 40 livres des meubles et outils trouvés. Même l’épervier qui sert à quelques pêches hasardeuses ne vaut pas plus de 5 livres. L’objet est usuel en bord de Sèvre encore faut-il s’acquitter du droit. Lorsque le curé est de passage le jour de carême il ne dédaigne ni le brochet cuit sous la cendre ni même la friture de gougeons.

Enfin on accède au mécanisme du moulin à seigle, pour l’estimation c’est le domaine de Fontanit ; après examen il annonce 252 livres et quelques broutilles pour les accessoires. Maître Douillard entérine prend note et la nuit s’approchant décide d’arrêter son procès-verbal en ce 17 février 1772 en reportant au 29 février la clôture de l’inventaire. Il invite les participants à signer ce qu’ils ne savent sauf Pierre Bordron qui s’applique. Rien à voir avec les signatures à fioritures des deux notaires !

Une pincée de poudre pour sécher l’encre et l’on ferme écritoire et mallette. Ces messieurs de Tiffauges réajustent perruque et tricorne, d’un coup de rein sur le montoir enfourchent leur monture et disparaissent dans la pénombre. Pour la tribu des gamins et gamines c’est la fin des interdictions et ils fêtent bruyamment le départ des autres visiteurs et de l’oncle Bordron. Il reste pour Perrine après cette journée éprouvante à faire la soupe du soir et à mettre sa nichée sous les couettes.

Le 29 février les notaires sont de retour. Il reste à établir l’état des dettes actives et passives du ménage après le décès de l’époux Moquard. Jacques Coutand du bourg du Longeron, cousin par alliance des enfants orphelins, veillera sur leurs intérêts. Et c’est sur sa mémoire et les doigts de ses mains que Perrine doit compter pour l’énoncé de ses débiteurs et créanciers. Il lui faut pas moins de 3 fois ses dix doigts pour faire le compte de ses débiteurs qui demeurent pour la plupart dans un rayon d’une lieue.

Pour certains la somme est importante. Rineau de La Grange lui doit 49 livres déduction faite de 15 livres pour un quartier de cochon. Guimbretière aussi de la Grange ; 51 livres 7 sols, Ménard du Petit Goulet ; 76 livres 7 sols, Poirier du Grand Goulet ; 33 livres, Gourdon le jeune ; 40 livres 10 sols, La veuve de Mathurin Bodin du bourg ; 42 livres 15 sols, Jacques Poirier le charpentier du bourg ; 66 livres 6 sols, Mathurin Lemerle des Guilteries 66 livres 6 sols, au total quelques 195 livres.

Et puis Maître Douillard fait rouler sur la table le contenu de la bourse que Perrine cache au fond de l’armoire fermée à clef. C’est François devenu téméraire qui bloque la course d’un écu d’argent volage de six livres. Le notaire aligne les pièces ; quelques autres écus disparates à l’effigie du roi le bien aimé et une poignée de liards en cuivre de trois deniers à l’effigie du Roi soleil. Comptés et recomptés le notaire inscrit 45 livres sur son registre de papier du moulin Chauvin.

Quant aux dettes de la communauté il y en a pour 327 livres 10 sols et 6 deniers dont 42 livres au charpentier Boussion et 59 livres au maréchal Pallard pour travaux et fournitures sur le moulin, 80 livres de fermage pour le moulin et la borderie de la Roche à Bahuaud de la paroisse de Monnières, 34 livres à François Bodin pour ses gages de 8 mois, aussi les frais de funérailles du défunt mari et autres arrérages ou rente en nature comme celle en bled à Pierre Baudry ou en seigle à la fabrique de Tiffauges.

On en termine avec les additions et soustractions et Perrine peut se faire une idée de la fortune de sa maisonnée annoncée par les notaires, elle s’élève à 1.595 livres. Après la formule « ont déclaré ne savoir signer » les notaires apposent leur signature au bas du document d’inventaire. Avant de remonter en selle pour d’autres procédures ils ne refuseront pas la pinte de vin de Perrine. De ce vin qu’elle a commandé au sieur Pierre Simmoneau du Longeron pour 7 livres et dont elle est encore redevable.

Demain dimanche, Perrine emmènera ses enfants revêtus de leurs oripeaux les moins usés à la messe dominicale. Elle écoutera avec ferveur le prêche du curé approuvé par les hochements de tête du vicaire Rullier. Si les plus grands écoutent béatement le vieux prêtre, les petits ont plutôt des fourmis dans les jambes. Puis la famille passera par le petit cimetière pour une prière sur la tombe du mari. La maison retrouvée, il suffira d’un souffle sur les braises endormies pour réchauffer la maisonnée.

Le lundi 2 mars 1772 Perrine et Joseph convoleront devant le curé Delacoudre. Le grand fils Joachim apposera fièrement sa signature au bas de l’acte de mariage à côté de celle du prêtre. Au moulin les enfants feront la haie d’honneur au nouveau papa qui se sera acquitté de ses engagements pécuniaires en remplissant la bourse de Perrine de ses 300 livres d’économie. Fin 1772 une petite Jeanne verra le jour.Dans la tourmente des années quatre vingt dix elle donnera naissance à François au moulin de La Roche.

Documentations: Archives Départementales de Vendée.
Inspiration: Jean Blandin.

2 - Le 31 Mai 1785 Dans le Pas de Calais

Le 31 mai 1785 à Saint Omer dans le Pas de Calais, Antoine Huc dit Alibert, épouse Marie Louise Joseph WALLART. A la surprise du généalogiste en herbe que j'étais, l'époux est dit natif du Travet dans la Tarn ! Depuis le mystère s'est un peu éclairci avec une recherche au SHAT de Vincennes et à la lecture d'un extrait du livre du général Susane sur l'histoire de l'infanterie.

Quelque part dans le sud-ouest Antoine rencontre le régiment de Vivarais qui remonte vers le nord. Le 1er août 1776 il s'engage dans ce régiment et fait connaissance avec la bonne ville de Saint Omer en novembre 1776. En juillet 1778 il cantonne dans le secteur de Air sur la Lys - Saint Venant. En novembre 1778 il est à Hunningue. Après une longue marche il est à Valence et Montdauphin en juillet 1779 puis à Montpellier en mai 1780. Et c'est à nouveau une longue traversée de la France pour arriver à Douai en novembre 1781. En octobre 1783 il est à Calais où il obtient son congé du régiment le 1er août 1784.

Garde-t-il un bon souvenir de Saint Omer? Il y retourne et y fait souche en 1785.

En 1786 le Régiment de Vivarais quitte Calais pour Béthune. Son séjour se prolonge dans cette petite ville et établit, paraît-il, entre les habitants (les habitantes?) et les soldats des relations trop intimes! Le 26 janvier 1790, à 3 heures du matin, Vivarais reçoit l'ordre de partir le même jour pour Lens. Il se met en route à midi, mais à quelque distance de la ville, la plus forte partie du régiment fait demi tour avec les drapeaux et retourne à Béthune. Après quelques temps de liesse on convint d'oublier l'incident et le gros de la troupe rejoignit ses camarades du coté de Verdun.

Le soir du 1er août 1784, dans une taverne de Calais on fête le départ des anciens du régiment de Vivarais. Antoine est du nombre. On vide les chopes de bière fraîche du brasseur ou encore ces pichets de piquette de Guyenne (pardon messieurs les bordelais) qui arrive par tonneaux dans le port. Au petit matin la tête est un peu vide et le pécule amaigri. Antoine s'engage sur le chemin de hallage du canal de Saint Omer. Il compte retrouver cette petite ville de garnison entourée de ses brumes matinales au miroir d'eau tranquille où glissent noires furtives et silencieuses les escutes et les bacôves des maraichers et des tourbiers.

Une balade de Calais à Saint Omer ? une quarantaine de Km dans la journée ne font pas peur à un ancien soldat de sa majesté. Mais il a peut-être pris son temps. Il est possible qu'il ait trainé du coté de Ruminghem et passé l'Aa au Ruth histoire de voir ces faiseurs de Bacôves de Watten. Au passage a-t-il eu l'idée de faire un petit salut au meunier de Besselake, de profiter de son hospitalité ? S’est-il aventuré sur le petit bout de voie romaine de Saint Omer à Wisques ? Le ciel sera son maître. Entre deux nuées orageuses l’essentiel est d’arriver à bon port.

Avec le reste de son pécule Antoine s'est acheté un tablier de cuir, un tchucho comme dit son compagnon de Picardie, deux peignes d'acier aux longues dents et un pot en terre pour le beurre. Dans l'ouvroir où il s'emploie le brûlot rougeoie des braises du charbon de bois. Il y réchauffe son peigne à détouiller les flocons de laine qu'il a préalablement enduit de beurre rance. Il lui faudra bien fabriquer une vingtaine de Kg de paumelles de laine par semaine pour gagner sa vie. Ce métier de peigneur de laine, il l’a appris près de son père, tisserand dans son lointain pays du Tarn. Il se fera des amis chez son maître, notamment un certain x x. Il a bientôt 30 ans il faut aussi songer à fonder une famille.

Les filles du marais sont joyeuses et bien tournées dit-on, il y a les brunes ibériques et les blondes vikings, un brassage de peuples avec toutes ces guerres et la dernière de sept ans. Il choisira la fille du laineux Jean Baptiste WALLART probablement genre viking si j'en juge par la descendante qui m'est proche. On se plait, le papa de la belle n'est pas contre, on court chez le curé DELERUE de l'église Saint Martin. C'est un intransigeant; pas de consentement du père du futur, pas de mariage! Il faut s'y résoudre, il faut retourner au pays natal. Antoine emmènera son ami DUBOIS, il est instruit, il sait signer son nom, il l'aidera dans sa démarche. Et puis seul sur les grands chemins ça ne serait pas sûr.

Mais on fait partie de ce petit peuple des "sans droits" où la livre n'est pas monnaie courante. Oublié les diligences, les montures, on empruntera la route des chemineaux, on louera sa peine et ses bras sur le parcours pour un bol de soupe, une grange où dormir. Antoine connait les distances, une soixantaine de jours devrait conduire à bon port. On partira avant les grands froids car le dur hiver 1783/1784 a laissé des traces dans les esprits. On hivernera en Albigeois. Au printemps prochain on sera de retour avec le fameux consentement sur papier des notaires royaux d'Albi. Ainsi fut fait.

En partant, du coté de la capitale nos deux amis croisent dans le ciel de drôles d'engins, des idées saugrenues de Mr de Montgolfier leurs dit-on. Près de Versailles on leur conte que le Roi s'adonne à la serrurerie tandis que la Reine, insouciante, joue les bergères dans les jardins du Petit Trianon. Au retour on s'arrête à Saint Flour, Henry Louis l'homme des espaces plats s'étonne encore de ce pays de bosses. On bouclera l'aventure en échappant aux épidémies, aux brigands.

Le 31 mai 1785 Henry Louis DUBOIS appose fièrement sa signature au bas de l'acte de mariage de son ami et compagnon de route Antoine HUC.

3 - Le 23 Août 1802 Dans la Somme

Après la paix d'Amiens le 25 mars 1802 bon nombre d'Anglais visite notre pays et sa capitale curieux de l'état de la France après La Révolution. Pour se rendre à Paris ils empruntent la route de Calais-Paris par les vingt six relais de poste de cette voie. Sir John Dean fait le récit de son voyage en août 1802 dans un livre «journal of party of pleasure» intitulé en français «journal d'un voyage à Paris au mois d'août 1802» par son traducteur Paul Lacombe (ref.Gallica).

A Flers sur Noye près d'Amiens, en cette matinée caniculaire du lundi 23 août 1802,Jean François Bécot (on le surnomme «Gergon») remonte d'un pas lourd la grand route de son village vers la fraîcheur de l'auberge. A quarante six ans, ses repères brisés par la Révolution qui n'a pas changé sa vie de misère, il exploite quelques lopins de terre et fabrique quelques pièces de sayette pour nourrir sa famille. Après une maigre moisson, le voilà quelque peu désoeuvré sa ns coeur à l'ouvrage.

Au loin, à la sortie nord du village, les ailes du moulin sont immobiles faute de vent. Le meunier ne l'a t-il pas escroqué dans la transaction de ses boisseaux de grains? Une mauvaise pensée qu'il balaie. Et puis fallait-il faire encore preuve de suspicion devant la mine réjouie de maître Bellemère heureux père d'un garçon depuis peu après les deux filles que lui a déjà donné Scolastique Leroy?

Pourtant, en quatre vingt quinze on l'accusait volontiers de malhonnêteté. Le pain manquait son prix devenait exorbitant. Des révoltes enflammaient le pays. Sur la route de Lawarde, en avril, femmes et enfants désespérés avaient pillé une voiture de blé. Les femmes de François Décavé et de Jacques Leroy, la fille de François Delacroix, Pélagie Leroy et Pélagie Hardy avaient été arrêtées et conduites en prison à Montdidier.

L'évocation de la prison lui fait froid dans le dos. Celles d'Amiens; Bicêtre, les Capettes, la Providence, n'avaient pas bonne réputation sous la terreur en quatre vingt quatorze. Le châtelain du Bos, sa femme, ses enfants y avaient été enfermés de février à août. Toute la famille en était revenue saine et sauve. La vie avait repris au château. La fille ainée, sortie indemne du cauchemar de ses dix huit ans s'était mariée en janvier de cette année.

Jean François ne prête même plus d'attention à ces nombreux courriers qui encombrent la route de son village depuis la paix d'Amiens avec les Anglais. A l'approche du relais de poste, l'effervescence autour des écuries, le hennissement d es chevaux, les jurons des postillons, les gueulantes du maître des postes, les voyageurs au drôle d'accent, rien ne l'étonne. Tout un univers qui au gré des évènements lui apporte bonne ou mauvaise nouvelle.

Pourtant l'arrivée de deux attelages suscite son intérêt. C'est l'équipage de sir John Dean, deux voitures anglaises, une barouche et un coach. Comme l'impose le monopole des voies royales devenues voies républicaines chevaux et postillons sont français. Deux serviteurs, un homme et une femme descendent du premier véhicule et se précipitent vers les occupants du second, trois dames et deux jeunes hommes à l'allure aristocratique. Leurs tenues contrastent avec celles de tout ce monde de serviteurs du relais vêtus bien souvent d'oripeaux.

Dans l'auberge enfumée, à défaut de fraîcheur, on se protège des ardeurs du soleil. Jean François s'asseye à l'écart un pichet de piquette à la main. Il observe. Les voyageurs s'installent à la grande table. Après s'être inquiété du confort des dames, le jeune sir John Dean (il a 27 ans) ne cache pas sa déconvenue sur la restauration que lui propose l'aubergiste; des oeufs au lard et du pain rassis! Le vin est-il frais au moins? On fera avec. Jean François somnole bercé par le papotage incompréhensible des hôtes de la grande table.

Oublié le frugal repas, Ils devisent joyeux. Sans doute évoquent-ils leurs souvenirs parisiens, l'animation de la grande ville, ses potins. On a dit le premier consul de mauvaise humeur. Joséphine est allée aux eaux à Plombières, s'y trouvait également un jeune freluquet tentant de l'éblouir avec sa machine à vapeur qu'il fait naviguer sur la petite rivière de la cité. Est-ce la raison qui poussera le futur empereur à éconduire l'inventeur et ses projets?

A l'extérieur on s'affaire autour des voitures. On prépare les chevaux de l'étape d'Amiens. La chaleur et le vin aidant on vitupère. Les casaques rouges des postillons portent les traces de leurs libations et leurs bottes la poussière collée par la sueur de leur monture. Vers les cinq heures de l'après midi les équipages sont prêts, les postillons sur leur cheval de monte en tête des attelages. Sir John Dean règle ses comptes avec l'aubergiste et le maître des postes.

Le convoi s'éloigne sous un gros orage qui rafraîchit l'atmosphère. Jean François songeur sur sa condition, le galurin détrempé, regagne sa chaumière où l'attendent sa femme Marie Thérèse et ses enfants. A six lieux de là, quelque cent trente ans plus tard, par une chaude journée d'été, une jeune fille née sous le signe du Verseau et qui porte son nom, garde ses vaches dans les fonds d'un vallon de Picardie. Elle chasse sa peur de l'orage en rêvant au prince charmant; l'auteur des jours du rédacteur.

4 - La guerre de Georges Huc 1916-1919

Auchy la Montagne le 7 janvier 1916, la pluie fine et froide ne cesse de tomber depuis plusieurs jours. Les chemins aux ornières profondes regorgent d’eau boueuse. Georges un maigre baluchon sur l’épaule tente de les éviter pour rejoindre la gare de Crèvecoeur. Au matin, le grand gars aux yeux bleu gris, sans un mot, s’est courbé pour embrasser sa mère une dernière fois. Il a salué son père. Pauvres parents déjà endeuillés par la mort du cadet tué lors de la bataille de la Marne en septembre 1914.

Ce fut une bien triste semaine pour Georges. Profitant de l’inaction hivernale il a rendu visite à sa sœur Claire à Blicourt. Ils ont évoqué ceux du pays qui ne reviendront pas ; Paul Clabaut tombé en août 14 dans l’est, Le fils Achille Leroux, un conscrit de Claire tué en septembre 14 dans la Marne, Ils s’inquiettent d’Henri leur frère mobilisé dès le début de la guerre. Sur le retour il tressaille.La peur des jours à venir ? Sa dernière visite sera pour ses compagnons de travail, une tape sur l’encolure et des naseaux qui frémissent…

Car il sait parler à ces poids lourds des labours et des charrois. La conduite et l’entretien des chevaux c’est le métier qu’il s’est choisi. A dix neuf ans à peine il tient les rennes en douceur, sa parole est sobre. Il sourit à cette évocation. L’ardennaise à la robe rousse, c’était sa préférée. Il réajuste son sac qu’il a protégé de la pluie par une toile cirée. Sa mère y a mis une chemise un caleçon long et une flanelle de rechange. Du lard tiré du saloir, du pain et quelques oignons ont trouvé leur place dans un torchon.

Dans une boite en fer Caïffa il a pu caser son coupe-chou, son blaireau, sa mousse, sa provision de tabac et de quoi écrire. Ecrire ? A part une ou deux cartes timbrées à cinq centimes pour l’annonce laconique de sa visite à son frère aîné Henri ou à sa sœur, il y a bien longtemps qu’il ne s’y est exercé. Mais il faudra bien tenir ses parents au courant de son devenir ou peut-être solliciter un mandat quand les poches seront vides. La pluie qui continue de tomber ne couvre pas le brouhaha à l’approche de la gare.

Crèvecoeur est une base arrière du front de la Somme. On y trouve une formation sanitaire ; l’ambulance 6/14, un camp de « remise en forme » et d’instruction, un champ d’atterrissage qui à l’époque héberge l’escadrille 32. Régiments d’artillerie et d’infanterie y séjournent entre deux périodes sur la ligne de feu. En gare, sur la voie ferrée stratégique Beauvais Amiens, de jour comme de nuit passent des trains d’armes et de militaires tractés par des locomotives à vapeur parfois poussives.

Le café du Chalet, enfumé, est plein à craquer de militaires et aussi de civils qui comme lui mobilisés attendent leur train. Autour d’un vin chaud ou d’un café arrosé d’une bistouille on se montre son billet de transport. Pour Georges destination le 29ème régiment d’artillerie caserne Frébault à Lorient. Sur la carte de France de l’école M. Mayeux l’instituteur lui a montré cette ville là-bas en Bretagne. Un long voyage l’attend qui pour l’heure l’éloignera des zones engluées dans une guerre de position meurtrière.

Georges avait été témoin de la « guerre pour rire » joyeuse de septembre 1910, des manœuvres des artilleurs et des fantassins dans les plaines à peines libérées de leur culture. Il avait vu le ciel se peupler de drôles d’engins. Les aéroplanes Forman, Bréguet et d’autres, pilotés par des fous volants qui avaient joué les acrobates sous ses yeux ébahis. Le dirigeable « Clément-Bayard » avait paradé au dessus d’une foule d’officiers étrangers plantés devant la mairie de Crèvecoeur. On y avait même remarqué la présence d’un casque à pointe.

La déconvenue sanglante d’août 1914 avait broyé l’enthousiasme passé. Amiens avait été occupé un temps par l’armée allemande. On maintenait à grand renfort de territoriaux la protection de la ligne de chemin de fer Beauvais Croissy-sur-Celle pour l’approvisionnement des unités au contact de l’ennemi. Le bruit des canons et les bandes de hulhans qui s’aventuraient dans les plaines de Picardie faisaient trembler la population d’Auchy. Et puis il y eut le drame là-bas dans la Marne : la mort de son frère Maurice.

Le train pour Beauvais est annoncé, le troquet se vide. Sur la place de la gare le cochet de l’hôtel Soufflard attend ses clients. Le pont roulant actif, en grinçant, charge et décharge ses billes de bois. Combien de ces grumes a-t-on transformé en poutres de tranchées en planches à cercueils ? Sur le quai, sous la grosse pendule, à l’abri de la marquise on s’agite dans un flot de paroles d’où s’échappent parfois les pleurs étouffés d’une femme étreignant une dernière fois son homme sur le départ.

A Beauvais, après avoir abandonné le tortillard, c’est un train de Militaires qui emmène Georges vers la capitale. Puis c’est le transfert à pieds de la gare du nord à la gare Montparnasse, quelques six kilomètres par les Boulevards Sébastopol, Saint Michel et Montparnasse. Si ce n’étaient le froid, la pluie et les invectives des gardes qui les encadrent Georges et ses compagnons auraient sûrement apprécié cette promenade au cœur de Paris qu’ils voyaient, pour beaucoup d’entre eux, pour la première fois.

Montparnasse, les anciens du quartier se souviennent de cette locomotive tombée dans la rue de Rennes, une lointaine époque que Georges n’a pas connue. Aujourd’hui c’est l’effervescence dans la grande gare. L’atmosphère y est moins pesante que dans les gares du nord et de l’est où débarquent des milliers de poilus malades ou blessés et où s’embarquent ceux qui retournent au front la mine grise. Ici ce sont des adolescents d’à peine dix neuf ans qui partent pour l’ouest faire leurs classes.

Pour beaucoup, la jeunesse et aussi l’ivresse donnent lieu à une euphorie débridée. On braille, on se défoule, on barbouille à la craie les wagons de graffiti : « Vive la classe 1917 » « A bas les boches » « Vive la France » ou encore moins patriotiques « Mort aux vaches ». D’autres comme Georges déjà endeuillés par cette maudite guerre regardent avec indifférence cette exubérance excessive. Les gardes et les agents des chemins de fer ont bien du mal à fermer les portes des voitures et à faire partir les trains.

Dans un nuage de vapeur et une nuée d’escarbilles le convoi de Georges s’ébranle. Dans l’inconfort des bancs de bois avec les arrêts et les incidents c’est plus de douze heures qu’il faudra pour rejoindre Lorient. En gare les nouvelles recrues sont attendues par une escouade militaire de la caserne Frébault et des groupes sont formés par affectation. Frébault héberge plusieurs régiments dont le 29ème RAC qui a mis son drapeau son dépôt et ses jeunes recrues à l’abri dans le Morbihan depuis l’occupation allemande de Laon.

Une courte traversée de la ville et c’est le rituel d’incorporation: visite médicale, habillement, distribution du paquetage et du mousqueton, attribution des lits dans d’immenses pièces servant à la fois de dortoir, de réfectoire et de lieu de repos. Quelques uns des appelés ne feront qu’un court séjour dans cet univers, renvoyés dans leur foyer pour des anomalies médicales non décelés lors du conseil de révision. Des instructions ministérielles ont été données pour ne pas garder notamment les hommes suspectés d’être porteurs de la tuberculose.

Pour Georges la vie militaire commence. On dit que sa classe sera mieux traitée que la 1916. Le ministre de la guerre, le général Gallieni, l’a promis lors de l’assemblée parlementaire du 30 novembre 1915. A la demande de la commission d’hygiène il aura droit dans sa chambrée à 17 m3 d’air et à trois chemises ! De plus pendant ce premier mois il sera « dorloté » la veille et le jour suivant des vaccinations. Il faut dire qu’après ces vaccinations notamment celle de la typhoïde on retrouvait bon nombre d’appelés à l’infirmerie.

L’Etat-major se donne cinq mois pour faire des nouvelles recrues de vaillants soldats. La presse locale vente l’impatience des jeunes à rejoindre leurs aînés sur le front. Discours à modérer en notant dans la même presse les déclarations journalières du conseil de guerre sur les insoumissions ou désertions. Dans un premier temps c’est l’apprentissage de la discipline, de la vie en communauté. Puis on passe à l’instruction ; la confection du paquetage, le maniement et l’entretien de son arme.

Enfin vient pour l’artilleur l’heure de faire connaissance avec le canon de sa batterie et son attelage. Georges Dans ce dernier domaine pense être à la hauteur. Mais au 29ème RAC on est encore un peu perturbé par l’incendie des écuries du 23 décembre dernier. Dans l’incendie deux chevaux ont été carbonisés les autres affolés se sont enfuis et dispersés dans la ville. Le maire de Lorient sera même blessé à la tête par l’un de ces canassons fous. C’est dire que ces bêtes sont restées craintives et difficiles à apprivoiser.

Si Georges a quelques connaissances des chevaux, la monte lui est pratiquement inconnue. L’apprentissage comme conducteur lui sera pénible. Outre le fait qui précède, après l’hécatombe de chevaux en 1914 l’armée s’est équipée en chevaux venus d’Amérique, des bêtes sauvages à peine dégrossies. Amener un attelage de six chevaux à tirer dans le même sens un ensemble canon caisson de près de 2000 Kg n’est pas une mince affaire, même avec deux ou trois conducteurs à cheval sur ces animaux.

L’arrivée de l’été 1916 après des mois d’instruction intensive donne à Georges quelques répits. Il y a toujours l’entretien quotidien des chevaux, les revues de détail et les manœuvres. Mais il y a aussi quelques moments de détente. Permission de jour accordée il joue les badauds dans les rues de Lorient. Comme pour beaucoup de ses camarades le cours de la Bôve est un lieu de promenade obligé. Les bancs publics vous tendent les bras, de bons postes d’observation sur l’animation de la ville.

On y voit évoluer la société civile, des hommes pas très jeunes, les jeunes sont au front ou dans les dépôts de l’arrière, des femmes du monde et aussi des soubrettes avec leur tablier blanc et leur drôle de coiffe en dentelle, des militaires évidemment, ceux de la marine, ceux de l’infanterie et ceux de l’artillerie. Il y en a d’ailleurs dont le comportement laisse à désirer. Comme par exemple ces deux canonniers du 29 ème, Joseph Arthur et Jean-Baptiste Pamard qui ont joué du couteau un soir de beuverie non loin de là.

Dans ces balades et à la lecture de la presse locale on peut aussi ressentir les humeurs des habitants de la ville. Le pain manque, des boulangeries ferment faute de farine. Puis c’est le sucre qui fait défaut. L’hiver ne s’est pas passé sans quelque manque d’approvisionnement en chauffage. La présence des réfugiés du Nord et de Belgique bien acceptée dans l’ensemble pose néanmoins des problèmes de ravitaillement et d’emplois. L’Arsenal est mis à contribution, mais ne peut absorber à lui seul cette main-d’œuvre.

Et puis il y a ces listes de tués ou disparus qui s’allongent sur le journal et frappe bon nombre de familles lorientaises. Chaque semaine en gare, des trains déversent leur contingent de blessés acheminés dans les hôpitaux provisoires. Dans cette ambiance morose le ministère des armées a annoncé des possibilités de permission de quinze jours pour les soldats du monde rural pour les fenaisons et les moissons. Un espoir pour Georges de revoir sa Picardie ? Rien n’est sûr, les chefs de dépôts trouvent toujours un prétexte pour refuser ces congés.

Un nouvel hiver passa par là. Notre militaire eut certainement le temps d’approfondir ses connaissances sur la ville. Ses déambulations sur les quais devant les voiliers de haute mer ou ces énormes bateaux à vapeur l’on-t-il fait rêver à des voyages lointains ? Etait-il impatient de revoir sa terre natale ? Comme beaucoup d’autres il a franchit la porte du photographe local. Une photo en pieds adressée à ses parents garde son souvenir. Mais on a besoin de lui sur le front. Le 13 mai 1917 il quitte le 29ème RAC.

Il faudra 3 jours à Georges pour rejoindre, comme canonnier conducteur, la 22ème batterie du 229ème Régiment d’artillerie cantonnée sur la commune de Bainville-aux-Miroirs en Meurthe et Moselle. Le 16 mai il débarque en gare de Bayon avec ses camarades affectés à la même batterie, les servants Gaillard, Fleurigaud, Feuilloley et Béon et les conducteurs Gambet, Hodièrne Louis et Auguste, Hébert Fernand et Robert. Il reste une bonne heure de marche pour le village dont on apperçoit de loin les ruines de son vieux château.

La 22ème batterie c’est quelques 200 hommes et autant de chevaux, 4 pièces de 75 et un échelon qui joue le rôle d’intendance ; caissons de munitions, voiture à foin, maréchalerie, infirmerie…Pour l’heure elle est au bivouac de Bainville depuis le 14 mai après avoir utilisé sa frappe entre Reims et Soissons. Sur les bords de la Moselle on soigne les maux des hommes et les plaies des chevaux. Du côté des attelages Georges et ses camarades sont les biens venus, les anciens espérant la relève et peut-être une permission.

Des anciens pas très bavards qui n’ont pas le moral. Après bientôt 3 ans de guerre des rumeurs courent sur l’offensive ratée d’avril du général Nivelle, véritable hécatombe pour l’infanterie. A 2 km du chemin des Dames les artilleurs impuissants ont vu l’anéantissement de bataillons entiers et les files interminables d’ambulances ramenant les rescapés blessés. Le 22 mai la batterie remonte vers le front. Elle bivouaque à Essey la Côte, à Fontenoy la Joute, à Reherrey. Le 3 juillet elle est au nord-est de Blémerey.

Le 13 août, pour Georges c’est le vrai baptême du feu. Le capitaine de la 22ème note sur son journal de marche « La batterie subit de 7h à 12h un violent bombardement ennemi, 800 coups environ de 105 et 120 tombent aux environs immédiats de la batterie. Le maréchal des logis Voisenat est tué, le MDL Pointron et le Maître pointeur très légèrement blessés, 2 canons hors service ». Apparemment ce jour là, il n’y a pas eu de dégâts à l’échelon peut-être en retrait des pièces de tir ou chanceux.

Le 27 août la batterie est relevée faute de puissance de feu. Le 30 elle est de retour à Bainville aux Miroirs. Le 17 septembre elle embarque en gare de Charmes pour Ligny en Barrois et le 21 l’échelon bivouaque au Champ de Gaille prés de Dugny sur Meuse. Une section de la batterie est installée au Ravin du bois en T. Dans les ravitaillements entre l’échelon et la section, Georges traverse les ruines de Charny et Bras. Un misérable cimetière à l’entrée du village de Bras aligne ses croix de bois.

La batterie est aux portes de ce qui fut l’une des batailles les plus meurtrières de cette guerre. En 1916, 300.000 hommes des deux armées disparurent dans une zone au nord de Verdun qui ne fut plus que ruines. Et si le front s’est stabilisé les attaques et contre-attaques se perpétuent. Le 23 octobre c’est un bombardement d’obus toxiques qui touche la batterie.Une dizaine d’hommes sont brûlés ou asphyxiés par l’ypérite. Les chevaux payent aussi leur tribu. Quant à Georges il s’en tire peut-être avec une légère brûlure des mains.

Le 11 novembre c’est la relève. On bivouaque à Chaumont sur Aire, le 12 à Ménil la Horgne. Le 23 Georges est affecté à une pièce comme servant. Il a quitté les attelages où les chevaux sont aussi maltraités que les hommes. Il en a vu des tués, des blessés qu’on achève et d’autres qui ont servi à l’amélioration de l’ordinaire, la roulante n’étant pas toujours approvisionnée en vivre. Le 27 novembre la batterie relève une batterie du 18ème RAC au nord du bois Fauche Feu Petit l’échelon positionné à Boncourt sur Meuse.

A peine installée la batterie subit un tir de l’ennemi, une casemate de pièce est percée par un obus de 150 sans trop de dommage. Premier janvier 1918, il neige en Meuse comme à Paris. En plus des bombardements, des gaz il faut se protéger du froid de la vermine et des rats et les hommes s’entassent dans des granges en ruine ou s’enterrent dans des gourbis sans nom. A quelques kilomètres de là dans les tranchées les fantassins pataugent dans un bourbier infecte leur vie suspendue au hasard d’une mitraille ou d’un nuage toxique.

A Paris, Pétain, Clemenceau, adressent leurs vœux aux glorieux combattants. Aux dires de ceux-ci rentrant de permission, les parisiens ont d’autres soucis. Ils pestent contre les restrictions, les tramways en panne ou ce centimètre de neige mal venu. Quant aux communiqués laconiques officiels ils donnent une idée réductrice des misères du front: « 31 décembre 14h, Action d’artillerie au nord ouest de Reims. Rencontres de patrouilles au nord du chemin des Dames et vers Bezonvaux. Nuit calme partout ailleurs ».

Le 24 février la batterie prend position au N.E. du bois Boucher avec toujours pour mission de frapper sur les lignes du saillant de Saint Mihiel qu’elle arrose de plus de 2000 obus fin avril. Elle en subit les répliques de l’artillerie allemande. Une bonne étoile veille sur Georges, il échappe aux éclats d’obus et au gaz. Le 25 mai la batterie est relevée et va cantonner à Saulx en Barrois. Entre temps elle a changé de nom, elle est devenue depuis le 1er mai la 42ème batterie du 41ème régiment d’artillerie coloniale.

C’est un peu la panique chez les généraux. Le 28 mai la batterie est embarquée à Saulx et débarque à la gare d’Artonges (02) et cantonne à Crézancy (02). Ce n’est ensuite pendant un mois et demi que des changements de cantonnements, elle se retrouve même à Orly dans le Val de Marne le 8 juillet. Il est vrai que depuis mars l’Allemagne a repris ses offensives, elle menace Paris et franchit le sud de la Marne. Le 18 juillet c’est la contre-offensive des alliés. La batterie de Georges est en face d’Oeuilly dans la Marne.

Elle a bien faillie être encerclées le 15 juillet dans l’offensive infernale des allemands qui ont traversé la Marne en plusieurs endroits. Dans la pluie et l’orage ce fut un enfer de feu, artillerie contre artillerie, infanterie contre infanterie et dans le ciel les bréguets déversant des tonnes de bombes sur les ponts provisoires des assaillants. Le 18 l’offensive est stoppée et l’ennemi commence à faire retraite. Le 28 à trois heures du matin Georges passe la Marne sur un pont de bateaux entre Port à Binson et Reuil.

Le 29 juillet la batterie suit de près la progression de la 7ème Division d’infanterie. A 10 heures elle se positionne à 800 mètres au sud du village de Violaine. L’infanterie s’est rendue maître du hameau de la Maquerelle et des villages de Violaine et Olisy, prochain objectif Romigny que la batterie arrose de ses obus. Mais la riposte des batteries allemandes est encore efficace. Le servant Georges à la manoeuvre est atteint par un éclat d’obus. Le maréchal des logis Mercier est aussi blessé. Ils sont évacués.

Georges ne verra rien de ce coin de Champagne comme on put le voir au printemps 2009 des chasseurs de mémoires. Pas une trace de combat Lorsque de la route de Romigny on domine la plaine et le vallon de Cuisles et Jonquery. A droite le bois de Cuisles à gauche les villages d’Olisy et Violaine plus loin le bois de la Cohette. Les champs verdissent et sur les coteaux la vigne s’éveille en cachant ses sarments sous les feuilles naissantes. Et là devant on aperçoit le hameau de la Maquerelle.

Qu’a-t-il de particulier ce hameau ? Il fut le théâtre de combats acharnés en 1918. Le 86ème régiment d’infanterie y fut submergé par une horde teutonique fin mai et y perdit bon nombre de ses poilus. Fin juillet le hameau était de nouveau aux mains des français. Et c’est en ce lieu qu’un collectionneur a rassemblé durant toute sa vie les vestiges de cette guerre trouvés dans les environs. Le musée de la Marne de Jean Gréten méritait le détour. Sa disparition en juin 2012 prive les amateurs d’un conteur intarissable et passionné.

Après un séjour dans les hôpitaux de l’arrière, Georges rejoint sa batterie le 28 septembre. Elle est en position à Fleury devant Douaumont, le 26 octobre elle est au ravin de la Dame puis elle revient à Fleury, mornes horizons depuis 1916. Le 11 novembre au matin le canon tonne encore, mais la rumeur s’amplifie, on parle d’armistice. A onze heures c’est à Emile Godin tout juste sorti de l’infirmerie qu’il échoit de sonner le cessez le feu pour la batterie. Une clameur de délivrance s’élève de l’immense cimetière de Verdun.

Pour tous ces poilus exténués, ce n’est pas pour autant le retour au pays. L’accord d’armistice prévoit l’occupation des territoires allemands sur le Rhin. Et en un mois et demi c’est un parcours de quelques six cents kilomètres qui attend la 42ème batterie. Pour Georges, sous la pluie, la neige et le froid ce sont des heures et des heures de cheminement sur un avant train de caisson d’obus. Sa blessure à la cuisse est douloureuse et les roues de l’avant train ne sont pas sur ressorts. Il se console en pensant qu’il est vivant.

Le 27 novembre la batterie entre en Lorraine annexée. Dans Château Salins l’accueil enthousiaste des premiers jours réservé aux troupes françaises en particulier au 1er régiment de la Légion étrangère est un peu retombé. Rue Dufays quelques maisons bourgeoises appartenant à des familles d’origine allemande restent closes et il est bien difficile d’obtenir des gamins qui courent autour des attelages quelques mots de français. On cantonne près de Hampont, typique avec sa grande rue bordée de larges usoirs.

Ce village évoque de tristes souvenirs aux habitants de Lunéville et Nancy. De 1916 à 1917 sa forêt abritait un canon à longue portée qui fit de nombreux dégâts. En février 1917 artillerie et aviation mettent un terme aux agissements du « gros Max ». Le 1er décembre la batterie entre en Sarre et va bivouaquer à Felsberg. Précédée par des éléments du train et de l’infanterie qui organisent l’administration militaire du territoire la batterie traverse des villes et villages qui ont étonnamment passé la guerre sans désastres.

C’est sans doute dans l’esprit de la population que règne le désastre. Si la fin des hostilités est un soulagement, pour beaucoup, comme du coté français, ce sont la perte d’un fils, d’un mari, qui endeuille les familles. Il y a aussi les innombrables blessés, les restrictions, l’humiliation de la défaite et de l’occupation. Par étapes presque journalières d’une trentaine de kilomètres la batterie vagabonde. Le 29 décembre elle est à Dietersheim. De là elle suivra la rive gauche du Rhin jusqu’à l’embouchure de la Lahn.

Georges n’en croit ni ses yeux ni ses oreilles ; après les bombardements les tirs du 75 qui l’ont rendu à moitié sourd et les visions d’horreur des derniers mois, quel étrange voyage ! Le Rhin puissant roule ses eaux vers le nord entre deux rives larges ou escarpées. Dans la brume on devine les coteaux de vigne et les roches saillantes où se perchent des ruines de châteaux fantomatiques. On ménage les montures, le roulement des chariots et le martèlement feutré des sabots se mêle au clapotis des vagues laissées par les bateaux à aubes.

Un peu avant Saint Goar les officiers qui mènent le train sur leur destrier devisent peut être sur le romantisme de l’endroit évoquant le poème « la Loreley » du regretté Apollinaire décédé de ses blessures le 9 novembre 1918. Dans leur jeunesse Goethe, Heine, Gérard de Nerval les ont-ils inspiré ? Pour Georges et ses compagnons près du rocher de la Lorelei ce n’est pas une sirène au cheveux d’or qu’ils s’inquiètent de voir mais plutôt une hordes de Hulhans dévalant la colline sabre au clair ignorant l’armistice !

Le 3 janvier 1919 la batterie traverse le Rhin à Coblence et cantonne à Niederlahstein, le 4 elle s’installe près de Gemmerich en attendant la dissolution du régiment. Georges quitte sa batterie le 17 janvier et embarque probablement à la gare d’Ober Lanstein pour Lunéville. Après quelques affectations il passe au 29ème régiment d’artillerie de campagne portée le 25 juillet 1919. Il est démobilisé le 5 septembre 1919 par le dépôt démobilisateur du 17ème régiment d’artillerie d’Abbeville.

Le train roule vers Amiens fenêtres ouverte ; on annonce plus de 30° à Paris pour la semaine prochaine. Le tortillard pour Crèvecoeur est toujours aussi poussif mais Georges le trouve sympathique. Il trouvera bien une carriole pour remonter à Auchy la Montagne. Sa mère l'attend sûrement sur le pas de sa porte. Il sifflote… Sa blessure le démange. Bon sang ! Un si beau jour ! Pas moyen d’oublier ! Il pense à son frère, à ses camarades perdus, à ce jour de juillet au nord de la Marne, à ce papier au fonds de sa musette…

« Citation à l’ordre du 41ème régiment d’artillerie coloniale N° 113 du 11 octobre 1918. Servant brave et courageux qui au milieu d’un bombardement de sa batterie a assuré le service de sa pièce avec un calme et un sang froid remarquable jusqu’au moment où il fut sérieusement blessé. A droit au port de la croix de guerre avec étoile de bronze. »

Il n’en tire pas fierté, en parlera peu, laissant sa descendance dans l’ignorance de son passé glorieux.

5 - Mortagne sur Sèvre d'antan

La mélodie du passé déroule ses mesures surannées dans tous les coins de cette petite ville où les siècles disparus ont laissé de nombreuses empreintes.

Des vieilles rues, une vieille chapelle, un trés vieux portail avec ses scultures indéchiffrables, un non moins vieux château dont les pans restés debout attestent l'ancienne importance.

Malheureusement la pioche du démolisseur est passée par là et il ne reste, en bon état de conservation, que deux étages de la grosse Tour dont certains recoins servent hélas ! à des usages auxquels ils n'étaient point destinés.

Du sommet la vue embrasse un panorama attachant. A droite, le boug d'Evrunes s'estompe dans la verdure; à gauche, Mortagne étage la diversité de ses toits; en bas; la Sèvre souligne de noir la route fauve et, en face, une luxuriante végétation galope sur la croupe des coteaux.

Et dans ce calme on n'entend que le cris des enfants qui lancent un cerf-volant et le rythme cadencé du battoir des lavandières.

Cette grosse tour est montrueuse et lorsqu'on passe à ses pieds, protégés par un contrefort formant un angle de pierre absolument indestructible, on est saisi, non de frayeur, mais de respect.

En suivant le chemin longeant un mur d'enceinte on a sous les yeux la masse imposante de la muraille du Château défendue par des fortifications hémisphériques.

En descendant la rue du Château on trouve, à gauche, une place plantée d'arbres d'où part un sentier garni de marches qui mène à l'entrée des ruines et à la rivière.

Par la rue Saint Jacques on atteint la rue Nationale au bas de laquelle se dresse le Calvaire aspectant sur la rivière.

Le spectacle, bien que différent, n'en est pas moins agréable. Les ruines se montrent sous un jour qui les change complètement. Par places l"ombre tombe sur les coteaux. Le peuple des oiseaux s'égosille, la brise clangore, puis tout se tait. Dans ce calme complet l'âme se laisse aller à toutes les sensations qui l'accaparent et la bercent en de réconfortantes apaisances.

Par la route de Nantes l'oeil suit la montée des coteaux dont les champs sont divisés par des murs élevés avec des pierres provenant certainement des anciens remparts. A gauche, ces remparts existent encore, mangés d'un lierre vivace. La rue de la Sicoterie mérite qu'on s'y attarde. C'est une ruelle bordée de maisons fort anciennes et qui file entre deux murailles de soutènement d'où l'on jouit d'une superbe vue des ruines. Par ci, par là du haut des maisons il y a d'assez pittoresques dévallements de marches. Et partout des sentiers vont et viennent, enlacent les arbres déjà rouillés, s'enfoncent dans de jolis coins sombres, descendent et se baignent dans les luzernes ou montent le long de coteaux rocheux couronnés de champs en friche où se multiplient, comme des échos de luisances, les ors variés des soleils couchés.

Je n'ai aperçu aucune figure sémite rue de la juiverie. Dans la tranquille rue des Tanneries, pas d'établissements où l'on travaille les peaux. Rue des Etangs, les métiers des tisseurs font tout le jour un bruit assourdissant de castagnettes qu'accompagne là-bas le ronflement des tissages mécaniques et, tout près, le glissement des courroies actionnant les cylindres d'une minoterie.

Chez nous - notes de voyage - d'Auguste Barrau 1904 - Gallica

Comment mieux décrire l'environnement de la belle Marie Lefort et de son amoureux Gustave Blandin!

6 - Mortagne sur sèvre le 22 mai 2012

Mardi 22 mai 2012, de la fenêtre de notre chambre je ne me lasse pas de regarder cette Sèvre qui coule lentement et d’écouter le chuchotement de ses eaux sur l’ancienne chaussée du moulin. La brume matinale s’estompe laissant apparaître le coteau de la rive gauche sous une douce lumière tamisée. Une laine et des baskets, par l’escalier du Château j’entreprends, sur les pas d’Auguste Barrau de remonter le temps, le temps de la jeunesse et des amours de Gustave et Marie.

Sans doute pour ne pas effrayer le promeneur la pente du sentier qui surplombe notre gîte de Pont Vieux est-elle engageante. Passé le logis de maître la vue se dégage sur la vallée. Une cour et une prairie ont remplacé depuis plus de quarante ans l’usine de la lointaine minoterie. Reste un petit bâtiment adossé à la chaussée abritant un vestige de roue à aube. Un polonia en fleurs ajoute une touche bleu pastel au décor. Plus loin la vue plonge sur le chemin qui mène au quartier de la Romaine et au pont Notre Dame.

Je tends l’oreille espérant un signe qui puisse rappeler l’activité industrieuse de cet endroit. Le bourdonnement qui enveloppait les rives du cours d’eau ; le grincement des rouages, le sifflement des courroies, le cliquetis des matériels en mouvement, l’animation des charrois ponctuée par les ordres des hommes, puis les chuintements des machines à vapeur, les pétarades des premières voitures remplaçant les chevaux. Mais rien, seul un merle effrayé par ma présence exprime son mécontentement.

La quiétude du moment incite au rêve. Au loin sur le chemin du Clair de Jau, sous la coiffe blanche qui protège ses cheveux, enveloppée d’une longue jupe sombre je devine Marie Ferchaud. Elle s’en vient au lavoir du Pont vieux. Sur sa brouette chargée de linge babille une petite fille aux cheveux blonds. A ses côtés gambade et sautille l’aîné de cinq ans encore dans l’insouciance de l’enfance. Les bruits d’antan renaissent. Quelques commis meuniers enfarinés saluent l’épouse du contremaître de la blanchisserie Turpault.

Le mirage s’évanouit. Je peine à escalader les dernières marches qui mènent à la place du Château. Où puisaient-elles leur énergie, leur force, ces femmes de la ville haute remontant cette rampe chargée de leur ballot de linge encore humide après leur labeur au bateau lavoir qui brise le dos et meurtrit les genoux ? Leur fardeau déposé dans la brouette laissée sur la place, j’imagine qu’elles avaient encore la coquetterie de réajuster leur chignon, de redresser leur silhouette pour traverser le bourg.

Parmi elles sans doute Marie Ferchaud qui dans les années 1895/1896 a quitté Pont Chevreux. Je la suis jusqu’au 5 de la rue du Château sa nouvelle demeure. Certes elle aurait pu pratiquer le lavoir des Etangs dont je laisse la rue à ma gauche. On ne s’y ennuyait pas si j’en crois une vieille carte postale. Mais elle aura conservé ses habitudes au lavoir de Pont Vieux rénové il y a une quinzaine d’années en même temps que la construction du bateau lavoir de la Romaine. Elle me parait bien petite cette maison du numéro cinq.

Un client attablé au café du coin reste perplexe devant mon attitude ? Ai-je vu un fantôme ? Non ! J’écoute… J’écoute le cliquetis du métier à tisser d’Eugène Bénardeau. J’écoute les rires de sa fille Eugénie et de son amie Marie Lefort qui fusent du premier étage. Elles ont vingt ans. Elles ont vite sympathisé. Eugénie la couturière et ses parents de Cholet, se sont installés depuis peu prés des Lefort. Bénardeau livre ses pièces de draps à l’usine du Pont où travaillent Arsène Lefort et Marie. Nous sommes en 1896.

C’est jour de marché près de l’église, plus une place sur le parking de la mairie. Mais pas une charrette pas un cheval attendant patiemment le retour de son maître sac d’avoine sur les naseaux. Sur le marché c’est le traditionnel mélange des odeurs ; les fromages du crémier, la cochonnaille du boucher, les crevettes du poissonnier, la fraîcheur du jardin du légumier et les parfums suaves du pépiniériste. Mais point de bonnette pour la petite fleuriste perdue dans ses plans de fleurs et point de sarrau pour le placier.

J’emprunte la rue Saint Jacques. Me voilà bien embarrassé ! Où habitait donc le marchand de sel Victor Blandin ? Au N° 13 au N° 5 ? Toujours est-il que ses fils arpentaient bien cette rue.Courant 1896, Charles faisait le roulier entre Mortagne et les Sables mais son métier périclitait à cause du train. Quant à Gustave il explorait l’Afrique du Nord entre Oran et Mostaganem comme aide de camp d’un officier du Train. Incorporé en 1893, il n’avait peut-être pas croisé Marie Lefort ou n’avait-il pas prêté d’attention à cette demoiselle.

Je dévale la rue Nationale vers le site du Pont et de Fleurais. Il se pourrait bien qu’Arsène Lefort ait occupé l’un de ces logements qui précèdent l’ancienne sèche chaude toujours debout. Plus loin c’est le site de Fleuriais. Quelle tristesse devant cette friche abandonnée et vandalisée. Pas un souffle de vie sous cet immense toit où s’afféraient tant d’ouvriers et d’ouvrières aux heures actives de la blanchisserie puis de la tannerie. Les murmures de la Sèvre emporte les souvenirs de ce passé bruyant.

En revenant sur mes pas un peu désenchanté je croise la petite vierge de la chapelle du pont tout sourire dans sa niche. On dit qu’elle n’a jamais eu les pieds dans l’eau même aux grandes crues. Un peu plus haut dans la rue Nationale, mon imagination me joue encore des tours ; sur ma gauche j’entends les battoirs des femmes de la Romaine, à ma droite au 54, des murmures, des bruits d’enclumes et de marteaux. Aurais-je réveillé les mécaniciens Bretonneau ? Refont-ils la grande roue du moulin de la Chagnaie ?

Je remonte au centre ville jusqu’à l’école de musique. Dans les années 1880 Marie Lefort fréquentait cet établissement autrefois école des filles et j’ai en mémoire cette photographie sur laquelle une quarantaine de petites filles posent sagement devant l’objectif. Je n’ai toujours pas compris la signification des écharpes portées par quelques unes. Le mystère reste à éclaircir. En face de l’école je remarque la plaque inaugurée en 2009 en souvenir de la librairie Jehly-Poupin. Ses cartes postales ont célébré Mortagne et ses environs.

Je terminerai ma balade matinale par la route de Nantes. Une plaque posée aussi en 2009 honore la mémoire du photographe Alfred Hisson au coin de la rue de la Pommeterie. Les familles Lefort et Blandin furent de fidèles clients de ce personnage original à la barbe « fleurie » souvent vêtu à l’orientale. Par la route d’Evrunes je regagne Pont Vieux. Demain j’irai consulter les esprits du Moulin de Thouet. Peut-être se souviennent-ils du commis meunier, soupirant éconduit par la belle Marie Lefort.

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7 - 1870 au sud de la Loire

Angers le 12 novembre 1870Ma chère Marie, je t'écris ces quatre lignes pour te demander si tu as reçu la lettre que je t'ai envoyée voilà quatre jours. Car je trouve que si tu l'as reçu que tu as tardé à me faire réponse. Cesbron qui avait écrit en même temps que moi a reçu réponse hier le 11. Aussi ma chère Marie si tu ne l'avais pas reçu ais la bonté de me le faire savoir. Car si tu savais comme je trouve les jours longs loin de toi et de notre petit Arsène. Aussi ma chère Marie je pense qu'il ne faut pas compter sur moi dimanche car l'on pense que l'on va partir pour Tours mais a vrai dire nous n'en savons rien. Seulement on nous a dit de nous tenir prêts. Voilà bientôt dix jours que l'on nous dit vous partez demain et l'on est encore là. C'est comme pour camper on devait camper dès lundi dernier et aujourd'hui on nous a donné des billets de logement pour six jours. Mais à force de le dire ils finiront bien par nous faire partir. Si tu veux que je reçoive ta lettre à Angers tu n'as qu'a m'écrire tout de suite. Mon adresse est toujours la même. Le jour où on me dira de partir je te l'écrirai aussitôt mais quand tu recevras la lettre nous serons partis. Je te dirai que Beudin en sortant de l'hôpital a été versé au dépot il n'est plus avec nous. Maintenant ma chère Marie quoique parti nous ne seront pas perdus pour cela. Espérons que cela sera bientôt fini et nous pourrons comme par le passé avoir de nos nouvelles sans avoir la peine d'user tant de papier et embrasser ensemble notre petit Arsène bien aimé. Tu feras bien des compliments à toute la famille. Bien le bonjour à tante et tonton Herault ainsi qu'à Eugénie et Cassirot et Nini, Soulard Auguste et Zoé, mon père et ma mère, tante Allard et tonton et tante Elie, monsieur Félix Malot, la mère Bireau et la mère Poirier et à tous ceux qui s'informeront de moi. Je n'ai rien d'autre chose a te marquer pour le moment, je me porte bien et je désire que la présente te trouve de même toi et Arsène. Je finis en t'embrassant de tout mon coeur, ton mari qui t'aime. Lefort Arsène. Tu n'oublieras pas d'embrasser le gamin pour moi. J'avais oublié de te dire qu'il ne manque pas de baraques à Angers pour la Saint Martin. C'est aujourd'hui Samedi que commence la foire. Au revoir Marie. Réponse de suite."

Fin novembre 1870Ma chère Marie, comme j'étais entrain de faire cette lettre pour envoyer à mon père et à ma mère quand j'ai reçu ta lettre datée du vingt. Je te dirais que cela me fait toujours bien plaisir d'apprendre de tes nouvelles. mais aussi celle la m'a bien chagriné d'apprendre que le petit Arsène est bien malade. Mais j'espère bien que cela ne sera pas grand chose et qu'à ta prochaine lettre tu m'écriras qu'il va mieux et peut-être guerri. Pour l'argent que tu m'as envoyé je l'ai bien reçu et j'en avais grand besoin car dans ma campagne il m'est arrivé un malheur. Car depuis longtemps on donnait que desbillets de banque aux caporaux pour payer leurs hommes et moi j'avais reçu un billet de cinquante francs. Et moi et Thigout nous étions restés derrière le bataillon pour le faire changer et en effet je l'ai fait changer dès le premier bourg où nous passons. Je mets l'argent dans mon porte-monnaie et le lendemain je recherche dans mon porte-monnaie et je trouve vingt francs de moins. Tu dois te figurer la triste mine que j'ai fait mais enfin il fallait bien durer. Et comme on est responsable toutes mes payes il me fallait les laisser aux hommes et encore cela ne montait guerre à l'argent. Enfin quand j'ai reçu les trente deux francs j'ai remboursé tout ce que j'avais perdu, soit que j'avais cru les mettre dans mon porte-monnais ou en attenant d'autre argent. Toujours est-il que le les ai perdu. Je te l'aurais bien dit plus rôt mais j'ai pensé que tu l'aurais pris pour une blague c'est pourquoi je ne te l'avais pas écrit plus tôt. Tu me demandes si j'ai laissé Thigout bien malade, non il n'était pas bien malade c'était une dent qui lui faisait mal depuis 5 ou 6 jours et cela lui donnait la fièvre et l'empêchait de manger. quoique on ne nous en donnait guerre à manger et ne point dormir la nuit cela l'avait rendu malade. Et comme nous battions en retraite il s'est arrêté dans le premier village qu'il a trouvé. Je crois qu'il doit être prisonnier prussien. Je finis en t'embrassant de tout mon coeur et le petit Arsène aussi. Ton mari qui t'aime. Lefort Arsène."

Henrichemont le 19 décembre 1870Arsène est rentré transi de la corvée d'eau sur la place Henri IV. Si l'eau du puit est encore accessible la fontaine a revêtu sa parure de glace . Mais il ne se plaint pas, tant de rumeurs courent sur les malheurs des assiégés parisiens affamés. Sur son lit de paille, emmitouflé dans sa cape, malgré le froid, ses doigts gourds, Arsène a sorti de son sac un feuillet et son vieux Conté de Régny dont il ne reste que quelques centimètres. Machinalement il en humecte le graphite de ses lèvres. Il lui faut écrire à Marie, s'évader de sa triste condition en pensant à ceux qu'il aime, à sa douce Marie et au petit Arsène dont le babillage lui manque terriblement.

Ma chère Marie, je te dirais que voilà bientôt quatre semaines que je n'ai pas reçu de tes nouvelles et pourtant j'aime à espérer que tu en reçois des miennes. Je pense pourtant que tu m'as bien fait réponse mais que tes lettres se sont égarées, il n'y a que Rousselot qui a reçu des lettres. Je me porte bien et je désire que tu te trouve de même et que notre petit garçon se porte bien aussi. Je te dirais que Bénardeau est parti d'avec nous d'hier au soir pour je ne sais ou avec un couple de cent du bataillon des plus mauvais marcheurs et je ne sais pas quand nous les reverrons. Come je pense que tu ne recevra pas ma lettre que dans les jours du premier de l'an, je te souhaite une bonne santé et une meilleure année que celle qui vient de se passer. Tu la souhaiteras bien la bonne année à ton petit garçon. Tu l'embrasseras bien fort pour moi et moi je t'embrasse bien aussi. Je te dirais que notre position est toujours la même, couché sur la terre, l'on a presque toujours un peu de paille, l'on met sa couverture dessous la paille et l'on s'enveloppe dans son manteau avec cinq ou six liens que l'on fait tous les jours et les nuits. Quand l'on se couche il faudrait être bien mal pour ne pas dormir en somme. Si je n'étais pas enrhumé un peu je me consolerais en pensant que peut-être le jour approche ou nous pourrons nous réunir et nous embrasser tous les deux. Tu sais comme le petit Arsène trépignait quand il nous voyait nous amuser tous les deux. Sur la lettre que tu m'écriras tu me diras si Victor est parti de Cholet avec ceux de Saint-Florent, on a appris qu'il était parti au Mans pour former un camp avec les vieux garçons comme tu vois...

8 - Lettres à Marie

On trouvera dans ce chapitre la transcription édulcorée, sans en changer l'esprit , des lettres reçues par Marie lefort. Ces lettres feront l'objet de commentaires par le rédacteur au gré de sa reflexion et de ses recherches.

8.1 - De Joséphine Arnold

Sigmaringen Avril 1891. C'est un faire-part de mariage que reçoit Marie en ce mois d'avril 1891. Il est posté de Sigmaringen en Allemagne dans le Bade-Wurtemberg et lui est adressé à Fleuriais par Mortagne sur Sèvre. Johann Viesel et Joséphine Arnold font part de leur union chétienne en l'église de Laiz, petit bourg proche de Sigmaringen et du repas qui suivra à l'auberge de l'Aigle le 9 avril 1891.

Quel lien, Marie, jeune fille de Vendée, peut-elle avoir avec ce couple qui convole dans ce lointain pays du Bade-Wurtemberg ? Par défaut on émettra l'hypothèse suivante: L'usine de Tissage et Blanchiment de Fleuriais dans les faubourgs de Mortagne sur Sèvre fait souvent appel à des cadres étrangers pour diversifier ses techniques d'exploitation. On peut citer en exemple le cas du contremaître Charles Gall, écossais, qui termina sa carrière à Fleuriais comme Directeur. Joséfine Arnold était peut-être la fille d'un cadre venu d'Allemagne ayant sympathisé avec Marie fille de l'un des contremaîtres de l'usine à l'époque.

8.2 - De Zoé femme Paboeuf'

Nantes le 28 août 1892. Ma bien chère petite Marie. Je suis bien heureuse d’avoir reçu de tes nouvelles. Tu me demandes si j’ai reçu ta boite de dragées, oui je l’ai reçue. Si je n’ai pas répondu plus tôt c’est que j’espérais aller voir ton petit neveu mais j’ai en des empêchements. J’avais compté vous voir au 14 juillet ainsi qu »au mois d’août, voyant que vous ne veniez pas j’ai été obligée de me débarrasser de mon petit chien. Mais en apprenant la naissance de ton petit neveu j’ai bien compris pourquoi vous n’étiez pas venus. Mais maintenant que vous n’avez plus d’empêchement vous ne tarderez pas à venir me voir et si tes parents ne pouvaient pas venir ils pourraient bien te laisser venir passer un dimanche, la saison est encore belle et l’on pourrait encore faire de bonnes promenades sur l’eau. Je te remercie beaucoup d’avoir pensé à moi pour les dragées. Tu embrasseras ton père et ta mère pour moi ainsi qu’Arsène et ta belle belle-sœur sans oublier ton petit neveu que je voudrais bien voir en attendant de vous voir tous. Mais viens seule si vous ne pouvez pas faire mieux. Ta tante qui t’aime et qui t’embrasse. Zoé Paboeuf.

Nantes le 7 janvier 1893. Ma chère petite Marie. J’ai reçu tes souhaits de bonne année qui m’ont fait bien plaisir ainsi que de ta famille. Je comptais au mois de janvier sur ta mère mais j’ai reçu une lettre de Marie-Louise Chamand qui m’apprend le mariage de ton cousin. J’ai vu par là que ta mère ne viendrait pas. Mais j’ai été contente car j’ai cru comprendre qu’elle viendrait au mois de février. Enfin quand elle viendra avec madame Valérie elle me fera toujours plaisir. Tu me dis que tu viendras à Pâques, je voudrais que tu rapproches ton voyage et que tu viennes avec ton père. Chaque fois qu’il a fait une fête à Nantes je voudrais que tu sois avec moi, cela me ferais tant plaisir. Je te souhaites une bonne et heureuse année et te prie de le faire pour moi à ton père et à ta mère ainsi qu’à ton frère et ta belle sœur et n’oublies pas d’embrasser ton petit neveu pour moi. Tu recevras par la poste un petit souvenir de 1er de l’an et pour ton petit neveu j’envoie des dragées pour ton père et ta mère et pour ton frère et ta belle sœur. Quand tu viendras avec des amies cela me fera plaisir. Chère Marie quand Marie-Louise m’a écrit elle m’invitait d’aller la voir aux noces de ton neveu (Cousin ?). Vas la voir et souhaites lui le bonjour de ma part car elle me prie de te souhaiter le bonjour. Rien autre chose à vous dire pour le moment. Je vous embrasse tous. Zoé Paboeuf. Joséphine te souhaite une bonne et heureuse année mais elle croit que ça sera toi qui te marieras avant elle car elle ne peut pas se marier avant 25 ans car son cœur est promis. Elle vous embrasse de toute la petite part de son cœur qu’elle peut ôter à celui qu’elle aime.

Nantes le 7 avril 1894. Chère Marie. J’ai bien tardé à t’écrire pour te remercier de ton poisson d’avril que tu m’as envoyé et qui m’a fait bien plaisir. Il fallait que je vois soit ta photographie ou toi-même car je t’ai attendu jusqu’à midi, je croyais qu’à Mortagne c’était comme à Nantes que l’on ne travaillait pas le lundi et je ne pensais plus à la fête de Mortagne où l’on va vendre ses chèvres. Tu n’en avais pas à vendre puisque tu as été au pèlerinage de Saint Laurent faire sans doute un voyage pour trouver un mari. Mais je n’oublie pas la promesse que tu m’as faite de venir à la Pentecôte et je crois que vous choisirez ce jour là pour venir toute la famille et cela me fera grand plaisir ainsi que la famille Fonteny et chez Mr Piffeteau. Et tu n’oublieras pas de leurs souhaiter le bonjour de ma part et d’embrasser ton père et ta mère pour moi. Tant à moi je suis clouée à la maison et ça ne me fait pas plus plaisir. Je me porte toujours bien. Je désire que la présente lettre vous trouve de même. Rien autre chose à te marquer pour le moment. Je suis toujours pour la vie ta tante qui t’aime beaucoup. Zoé Paboeuf.

Nantes le 30 juillet 1894. Chère Marie. Comme à Nantes il se prépare une grande fête pour dimanche prochain je vous écris ces deux lignes pour vous inviter à venir passer cette journée la ensemble. Comme vous m’aviez promis de m’envoyer Marie si vous ne pouvez pas tous venir envoyez moi la, j’y compte sans faute, elle repartira le lundi matin si ça la dérangeait trop. Vous souhaiterez le bonjour aux amis qui demeurent à Mortagne et moi je vous embrasse tous de tout cœur. Joséphine ainsi que Eugène vous souhaite le bien le bon jour et vous embrassent tous de tout cœur. Ne faites pas attention à l’écriture c’est Eugène qui écrit.

Nantes le 10 janvier 1897. Ma chère Marie. C’est avec bonheur que j’ai reçu tes souhaits de bonne année ainsi que ton père et ta mère. Je ne reçois jamais assez souvent de vos nouvelles car je pense continuellement à vous. J’aurais été bien heureuse de pouvoir nous rapprocher mais il faut bien prendre le sort qui nous donne. Je comptais aller aux noces de mon filleul et je pense aller chez vous mardi vous embrasser et vous souhaiter une bonne et heureuse année à tous. Chère Marie si tu savais comme Joséphine était heureuse de recevoir tes souhaits de bonne année et que tu lui désires un mari car c’est le plus grand de ses vœux. Penses qu’elle a 25 ans, qu’elle a les tallons jaunes. Tu penses que ça la désespère mais elle va aux noces lundi avec son fiancé. Ce qui la contrarie c’est avec un homme de la campagne, elle qui est si orgueilleuse, dire qu’elle va quitter ses chapeaux. Elle vous souhaite une bonne et heureuse année à tous et un mari pour qu’elle aille à tes noces. Je fini ma lettre en vous embrassant de tout cœur. Zoé Paboeuf, à lundi en huit.

Nantes le 15 janvier 1920 ? Ma chère petite Marie. Chère petite Marie si j’ai tant tardé a te rendre tes souhaits de bonne année à toi à ton père et à ta mère et à la famille Fonteny ainsi qu’à madame Piffeteau c’est à cause Marie il y a plus de quatre mois que je l’ai pas vu madame (illisible) et je n’avais personne à qui faire faire ma fête. Si je n’ai pas ces douleurs qui m’empêchent de marcher j’aurais été moi-même à Mortagne. Je compte tout le temps sur ta mère et madame Piffeteau comme ils me l’on promis. Mais je pense qu’elles ont remis leur voyage au beau temps. Enfin quand vous vous voudrez venir vous serez toujours les biens venus. Je compte sur toi ma petite Marie pour embrasser ton père et ta mère pour leurs souhaiter une bonne et heureuse année ainsi qu’à tous ceux qui s’intéressent à moi. Je t’envoie un petit souvenir de premier de l’an qui je pense te fera plaisir. Reçois chère petite Marie mes sentiments les plus distingués. Celle qui t’a toujours aimé et t’aimera toujours. Le bonjour à tous Je t’envoie un long baiser. Femme Zoé Paboeuf.

A ce jour il n'a pas été possible de connaître la nature exacte des liens de parenté de Zoé avec la famille Lefort. Dans sa lettre du 28 août 1892 Zoé se dit la tante de Marie Lefort. On peut supposer qu'Eugène cité dans la lettre du 30 juillet 1894 est son mari Eugène Paboeuf et Joséphine sa fille. Mais cette supposition n'est pas vérifée. Cette même lettre du 30 juillet est adressée à Marie Ferchaud la mère de Marie Lefort. L'écriture de la dernière lettre du 15 janvier est malhabile, elle présente des incohérences; en 1920 Arsène Lefort père de Marie est décèdé depuis deux ans.

8.3 - D'Eugénie Berhault

Cholet le 25 janvier 1892. Ma chère Marie. J’espérais recevoir un petit billet de ta part qui me dirait comment tu as trouvé ton jupon, s’il est bien à ton goût. Tu l’auras peut-être trouvé un peu bouchonné car il était un peu gêné dans sa boite mais j’ai pensé qu’il serait mieux comme cela que dans un paquet. Tu n’auras qu’à lui donner un petit coup de fer et il sera encore plus joli dans son neuf. Il sera peut-être un peu long, tu auras tout simplement à faire un petit pli en haut et ça sera bien. J’ai donné 1 franc 76 pour la façon, il te reste donc 0,75 fr. puisqu’il avait juste 8 fr. d’enlevure ? Je te les remettrai quand tu viendras. Tu auras la bonté de me ramener la petite boite mais ça ne presse pas. Ma petite marie je te dirais que je me réjouis toujours d’aller aux noces à Bressuire. Nous avons été commander nos bonnets ce matin, nous avons été bien attrapées car nous comptions voir les vôtres pour prendre modèle. Quand tu m’écrieras tu me diras si vos toilettes sont faites, si chez Fonteny viennent toujours à la noce et si Marie a elle aussi une robe bleue. Je n’ai rien autre chose à te marquer. J’attends ta réponse avec impatience et en attendant le bonheur de vous voir je vous embrasse tous les trois ainsi que maman et nous disons mille choses aimables chez la famille Fonteny. Celle qui t’aime de tout son cœur. Eugénie Berhault. Je te remercie beaucoup pour mon ruban il est bien joli.

Cholet le 8 septembre 1893. Ma chère Marie. C’est avec regret que je t’écris ces mots : car la belle partie que nous nous promettions pour dimanche est complètement ratée, il n’y a plus de train de plaisir pour les Sables. Ne voyant rien d’affiché toute le semaine j’ai tantôt été moi-même prendre des renseignements à la gare. On m’a répondu qu’il ne connaissait rien pour dimanche, que probable il n’y en aurait plus. Je m’en suis revenue toute penotte (penaude) mais je n’y pouvais rien. Et moi qui me réjouissais tant d’y aller avec toi pour faire une bonne partie de bourrique et prendre un bon bain, il faut donc remettre cela à l’an prochain seulement. Mais nous nous prendrons plus de bonne heure. Ma petite Marie nous avons reçu des nouvelles d’Arsène par Pasquereau qui nous a dit qu’il n’allait pas plus mal. J’espère que tu nous en donneras souvent, ça nous fait plaisir. Je termine en te priant d’embrasser pour nous ton père et ta mère sans oublier ton nourrisson. Tu nous fera savoir comment il aura passé la semaine sans toi et en attendant le plaisir de vous voir je t’embrasse comme je t’aime. Eugénie Berhault.

Elles n’étaient peut-être pas nombreuses les jeunes filles de 1893 pouvant se permettre un bain de mer et une promenade à dos d’âne aux Sables d’Olonne. C’est pourtant ce que les deux cousines comptaient faire. Depuis l’été 1892 les habitants du Choletais peuvent bénéficier des billets de bains de mer à des prix abordables. Ainsi pour le prix de 2 Kg de beurre ou 4 douzaines d’œufs on peut s’offrir un billet aller-retour de 4 Frs pour le train des plaisirs des Sables en 3ème classe, comme l'indique Adrianna Surot dans son étude sur Les premiers temps du chemin de fer à Cholet.

Paris le 28 juin 1895. Ma bonne petite Marie. Je ne puis attendre plus longtemps sans t’écrire un petit mot, car quoique bien éloignée de toi je ne t’oublie pas. Il suffit d’être éloigné de ceux qu’on aime pour comprendre l’affection qui nous unit. Ma bonne petite Marie, je vais d’abord te remercier pour le bon accueil que toi et tes parents faites à ma bonne petite maman. Remplace moi auprès d’elle et embrasse la mille fois pour moi. Je te dirais que nous sommes très bien à Paris. On ne sait quoi faire pour nous faire plaisir. Ce soir le papa Gaultier doit nous payer l’opéra, tu pense si je m’en réjouis, il est très aimable avec nous. Mon beau frère Albert aussi, quant à Julia, elle est aussi bonne que toi. Elle te ressemble un peu, elle n’a rien de ses frères et sœur car elle est blonde et tous les autres sont du teint d’Auguste, je me plais beaucoup avec elle. Nous sommes installés dans sa chambre qui est coquettement arrangée. Elle a même fait bien des frais pour nous recevoir. Aussi si j’étais au milieu de toute ma famille mon bonheur serait complet. Je ne te marque pas de grands détails, je pense que maman te les donnera. Nous nous promenons tous les jours et je ne me trouve pas du tout fatiguée. Il est vrai que nous ne sommes guère matinaux et nous sommes si bien soignés. Nous réservons la journée de demain pour aller voir monsieur Ouvrard et la tante de Marie-Louise Augeard. C’est d’un coté tout opposé et ça nous fait perdre du temps. Enfin quand je serai de retour je te raconterai cela. En attendant je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que tonton et tata. Auguste vous dit mille choses aimables et vous saute au coup en vous disant « et pourquoi quoi et pourquoi quoi sommes nous des grenouilles » nous le chantons souvent. Celle qui t’aime de tout son cœur. Eugénie.

Cholet le 29 juillet 1895. Etes-vous morts ? On entend plus parler de vous ni ne savons si vous êtes malades ou bien portants. Nous espérons bien que vous êtes tous en bonne santé, quant à nous tout le monde se porte bien. Eugénie et moi nous sommes revenus de Paris il y a déjà trois semaines. Je vous assure qu’il a fallu employer toute son énergie pour revenir. D’abord on ne voulait pas nous laisser partir et puis on commençait à s’habituer aux douceurs du voyage et des promenades dans Paris. En vérité si ça n’avait pas été la malheureuse question pécuniaire nous nous serions volontiers établis rentiers à Paris. Nous avons été un peu partout, à la tour Eiffel, à l’Opéra, aux cafés concerts, au jardin d’acclimatation etc.… etc…En un mot nous avons visité une partie des beautés de la Babylone moderne. De plus nous sommes allés à Versailles, nous avons visité le château et le grand et le petit Trianon, au reste lorsque vous nous ferons voir toutes les vues de Versailles ainsi que les grandes eaux auxquelles nous avons eu le bonheur d’assister étant donné qu’elles marchaient ce jour là à l’occasion de la fête du général Hoche. La maman Gaultier nous écrit assez souvent en nous demandant de vos nouvelles. Elle a l’air de s’ennuyer de ne plus être à Cholet et dans ses moments de loisirs elle a composé un couplet qu’elle nous a prié de vous communiquer pour l’ajouter à la chanson des grenouilles, le voici :

Il est un coin sur la terre
Où l’on ne s’embête guerre
C’est à Cholet mes amis
Que sont les chants et les ris
J’y veux revenir un jour
Chanter les grenouilles
Oui bien des fois, oui bien des fois
Fois, fois, fois, fois, fois, (bis)
J’y veux revenir un jour
Chanter les grenouilles.

Comme vous le voyez, elle pense revenir à Cholet, car il faut croire qu’elle y a passé de bons moments. Maintenant nous avons repris nos petites habitudes de travail. Eugénie a retourné au magasin et moi je fais toujours répétitions sur répétitions car nous avons fort à faire avec les fêtes de la gare et les distributions de prix. Mais vers le mois de septembre nous aurons moins d’ouvrage. Quant à la maman Berhault son ronron c'est-à-dire son dévidoir marche toujours. Allons j’espère que vous nous ferez pas plus attendre de vos nouvelles et en attendant recevez mille baisers de la maman Gaultier. Maman Berhault et Eugénie se joignent à moi pour vous envoyer plusieurs baisers à la choletaise ainsi qu’à mademoiselle Marie. Votre neveu qui vous prodigue ses amitiés. Auguste Gaultier.

La dernière lettre de cette série est d'Auguste le Mari d'Eugénie, elle est adressée aux parents de Marie. Elle a sa place après la lettre d'Eugénie puisqu'elle traite du même sujet; leur mariage récent.

8.4 - De Mathilde Ferchaud

Pont-sur-Yonne le 24 janvier 1893. Chère cousine. Tu dois être dans l’inquiétude et te demander si c’est que le train a déraillé ne recevant pas de nouvelle. Non ce n’est pas cela. Tranquillise toi. C’est que nous sommes partis de Cholet jeudi à Une heure de l’après-midi. C’était comme à Mortagne on ne pouvait pas se quitter. Nous nous sommes arrêtés à Chemillé pour voir Cousine Rosalie Brémon. Ensuite nous avons voyagé par un vilain temps de brouillard et de neige. C’était triste, je crois que ça sentait le goût de retour de noce. Nous sommes arrivés chez nous samedi matin à une heure et demie. Mais quel temps ! Partout de la neige, pas six pieds comme on me l’avait dit sur une lettre mais au moins la sixième partie. Maman est beaucoup mieux maintenant, mais elle a été très malade. Quant à papa ainsi que Eugénie et René nous nous portons tous bien. Reçois chère Marie les baisers affectueux d’une cousine qui t’aime. Mathilde Ferchaud. La distance est bien grande mais l’amitié n’en est que plus resserrée. Mathilde. Toute la famille se joint à moi pour t’embrasser ainsi que mon oncle et ma tante. Grand-père et grand-mère y sont compris aussi car ils ont été contents de recevoir de vos nouvelles. Bien des choses aimables de notre part pour Arsène et sa femme et un gros baiser pour son petit garçon. A propos, ayant deux photographies d’Arsène chez nous je lui renvoie une ci-jointe comme il l’a demandé à tante. Maintenant si tante avait l’occasion d’aller à la maison pour des mouchoirs, elle nous en prendrait deux douzaines, mouchoirs d’échantillon belle qualité et elle les enverrait avec le colis que le jardinier doit nous envoyer. Pour le remboursement en écrivant dites nous le prix et on vous l’enverra par la poste. Votre nièce Mathilde.

Chers frère et soeur. Je vous dirais que nous avons été voir notre cousin Victor Herault à la Bâtisse près Saint Léger. En nous en retournant, comme la terre était gelée le chemin était un peu raboteux, la petite route à coté du fossé n’était pas large, je me suis allongée deux fois, je ne me suis pas fait mal. Mais Victor c’est allongé une fois, je rigolais, je ne savais pas qu’il s’était fait du mal. Le lendemain matin l a fallu aller trouver le père Motivier qui lui a remis le pousse. Tu penses comme il était blagueur. Vos tout dévoués frère et sœur. Pierre Ferchaud et Louise.

Pont-sur-Yonne, Printemps 1893. Ma chère Marie. Tu dois te demander comment il se fait que la cousine Mathilde te délaisse ainsi depuis vint deux grands jours que j’ai reçu ta lettre et ne pas avoir de nouvelles. Chère Marie j’ai de bien grandes occupations oh ! Et l’exposition de Chicago. Mais le plus terrible c’est l’influenza, cela vous retourne la cervelle sans dessus dessous. Heureusement que la mienne n’a pas changer de place. A Pont la campagne est belle de ce moment, la verdure, les fleurs et aussi la gaîté tout sent le renouveau. C’est à Mortagne que ce doit être joli. La promenade dans les coteaux doit être ravissante. J’y pense bien souvent surtout quand j’aperçois l’accroc de ma robe (qu’est ce que tu veux c’est un souvenir frappant). A propos le petit bonhomme que tu me mets dans ta lettre est probablement un habitant des coteaux en admiration devant cette nature. Reçois chère Marie les affections d’une cousine qui t’aime et t’embrasse de tout son cœur. Mathilde Ferchaud. Embrasse bien pour moi mon oncle et ma tante.

En 1893 Marie Lefort et Mathilde Ferchaud ont le même bel âge; 19 ans. Apparemment les deux cousines sont trés liées d'amitié. Petit secret entre les cousines, l'accroc de la robe de Mathilde, nous n'en saurons pas plus. L'annonce de Mathilde à propos de l'exposition de Chicago nous intrigue aussi. Cette exposition universelle s'est tenue à Chicago de mai à octobre 1893. On y a remarqué notamment l'exposition des Dames françaises au Palais des Arts et des femmes. Mathilde, couturière, a-t-elle réalisé quelques travaux, broderies, dentelles..pour l'exposition? Une page intéressante sur internet: http://cnum.cnam.fr/CGI/fpage.cgi?4KY28.41/236/100/536/0/0

Pont-sur-Yonne le 31 décembre 1896. Ma chère Marie. Il y a longtemps que tu n’as pas eu de nos nouvelles, c’est un peu de ma faute. Je ne laisserai cependant pas commencer la nouvelle année sans t’écrire. Sois indulgente ! Tu ne sais pas ce que c’est la première année qu’on se marie. C’est bien du tracas, surtout quand on est seuls. Maintenant j’espère que nous allons être tranquilles, nous voilà au courant. Nous avons eu des ennuis, nous avons été inondés, pas par les grandes eaux mais par la tempête. Une trombe d’eau qui est tombée dans notre jardin situé au dessus de la maison et a ramené toute la terre dans note appartement. C’était du joli nous en rions maintenant mais sur le moment nous faisions une drôle de mine. Juges du tableau, il était deux heures du matin et nous avions de l’eau par-dessus les pieds de notre lit. Je m’arrête là, la suite finira par t’ennuyer et ce serait trop long à te raconter, il faudrait bien un journal. Et toi ma chère cousine que fais tu, que deviens tu, c’est ce que nous nous demandons bien souvent. Comme mon mari (ton cousin) a gardé un bon souvenir de ta famille nous parlons beaucoup de vous. Nous serions bien contents d’aller vous voir, pour cela il faudrait une occasion. Si tu te mariais par exemple ce serait un cas. J’espère que mon petit bouquet (1) t’aura porté chance et que bientôt nous en aurons des nouvelles. Je te souhaite un bon mari, je crois que tu n’aurais pas les intentions de coiffer Sainte Catherine. Je ne te le conseille pas parce que ce doit être bien triste et puis être seule pense donc !!! Voilà 97 qui s’approche et commence a nous montrer le bout de son nez, nous allons l’accueillir ave une risette et lui demander qu’il t’accorde tous les vœux et souhaits que nous formons pour ton bonheur. Nous sommes en bonne santé. J’attends une réponse, donc à bientôt et j’espère n’être pas aussi longtemps à vous donner de mes nouvelles. Ta cousine qui t’aime et t’embrasse bien fort. Mathilde Vaillant. Sois notre interprète auprès de mon oncle et de ma tante, bien des choses et notre part chez Arsène, je ne peux pas lui écrire n’ayant pas son adresse. Voici la nôtre : Vaillant, château le Guichet à Pont-sur-yonne.

Je me joins à Mathilde pour vous offrir mes vœux et souhaits de nouvelle année. Votre cousin et neveu, Vaillant Albert.

(1) Il s'agit du bouquet d'oranger rapporté par les parents de Marie de la noce de Mathilde en avril 1896. Marie ne coiffera pas Sainte Catherine, les prétendants n'ont semble-t-il pas manqué! Un militaire demande sa main à ses parents en 1894, un meunier lui offre de partager sa vie, enfin Gustave Blandin s'intéresse à la demoiselle à son retour du service militaire en 1896. On s'écrit courant 1897, du vouvoiement on passe au tutoiement, on se querelle, on se réconcilie... ( Trois semaines sans vous voir c'est long; Je vous embrasse comme je vous aime; ou encore; je finis en t'embrassant comme je t'aime c'est à dire de tout mon coeur). Nous consacrerons un chapître aux amours de Marie.

8.5 - D'Arsène Lefort père

Villemanoche le 12 avril 1896. Ma chère petite Marie. Je t’envoie ce petit bout pour te dire que nous sommes à Villemanoche et que nous repartons aussitôt pour Pont pour déjeuner et prendre le train pour Sens dont nous reviendrons à Pont pour dîner ce soir à 9 ou 10 heures. Puis demain matin nous repartons pour Paris. Chez tonton Pierre il croyait te voir arriver au lieu de ta mère. Nous avons vu Bureau et nous sommes chez lui. Nous sommes arrivés à Pont samedi matin à 2 heures chez tonton Pierre et tante Louise ainsi que Bas Blanc qui n’a pas eu de chance, il avait suivi ses maîtres et ne faisait pas attention au train qui lui a coupé les deux pattes de derrière, on a été obligé de le faire abattre de sorte que au lieu de faire la noce on l’a enterré. A demain de nouveaux détails. Nous sommes en bonne santé et je pense que tu te trouves de même. Bien le bonjour à tous les amis et connaissances. Chère Marie toute la famille se joint à moi pour te souhaiter le bonjour ; ta cousine qui t’aime, Eugénie Ferchaud, ton cousin René Ferchaud je suis toujours aimable, tonton Victor et tante Jeanne ainsi que Marie et toute la famille t’embrassons de tout notre cœur. Ton père, ta mère qui pensent bien à toi. Lefort Arsène.

Paris, rue Basfroi le 14 avril 1896. Ma chère Marie. Nous sommes arrivés à Paris hier au soir. Aussitôt arrivés nous sommes allés voir Monsieur et Madame Gaultier. Nous avons bu un verre avec toute la famille. Nous avons été bien reçus, ils ont l’air bien aimables, ils voulaient nous faire promettre d’aller déjeuner avec eux le lendemain. Nous avons remercié ayant peur d’y rester trop longtemps. Nous nous préparons pour voir Paris et ce soir l’on va au théâtre. Nous comptons être de retour vendredi dans la journée. Il nous tarde de te revoir. Nous t’apportons le petit bouquet d’oranger de Mathilde, à demain des détails. Nous t’embrassons tous bien fort. Bien le bonjour aux amis. Ton père et ta mère qui t’embrassent bien fort. Lefort Arsène. Je pense que tu n’auras pas le temps de nous faire réponse.

Paris rue Basfroi N° 51. Ma chère petite Marie. Je t’envoie pour la dernière fois des nouvelles de notre voyage. Voici ce que nous avons fait hier. Nous sommes été voir la cathédrale, les grands magasins du Louvre, le musée du Louvre, les magasins de Pigmalion, les Invalides, la Tour Eiffel jusque la deuxième plate-forme. Nous avons déjeuné et dîné au restaurant Duval puis le soir nous avons été au Châtelet voir les sept châteaux du diable, il faut voir pour le croire comme c’est beau. Aujourd’hui nous devons aller au Jardin des Plantes puis après nous verrons. Je ne t’en dis pas davantage nous te le dirons de vive voix. Car il nous tarde de te revoir, il nous emble que nous avons perdu quelque chose. Enfin je ne sais pas au juste quand on te reverra, ce sera je ne sais quand, ce sera jeudi ou vendredi je ne sais rien. Je te dirais aussi que nous avons manqué de perdre tonton Victor. Ce pauvre tonton sur cinq que nous sommes au même hôtel et sur le même pallier, il n’y a que lui qui a failli tomber dans la purée, les punaises ont manqué le dévorer. Mais malgré cela tout le monde est en bonne santé. Tante Marie et tonton Victor ainsi que Marie se joignent à nous pour t’embrasser bien fort. A bientôt. Ton père et ta mère qui t’aime. Lefort Arsène.

Dans le même pli : Paris Hôtel des Cochers. 9 heures du soir. Nous venons de dîner et nous partons pour Pont par le train de 10 heures 25, pour arriver à Pont vers 1 heure cette nuit. Nous avons déjà vu la Tour Eiffel, la Tour Saint Jacques, le Bon Marché, le Louvre, la Bastille, le Gagne Petit et nous sommes déjà fatigués. Nous sommes tous en bonne santé et je pense que tu te trouves de même. Ma chère Marie ais la bonté de dire à Madame Lucas qu’elle ne coupe pas le collier à ta mère avant que l’on soit retournés. Bien le bonjour de notre part à tous les amis, sans oublier Mr Hulin et Mme Maraud. Tu embrasseras aussi ta camarade de lit. Ton père et ta mère qui t’aime et qui t’embrasse. Lefort.

8.6 - D'Arsène Lefort Frère

Bressuire le 16 septembre 1891. Ma chère petite sœur. Je rends réponse à ton aimable lettre qui m’a fait bien plaisir de savoir que tu étais contente de mon petit cadre. Je te dirais que je suis en bonne santé et je désire que la présente te trouve de même ainsi que papa et maman. Voilà cependant deux ou trois jours que j’ai comme une espèce de névralgie. J’ai mal à une oreille et aux dents, enfin dans tout le côté de la tête mais je pense que ça ne sera rien. Je te dirais que voilà la troisième semaine que je voyage dur. Moi puis le patron nous allons tous les jours à Noirterre et je pense que nous ne finirons encore pas cette semaine. Nous partons le matin par le train de sept heures et l’on rentre le soir à sept heures et demi à Bressuire. Nous ne sommes plus que le patron et moi pour l’instant. Je te dirais aussi que le travail ne va pas du tout à Bressuire. Tous les jeunes gens menuisiers sont partis travailler en campagne ceux qui peuvent. Les autres ne font rien tu pense si je me trouve heureux moi de ne pas en manquer. Je te dirais que mon camarade Henri est toujours avec moi, son patron lui a dit qu’il pensait l’occuper tout l’hiver. Enfin toute la maisonnée vous souhaite bien le bonjour à tous et l’on pense que vous ne tarderez pas à venir nous voir car voilà le mois d’octobre qui approche. Je ne vois rien de plus à te marquer pour l’instant si ce n’est de souhaiter le bonjour aux amis et à mes camarades. Je finis ma lettre en t’embrassant de tout mon cœur. Ton frère qui t’aime. Arsène Lefort. Tu embrasseras bien papa et maman pour moi.

Thouars le 21 novembre 1894. Ma chère Marie. Je t’écris quelques lignes pour te faire savoir de nos nouvelles et je voudrais bien recevoir des vôtres car je te promets que ça n’est pas vivre que de se savoir maudit de ses parents car tu sais bien que je vous ai toujours bien aimé tous les trois. Aussi si tu savais que de fois dans la journée je vois passer les femmes je crois toujours que je vais voir maman et rien toujours ; rien le dimanche si je sort je crois toujours que je vais te voir avec papa puis maman. Il est bien vrai que je vous ai fait de grandes sottises. Mais je te promets que si je n’avait pas de famille et que si je serai condamné au bagne je serai moins puni que je le suis. Ma chère petite sœur toi qui est si bonne sois donc mon interprète auprès de papa et maman. Demande leurs donc qu’ils me pardonnent. Embrasses les bien fort, ( ?) les pour moi car je pense bien que tu dois m’aimer encore un peu. Si tu savais comme il tarde d’avoir de vos nouvelles. Ma chère Marie je te dirais que le petit Arsène a la picotte volante mais il va un peu mieux. Malgré ça il est toujours très fort. Il va à l’école comme un homme et de ce temps là qu’il n’y va pas il réclame quand on lui parle de son grand-père Lefort qu’il voit sur le cadre. Il dit toujours qu’il lui achètera un tambour pour faire boum boum. Ma chère Marie je te dirais que Jules Nicou est à faire son congé à Thouars. Il n’est pas trop malheureux car il est infirmier. Il sort a peu près quand il veut de cette façon il va travailler trois ou quatre heures par jour chez mon ancien patron, ce qui lui fait une petite pièce. Pour ce dimanche je ne vois rien de plus à te marquer pour l’instant. Joséphine et le petit Arsène se joignent à moi pour t’embrasser bien fort. Tu ne manqueras pas d’embrasser papa et maman pour nous. Ton frère bien affectionné. Arsène Lefort. Rue Ligonnier 16 Thouars. Deux Sèvres.

Thouars le 17 mars 1895. Chère sœur. Je mets la main à la plume pour te faire savoir de nos nouvelles et en recevoir des vôtres. Ma chère Marie si je ne t’ ai pas écrit plus tôt tu le comprendras d’après ce triste hiver qui vient de passer car trois sous c’est peu de chose mais quand l’on en a que quatre on y veille. En sortant de Noirterre quand j’ai vu tout ce tas de neige je te promets que ça ne me faisait pas rire. J’ai retourné faire du meuble chez mon premier patron à Thouars. Je me suis dit qu’il valait mieux gagner quarante sous que de mourir de faim. J’y suis donc été huit jours. Après nous avons eu l’influenza tous les trois. J’ai perdu huit jours. Quand j’ai repris à travailler, peu de temps après a fallu arrêter car l’atelier est loin du magasin. Nous ne pouvions pas sortir les meubles et l’atelier en était plein. Car tu penses cinq à faire rien que du meuble on a vite rempli une chambre et le magasin était tout plein aussi car les paysans ne pouvaient pas venir les chercher. Il y a trois semaines que j’en suis ressorti, nous faisions chacun un lit, le patron puis moi, je travaillait les panneaux et le patron me prenait ceux qui étaient travaillés pour lui et m’en donnait d’autres à travailler. Je m’en suis aperçu, je n’ai rien dit mais le lendemain j’ai été chercher mon compte. Mais ce n’était pas le plus beau car il y avait encore de la neige. J’ai été faire une tournée en campagne, rien partout rien. J’ai été dans le Maine-et-loire. Il y a quinze j’avais si tellement fait que je pensais jamais m’en revenir, les douleurs m’avaient prises, je marchais comme quand j »ai rentré en convalescence. Je m’en suis senti 2 jours de temps que je ne pouvais pas sortir. Dans cet intervalle de temps il est venu un patron de Thouars me chercher. C’est le patron chez qui j’étais avant d’aller à Noirterre qui l’avait envoyé. Là je fais des meubles aussi, mais alors c’est rien que de meuble de style tout ce qu’il y a de beau. C’est une maison comme chez Arnault à Cholet même plus fort car il y a jusqu’à vingt cinq ouvriers des forçats de la maison centrale de Thouars. A l’atelier je suis tout seul de menuisier avec un tourneur. Puis à Saumur il y a un sculpteur et un menuisier. Ainsi tu vois que c’est une maison importante. Je voudrais bien être à la coule du travail car c’est un autre genre et le patron je le vois une ou deux fois par jour une demi heure environ. Une fois à la coule il n’y aurait point de chômage. Car pour la bâtisse je crois qu’il n’y en aura pas beaucoup cette année. Enfin quoique l’hiver a été dur, nous avons toujours mangé notre comptant car si tu voyais le petit Arsène je te promets qu’il a bonne mine. Puisqu’il est en culotte maintenant je te promets qu’il est fier avec ses deux mains dans ses poches. Pour Pâques nous allons tâcher de lui acheter un petit habillement pour ses dimanches. Ma chère Marie Tu remercieras bien papa et maman des bons souhaits qu’ils m’ont souhaité. Tu les embrasseras bien pour nous et tu leurs diras que mes plus grands désirs seraient de les voir. Je ne vois plus rien de plus à te marquer pour l’instant. Arsène et Joséphine se joignent à moi pour vous embrasser de tout cœur. Ton frère qui t’aime et qui pense à vous. Arsène Lefort, rue Ligonnier 16 Thouars Deux-Sèvres.

Thouars le 1er avril 1895. Ma chère Marie. Je te remercie beaucoup du petit habillement que tu as envoyé pour Arsène. Nous l’avons trouvé bien joli. Je te promets qu’il était bien content lui aussi, il disait à tout le monde dans le quartier que c’était sa tante Marie de Mortagne qui lui avait acheté une culotte. Hier nous avons été promener tout les deux Arsène puis moi avec le roulier de la maison avec son cheval et sa voiture. Nous avons été livrer un lit entre Thouars et Saumur. Je te promets qu’il était rudement content Arsène d’être en voiture. Joséphine n’y était pas venue, voilà 2 long mois qu’elle est toujours malade. Elle est comme tu étais anémiée aussi je serais bien content de savoir les remèdes qui t’ont guéri. Si tu voulais avoir la bonté de nous l’écrire tu nous ferais bien plaisir car plus ça va pire c’est. Ma chère Marie je serais bien content de te voir pour les fêtes de Pâques, je serais bien content. Embrasse donc bien fort papa puis maman pour et demande leurs s’il ne peuvent pas venir eux de te laisser venir je serais si content de vous voir. Je souhaite aussi que maman soit tout a fait rétablie enfin ma chère Marie tache de faire ton possible pour venir. Tu verras comme ton filleul et neveu sera mignon. Tu embrasseras bien papa et maman pour nous. Je finis ma lettre en t’embrassant de tout cœur. Joséphine et le petit Arsène se joignent à moi pour t’embrasser. Ton frère qui t’aime. Arsène Lefort.

Thouars le 19 mai 1895. Ma Chère sœur. Je mets la main à la plume pour te faire savoir de nos nouvelles et en recevoir des vôtres. Nous sommes tous en bonne santé et nous désirons que la présente vous trouve de même sauf Joséphine qui traîne toujours et qui m’inquiète bien. Car depuis le temps qu’elle est comme ça, un jour elle va mieux puis l’autre jour c’est pareil. Celui qui se porte le mieux c’est le petit Arsène. Je te promets qu’il n’est pas malade lui. C’est comme un petit chemineau rien ne lui fait rien, il mange autant que sa mère. Il n’y a rien quand on lui parle d’aller à l’école, il dit qu’il est mal entrain, si je lui dis allons c’est des manières il me répond non monsieur. Je te dirais que son petit costume lui va très bien. Je ne te dis pas comme il est fait je t’en laisse la surprise pour d’aujourd’hui en quinze. Je te dirais qu’aujourd’hui nous allons nous promener à Argenton l’Eglise voir un de nos camarades qui travaille avec nous qui est marié la bas. Nous allons être comme une petite noce à dîner chez lui. Nous allons être dix. Il y a le roulier de la maison de chez nous avec sa femme puis le tourneur mais je te promets que nous ne ferons pas grand mal à sa bourse car c’est un type qui est riche, il travaille en amateur car il est tout jeune il a deux ans de plus que moi. Ma chère Marie je te dirais que le tourneur voudrait bien voir papa car il dit qu’il doit le connaître. Il a travaillé longtemps à Cholet c’est le neveu du père Mabille qui reste au puit de l’air. Je crois que c’est en soixante sept ou huit qu’il travaillait à Cholet. Ma chère sœur nous nous faisons une joie de te voir mais ma joie serait bien plus grande si tu pouvais amener papa et maman. Chère Marie comme je voudrais bien encore être de l’âge du petit Arsène pour être au milieu de vous tous. Vous m’aimiez bien à cette époque là, quoique je ne doute pas que vous m’aimiez bien encore. Mais à cette époque là rien n’avait pu entraver notre bonheur. On riait de mes petites manies car elles étaient inoffensives. Enfin c’est à moi de retrouver ce bonheur par mon intérieur. C’est par mes enfants si toutefois j’en ai d’autres que je retrouverai le bonheur en les élevant bien. C'est-à-dire que je leur ferai retrouver le bonheur dont j’ai goûté. Tant qu’à moi, tout pendant que je n’aurais pas reconquis l’amitié de vous tous je ne serais jamais heureux. Car je voudrais que vous soyez près de moi sans que je le sache. Quand je parle de vous, vous vous diriez comme il nous aime vous me pardonneriez tout de suite. Oh ou ma chère Marie je vous aime bien et il faudrait manger du pain sec pendant un mois pour avoir un de ces bons baisers comme quand j’était petit, je le ferais. Je ne vois plus rien de plus à te marquer pour l’instant. Tu embrasseras bien fort papa et maman pour nous. Le petit Arsène et Joséphine se joignent à moi pour vous embrasser. Le tout en attendant le vif plaisir de vous voir. Ton frère qui t’aime pour la vie. Arsène Lefort. Rue Ligonnier 16 Thouars ; 2 Sèvres.

Thouars le 18 juin 1895. Ma chère sœur. Je suis content de voir le jour s’approcher où je vais enfin pouvoir t’embrasser. Nous comptons sur toi pour dimanche. Ais la bonté de me dire à peu près par quel train tu arriveras, car de chez nous il y a loin pour aller à la (maison ?) et j’irai au devant de toi. Si tu partais samedi au tantôt par le train de midi je crois qu’il y en a un. Il est à peu près direct, tu arriverais à 3 heures à Thouars, ou aller coucher à Cholet le samedi et prendre le premier train tu arriverais à 8 heures. Enfin tu n’auras qu’à me dire à l’heure que tu parts de Mortagne, je connais les heures de tous les trains qui arrivent à Bressuire. Je ne vois rien de plus à te marquer. Tu embrasseras papa et maman pour nous. Je finis ma lettre en t’embrassant de tout cœur. Joséphine et petit Arsène se joignent à moi pour vous embrasser tous de tout cœur. Ton frère pour la vie et qui t’aime. Arsène Lefort.

Thouars le 26 juin 1895. Ma chère Marie. Je m’empresse de répondre à ta charmante petite lettre pour te remercier mille et mille fois. Je te dirais que le petit Arsène est revenu le lendemain de Bressuire. Il a toujours été gentil, il n’a pas pleuré du tout. Le lendemain matin il a demandé sa maman un peu, ils l’ont embrassé puis lui ont donné un gâteau, ça été fini. Tu vois que je ne mentais pas en te disant qu’il n’était pas méchant …. ? Une fois décidé, il n’a seulement pas regardé s’il nous voyait. Tu as vu si tout le monde qui le connaissait ne te disait pas qu’il était bien mignon. Ma chère Marie si tu savais, je suis jaloux pour chez nous qu’ils ne le voient pas qu’il est si gentil qu’il ne puisse pas profiter de ces petites gentillesses. Si j’étais plus riche je le ferais bien photographier mais il manque toujours quelque chose. Enfin dans quelque temps d’ici je tâcherai. Ma chère Marie tu ne me dit pas si papa a trouvé la petite goutte que je lui ai envoyée bonne. Je te remercie aussi pour la photographie mais ça m’étonne comme Albert et sa femme n’y sont pas. Et cette femme qui est à coté de toi c’est la femme à l’anglais ? Je n’ai plus songé non plus à te demander si Emile et Caillé étaient rentrés en famille. Je ne vois plus rien à te marquer pour l’instant. Nous sommes très heureux que tu ais fait un bon voyage. Tu embrasseras bien papa et maman pour nous et tu leurs demanderas à ce qu’il viennent nous voir à leurs tour. Joséphine et le petit Arsène se joignent à moi pour vous embrasser tous de tout cœur. Ton frère qui t’aime. Arsène Lefort. Je te dirais quand le petit Arsène a vu la photographie il s’est écrié ma tante et il t’a montré tout de suite.

Thouars le 11 août 1895. Ma chère Marie. Je m’empresse de t’envoyer ainsi qu’à papa et maman la photographie à Arsène. Tu verras que c’est bien lui. Seulement je te dirais que tu nous rends bien inquiets de ne pas avoir écrit depuis le temps. Nous ne savons pas quoi penser. J’ai toujours peur qu’il y ait quelqu’un de malade car je ne crois pas avoir fait de sottises. Tu vois que le petit Arsène a son petit habillement, qu’il lui va très bien ainsi que ces petits souliers. Ma chère Marie rends nous donc réponse le plus tôt possible. Nous avons fait photographier le petit Arsène à Bressuire. Je trouve qu’il n’est pas mal. Je finis ma lettre en t’embrassant de tout mon cœur. Joséphine et le petit Arsène se joignent à moi pour t’embrasser. Pareillement réponse le plus tôt possible. Ton frère qui t’aime et qui t’aimera toujours. Arsène Lefort.

Argenton l’Eglise le 1 septembre 1895. Ma chère Marie. Je écris ces quelques lignes pour te faire savoir que j’ai changé de domicile. Voilà aujourd’hui huit jours je suis dans une petite campagne à coté de Thouars car à Thouars il n’y a vraiment pas moyen de gagner sa vie. Il faudrait travailler pour rien. J’avais fait du travail sans le marchander à l’avance on m’en offrait un prix dérisoire. J’ai pensé que si je trouvais une bonne petite campagne je serais aussi bien qu’en ville. Si tu n’avais pas été si paresseuse à me faire réponse il y a déjà longtemps que je te l’aurais dit. Tu m’as rudement mis dans l’inquiétude. Je pense que cette ci tu ne seras pas si paresseuse et le petit Arsène réclame son vélocipède tous les jours, il le dit à tout le monde. Et j’espère que vous ne tarderez pas à venir voir ma nouvelle installation. C’est tout près de Thouars. Tu embrasseras bien papa et maman pour nous ? Tes frère et Sœur qui t’aiment ainsi que ton petit neveu. Arsène Joséphine et petit Arsène à Argenton l’Eglise (menuisier) Deux Sèvres. J’oubliais de te dire que je suis logé chez le patron, une inquiétude de moins pour le loyer. Ton frère qui t’aime. Arsène Lefort.

Argenton le 26 septembre 1895. Ma chère Marie. Je te dirais que nous avons reçu ton bicycle et ta photographie qui nous a fait bien plaisir, tu devrais dire à papa et à maman de s’en faire faire une pareille. Enfin j’ai été très content car je vois que tu m’aimes toujours. Je te dirais qu’Arsène ne quitte plus ses images car il est comme j’étais, il aime beaucoup les images. Pour son bonhomme nous ne pouvons le faire marcher, nous avons beau tourner la clé, il ne marche pas. Je te promets que si il ne lui arrive pas d’accident il en a pour un moment car li ne casse pas ses affaires. Son fusil que tu lui as acheté il l’a toujours et son képi il ne porte que ça tout le long des jours. Tu me demandes si Argenton est plus loin que Thouars, par la route ce n’est pas plus long seulement un chemin de fer on est obligé de descendre à Thouars et on a loin comme de Fleuriais à Saint Christophe à faire à pieds et avec cela il y a souvent des occasions. Ma chère Marie je te dirais que là je suis à mon bonheur. Je me suis bâti une niche, j’ai une mère lapine qui va avoir bientôt des petits. J’ai un petit bout de jardin où j’ai des beaux choux pomme. Mais dame je les arrose tous les soirs. J’ai aussi de la belle salade. L’année prochaine je ferai des pois des pommes de terre, pendant que l’on mangera cela l’on aura pas besoin d’en acheter. Car tu penses avec un héritier de plus que j’attends tous les jours il faudra y veiller. Mais pour le baptême on le fera rien qu’au beau temps prochain. Ma chère Marie j’espère que tu ne tarderas pas à venir nous voir, le temps m’endure et tu amèneras papa et maman. Je ne vois rien de plus à te marquer pour l’instant. Le petit Arsène t’envoie mille baisers et te remercie beaucoup et nous aussi. Nous sommes tous en bonne santé et désirons que la présente vous trouve de même. Tu embrasseras bien papa et maman pour nous. Tes frère et sœur et neveu qui t’aiment de tout notre cœur. Arsène, Joséphine, petit Arsène Lefort à Argenton l’Eglise Deux Sèvres.

Argenton l’Eglise le 31 octobre 1895. Ma chère sœur. J’ai attendu jusqu’à ce jour pour t’envoyer de nos nouvelles. C’était pour te dire de quoi j’hériterais. Nous avons eu une gentille petite fille que voilà une heure qui est au monde. Tout a été très bien jusqu’à présent. A minuit j’allais chercher la sage-femme, à 2h1/2 la pouponne était venue et bien viable je te promets. Tu sera mon interprète auprès de papa et maman et tu les prieras de venir avec toi voir cette nouvelle petite fille. Car je pense que tu ne vas pas être longtemps à venir nous voir. Le petit Arsène est toujours très gentil et a encore bien grandi depuis que tu l’as vu. Il raisonne maintenant comme un homme. Je pense qu’il va être content quand il va voir cette petite sœur. Il est couché chez le patron de ce moment. Je ne vois rien de plus à te marquer pour l’instant. Tes frère sœur neveu et nièce qui t’aiment. Arsène, Joséphine, Arsène et lucie Lefort. Car je te dirais que nous l’appèlerons Lucie. Tu n’oublieras pas d’embrasser papa et maman pour nous. Arsène Lefort menuisier à Argenton l’Eglise.

Argenton le 13 novembre 1895. Ma chère Marie. En réponse à ton honorée lettre qui nous a fait bien plaisir je te dirais que nous comptons sur toi samedi 16 courant. Je serai à la gare de Thouars à la même heure que l’autre fois que tu es venue. Ma chère Marie je te dirais que ça me fait bien plaisir, ce n’est pas qu’il nous gène mais je serais si content qu’il connaisse papa et maman enfin. Ma chère Marie je suis si content que je ne sais quoi te mettre et comme je te verrai samedi, embrasse bien papa et maman pour nous et remercies les pour nous. Je finis ma lettre ou mon griffonnage en t’embrassant de tout cœur ainsi que Joséphine le petit Arsène et la petite Lucie. Ton frère qui t’aime. Arsène Lefort. (de la main du petit Arsène : Ma chère marraine je t’envoie mille baisers ainsi qu’à grand-père et grand-mère, ton neveu et filleul Arsène Lefort qui est déjà enchanté d’aller voir toute la famille).

Argenton le 21 novembre 1895. Ma chère Marie. En réponse à ton honorée lettre qui m’a fait bien plaisir d’apprendre que vous aviez fait un bon voyage. Le mien n’a pas été si bon car j’ai perdu le parapluie que j’avais emprunté et tu penses si je bisquais. Etant monté dans la voiture j’ai voulu mettre le pardessus sur mon dos, j’ai mis le parapluie dans le fond de la voiture, faut croire qu’il a passé par-dessus car quand je me suis retourné il n’y avait plus de parapluie. J’ai bien retourné mais il avait pris des jambes. Enfin je suis tout de même bien content que le petit Arsène ait fait bonne figure. Tu me contes bien son arrivée à Cholet mais tu ne me contes pas celle de Mortagne. J’attends d’autres nouvelles avec impatience car tu dois penser que le temps me dure moi qui l’avait toujours à mes trousses. Je voudrais bien savoir s’il q’accoutume de mieux en mieux. Enfin tu embrasseras papa et maman sans oublier mon petit arsène. Je finis ma lettre en t’embrassant de tout mon cœur. Tes frère et sœur qui t’aiment. Arsène Lefort.

Argenton l’Eglise le 2 décembre 1895. Ma chère Marie. Je vois avec plaisir que le petit Arsène ne se fait pas de mauvais sang. De cela je me doutais bien car pourvu qu’on lui fasse bonne figure il sa moque du reste. Enfin tu l’embrasseras bien dur pour nous que je te promets que nous pensons parlons bien souvent de lui. Si petit Arsène était là il ferait ceci il dirait cela, enfin à tout moment on pense à ces petites conversations. Si j’entends les gamins crier dans la rue il me semble toujours l’entendre. Et je te dirais ma chère Marie que ma petite Lucie profite très bien, je crois qu’elle sera bien mignonne car elle s’est bien refaite, elle commence à rire,elle est très forte. Aussi tu embrasseras bien papa maman et petit Arsène pour nous qui je pense devait faire des embarras dimanche avec son habillement neuf dont je vous remercie beaucoup. Rien de plus à te marquer pour l’instant si ce n’est que je suis bien fatigué car ça presse de ce temps la et il faut veiller tard. Hier j’ai travaillé encore toute la journée. Joséphine et Lucie se joignent à moi pour t’embrasser. Ton frère qui t’aime. Arsène Lefort Menuisier à Argenton l’Eglise. Deux Sèvres. J’oublie toujours de te dire quand tu viendras d’apporter du tilleul si vous en avez. Réponse le plus tôt possible.

Argenton l’Eglise le 11 décembre 1895. Ma chère Marie. Je suis bien content de savoir que le petit Arsène est toujours en bonne santé et qu’il a l’air d’un petit monsieur. Il ne va pas avoir l’air d’être mon fils quand il va revenir. Je te promets que ça sera une grande joie pour nous le jour que nous verrons. Je te promets que nous sommes bien contents quand nous recevons de ses nouvelles. Elles sont attendues avec impatience et il n’y a pas rien que nous car la mère Gentil dit bien souvent et bien on va recevoir des nouvelles d’Arsène. Lundi jusqu’au curé qui toutes les fois qui passe me demande de ses nouvelles et il me dit toujours il est bien gentil et il est très intelligent car toute les fois qu’il le voyait il courait lui dire bonjour. Quand je vais chercher du pain j’en trouve toujours quelques unes qui me disent vous n’avez plus votre petit commissionnaire pour aller chercher votre pain avec sa brouette. Il me faisait pourtant bien rire, les autres me disent vous n’avez plus votre petit garçon pour aller chercher le lait, il était pourtant bien rigolo avec son bidon aussi grand que lui. Il ne passe pas de jour sans que quelqu’un m’en parle. Ma chère Marie si tu voyais notre petite Lucie comme elle a bonne envie de vivre, ça fait plaisir je te le promets qu’elle a les joues plus remplie que moi à proportion. Rien de plus à te marquer pour l’instant tu embrasseras papa et maman pour moi sans oublier le petit Arsène. Joséphine et la petite Lucie se joignent à moi pour vous embrasser de tout cœur. Ton frère qui t’aime. Arsène Lefort menuisier à Argenton l’Eglise (Deux sèvres). Tu ne nous dis pas si Arsène s’entend bien avec Marguerite.

Argenton le 25 février 1896. Ma chère Marie. Je fais réponse à ta lettre. Tu me dis que tu trouves que je suis long à vous écrire. Tu m’excuseras car moi j’attendais également que tu m’écrives pour te faire réponse, car je croyais que c’était à toi de m’écrire pour me dire si vous aviez fait un bon voyage. Ma chère Marie si j’ai été trois semaines à vous écrire je n’ai peut-être pas été encore assez longtemps pour réfléchir car je ne suis pas sur de faire un petit journal comme le tien. Tu m’excuseras si je ne rend pas réponse à toutes tes questions que tu me pose mais tu comprends ça demande réflexion. Tu ne me dis seulement pas si vous avez fait un bon voyage, si vous êtes en bonne santé. Enfin je te dirais que mon retour à Argenton a été excellent. J’ai trouvé une voiture à ? qui m’a emmenée jusqu’à Argenton. Le petit Arsène est toujours en bonne santé, nous l’avons pesé dans la semaine qu’il est arrivé, il pesait une livre de plus qu’à Mortagne. Il parle souvent de son grand-père de sa grand-mère et sa tante Marie et de son parrain et de sa marraine puis d’Alexis. Si on chante une chanson que maman chante il dit que c’est sa grand-mère qui l’a chante ça. De l’heure qu’il est sa mère en entrain de le déshabiller pour le coucher il dit qu’il a quitté la ? à Grand-mère lui aussi, si on l’appelle pignouffe il dit que c’est son grand-père qui dit ça, si on le dispute il dit qu’il ne viendra plus là qu’il s’en ira chez son grand-père, enfin tout un tas de petites conversations qu’il nous raconte toujours vous concernant. Je te dirais qu’il boulotte bien de ce temps la car il va presque tous les jours se promener par les champs soit avec la patronne ou la mère à Charlotte. Dimanche dernier nous avons été à l’herbe avec moi. Il avait pris son panier de pèche car nous avons ramassé aussi une salade mais il a eu un gros chagrin car il a buté et tombé sur son panier. Il avait faussé un peu la couverture il croyait qu’il était cassé, je ne croyais jamais le raccorder et c’était le marchand qui était un méchant. Aujourd’hui il nous a dit qu’il avait été porter du chocolat à tante Zoé et puis un gâteau, qu’il avait vu une femme qui avait mal au front. Enfin je finis car la place me manquerait. La petite Lucie profite toujours bien, seulement Arsène la réveille bien souvent, il dit qu’il faut pas qu’a dorme. Joséphine et moi nous portons bien et désirons que la présente vous trouve de même. Tu embrasseras bien papa et Maman pour nous. La petite Lucie et le petit Arsène se joignent à nous pour vous embrasser tous de tout cœur. A ta prochaine lettre tu nous diras si papa s’accoutume bien à la cave et si l’anglais ne fait pas des boulettes. Tes neveu, nièce, frère et sœur qui t’aiment. Arsène Lefort.

Argenton le 9 août 1896. Ma chère sœur. Je t’écris ces quelques lignes pour te faire savoir de nos nouvelles et en recevoir des vôtres. Nous sommes en bonne santé et désirons que la présente vous trouve de même. Tu m’excuseras si j’ai été si long à t’écrire mais je n’en avais guère le temps car je ne travaille plus chez Gentil depuis la fin du mois de mai. Il n’avait plus d’ouvrage et il n’en a pas encore. Je ne compte pas qu’il en ait avant le beau temps prochain. Depuis cette époque la j’ai fait le charpentier et je te promets que c’est bien fatiguant car nous allons travailler en campagne. Il y a plus loin que de Mortagne à Saint Laurent. Nous partons le matin à 4 heures et nous sommes de retour avant 9 heures I/2. Ainsi tu vois que je n’avais guère le temps d’écrire. Encore dans l’intervalle de ce temps la j’ai eu un abcès dans l’oreille qui m’a duré 15 jours, car au bout de deux ou trois jours j’ai voulu reprendre à travailler j’en ai attrapé un autre. Une fois guéri ça été le tour des gamins et de la mère, a fallu prendre une femme et journée car Joséphine ne pouvait pas se lever. Enfin nous sommes tous rétablis de ce moment. J’ai toujours de la chance quand je compte il faut décompter et cet hiver je ne sais pas comme elle se passera, moi qui me voyais à hauteur pour la passer. Je pensais avoir tout plein de pommes de terre, j’en ai ramassé à peu près 2 boisseaux. Il a fait si sec, enfin qui vivra verra, nous en avons bien passé d’autres, nous passerons peut-être cela. Je te promets q’Arsène a rudement grandi et Lucie aussi qui est très forte, seulement de ce temps la elle est dérangée par ses dents, elle en a que deux. Je ne vois plus rien de plus à te marquer pour l’instant. Tu embrasseras bien papa et maman pour nous tes frère et sœur neveu et nièce qui t’aiment. Arsène Lefort menuisier à Argenton l’Eglise (Deux sèvres). A la prochaine lettre sois plus économe mets en au moins pour tes trois sous. Ton frère Arsène Lefort.

Argenton le 19 octobre 1896. Ma chère Marie. En réponse ton honorée lettre qui m’a fait bien plaisir tu m’excuseras ma fainéantise de ne pas vous avoir écrit plus tôt. Je te dirais que dieu merci nous nous portons bien et désirons que la présente vous trouve de même. Je te dirais que je travail chez Gentil de ce moment. Je suis mieux que cela j’ai deux patrons de ce temps la car Gentil n’aura peut-être pas de l’ouvrage pour m’occuper tout l’hiver. J’en ai cherché autre part. J’en ai trouvé à Cersay à huit Km d’Argenton, de sorte que je vais quinze jours chez l’un quinze jours chez l’autre et le temps se passe. Gentil me dit qu’il pense m’occuper tout l’hiver mais j’aime mieux ménager la chèvre et le choux, de sorte qu’en deux j’espère bien en avoir pour tout l’hiver, puis ce serait la première fois que je manque d’ouvrage. Ma chère Marie je te dirais que nous sommes sortis de la maison où nous étions, tu penses madame Gentil était fatiguée de nous voir car il m’a donné pour raison que son beau-frère était malade et qu’il allait venir y demeurer. Déconvenue honnête, je te promets que je ne lui ai pas caché. Je lui ai dit à madame Gentil que ça l’ennuyait parce qu’a ne pouvait pas se disputer à son aise, que tous les locataires qu’ils avaient eu ç’avait été pareil. Et tu penses, je ne comptais pas y retravailler car dans le moment j’étais encore charpentier. J’y suis rentré la semaine d’après et maintenant nous sommes à qui mieux mieux. Je te promets que je n’ai pas perdu au change car j’ai une belle petite maison, deux chambres basses et un grand grenier et un beau petit jardin et je paye 60 francs de loyer au lieu de 96 Frs, seulement je suis bien gênéUn peu de ce temps là car la propriétaire n’est pas d’Argenton et elle a voulu que je lui paie les premiers six mois mais maintenant je ne devrais 30 Frs qu’à la fin d’août, j’aurai le temps de m’y revoir. Mais je te promets que je suis à la cote de ce temps car j’avais deux mois à payer de l’autre ferme, une corde de bûches de 35 Frs que j’ai rentré voilà quinze jours. Enfin nous sommes logés et nous avons de quoi nous chauffer c’est bien le diable si je ne gagne pas notre pain. Ma chère Marie si tu voyais Arsène tu le connaîtrais plus tellement il a grandi c’est presque un homme maintenant, ainsi sa jaquette de nuit que vous lui avait faite qu’il était obligé de relever pour marcher, je te promets que maintenant il ne marche pas dessus. Lucie est bien grande aussi pour son âge, elle est plus grande qu’était Arsène et tu parles d’un petit diable. Je n’ai jamais vu ça pareil, elle commence à marcher toute seule. Tout ça, ça pousse, ça donne courage à travailler. Si tu avais seulement un vieux morceau d’affaire à toi pour lui faire une robe pour ses tous les jours car elle n’en a pas et comme je l’ai dit nous sommes très gênés de ce temps là. Si vous voulez venir me voir vous me ferez plaisir car le temps nous dure de ne pas vous voir. Tu embrasseras papa et maman pour nous. Tes frère sœur neveu et nièce qui t’aime. Arsène Lefort. Ma chère Marie je te remercie de ton timbre mais quand même m’en aurais tu pas mis je t’aurais bien écrit quand même. Les gosses roupillent. Je termine car je m’en vais me coucher sitôt que Joséphine aura repassé ma chemise.

Bressuire le 21 mars 1897. Ma chère Marie. Excuses moi du retard que j’ai mis à vous faire savoir de mes nouvelles. C’est rapport au changement, car je suis retourné à Bressuire. Quoique je regrettais ? bien de partir de la bas car je m’accoutumais bien, mais qu’est ce que vous voulez il n’y avait plus d’ouvrage, il fallait que je cours dans les campagnes. Encore en dernier je ne faisais pas mes journées complètes. Aussi j’ai été pendant plus d’un mois que je ne gagnais que 20 sous par jour. Je suis à Bressuire depuis le 1er février, seulement je suis emménagé que depuis dimanche dernier. Ce qui nous a arrangé c’est que nous avons resté jusqu’à ce jour chez mon beau-père de sorte que nous avons pu ramasser quelques sous pour déménager. Je te promets que ça m’en coûtais beaucoup de déménager de la bas car je m’accoutumais très bien, seulement il se sont mis après moi, tu seras mieux ici que la bas, tu es dans le centre de ta famille, ce qui est bien vrai car si nous sommes malades l’un ou l’autre la bas nous n’avions personne. Comme pour vous ça sera bien pour venir nous voir un de ces jours. Ce n’est pas loin maintenant. Je suis bien content que vous preniez une épicerie, l y avait longtemps que j’y avais songé. Je suis bien content aussi que l’anglais n’est plus dans la manche du patron ça lui fera peut-être voir clair un peu. Rien de plus à vous marquer pour l’instant. Nous sommes tous en bonne santé et désirons que la présente vous trouve de même en attendant le plaisir de vous voir bientôt vos enfants qui vous aiment. Arsène Joséphine petit Arsène Lucie Lefort. J’espère recevoir de vos nouvelles bientôt car je suis toujours content d’en recevoir. Si je suis négligent à vous écrire il faut me pardonner ça dépend des circonstances. Arsène Lefort menuisier rue des religieuses 16 Bressuire (2 Sèvres).

9 - Les amours de Marie

9.1 - Les demandes en mariage

Commercy le 5 août 1894. Monsieur et Madame LEFORT. Vous allez peut-être vous trouver bien étonné quand vous saurez de quoi il s’agit sur cette missive. Pardonnez moi la liberté que je prends de vous écrire car je ne puis résister au grand désir de vous faire savoir le fonds de ma pensée. Aussi aujourd’hui je me permets de vous envoyer cette lettre pour en connaître votre assentiment dont j’espère bien que vous ne me refuserez pas de me le faire connaître. Voici de quoi il s’agit. Il me reste encore 2 mois à faire pour être libéré du service militaire ensuite j’ai l’intention de rentrer dans la gendarmerie à pieds. C’est très bien mon idée et encore mieux celle de mes parents. Seulement comme l’on ne peut pas y rentrer avant 25 ans accomplis je suis obligé d’attendre mon âge et ma place ce qui ne tardera pas beaucoup à venir. J’ai 24 ans ½ il me reste donc 6 mois à attendre et ensuite ma place ne sera pas éloignée. Maintenant que je vous ai parlé de ma situation pour l’avenir je vais vous parler d’une chose de la plus grande importance. Lorsque je suis allé vous voir la semaine dernière j’ai été enchanté de vous trouver tous en bonne santé sans oublier votre demoiselle que j’ai trouvé très bien portante et très gentille. Aussi ai-je été pris d’une très vive sympathie pour elle. Déjà un certain temps s’est écoulé depuis que je vous ai vu tous. Et cependant cela me revient toujours à la mémoire. Je me rappellerai longtemps le bon accueil que j’ai reçu de vous. Vous étiez tous empressés à recevoir chez vous un jeune homme que vous comptez comme de vos amis. J’ai toujours fait vis-à-vis de vous ce que j’ai pu pour mériter ce titre d’ami. Bien des gens envient votre sort, celui d’avoir pour enfant une jeune fille qui réalise toutes les perfections. Elle a toutes vos qualités car je reconnais en vous d’honnêtes et braves gens. Ce qui me frappe le plus en elle c’est ce joli profil de jeune fille et chaque fois que j(y pense mon cœur se serre à la pensée que le cœur de votre demoiselle a peut-être été promis à quelqu’un. Si toutefois je pouvais mériter sa confiance et son estime que je serai heureux, car celui qui sera aimé de votre fille sera le plus heureux que je puisse penser. Permettez moi de vous parler si franchement, c’est que la sympathie que je porte à votre fille est très vive c’est ma main qui l’écrit et mon cœur qui parle. J’espère que vous voyez en moi un jeune homme raisonnable rangé et sérieux en un mot un jeune homme sur qui l’on peut compter. D’ailleurs les quelques petits défauts que je puise avoir, l’amitié de votre fille me les fera passer car pour elle je me sens capable de faire l’impossible. Permettez moi de vous avouer ma pensée si franchement je ne puis attendre plus longtemps et j’espère que vous fiant en moi, un jeune homme qui ne demande qu’à aimer votre demoiselle et vous respecter. Voulant devenir l’ami de votre demoiselle il est de mon devoir de vous demander à vous l’autorisation de lui écrire. Vous-même serez les juges de notre correspondance. Je suis en attendant de vos nouvelles aux premiers jours. Votre tout dévoué qui vous aime sincèrement. Loizeau Victor. Sous-officier au 162ème de ligne 10ème compagnie à Commercy (Meuse).

Au Thouet d’Evrune lettre non datée. Ma chère Marie. Je me permets de vous écrire. Je serais heureux que l’offre que je viens vous faire d’unir mon sort au vôtre ne soit pas repoussée. Si vous daignez l’agréer vous me ferez plaisir. Vous connaissez sans doute mon caractère qui doit vous assurer que la promesse que je fais doit consacrer ma vie à votre bonheur. Depuis que j’ai le bonheur de vous connaître j’ai senti que vous étiez nécessaire à ma fidélité et je mettrais tous mes soins pour ne pas vous déplaire si vous m’accordez votre main. Je crois que vous n’aurez pas lieu de vous en repentir. Ayez la bonté Mademoiselle Marie d’accepter ma proposition. En attendant le plaisir de recevoir une réponse j’ai l’honneur de vous saluer. Brochu Meunier au Thouet chez monsieur Bodet. Je termine en faisant des vœux sincères pour votre bonheur et le mien en vous chargeant de présenter mes compliments à votre père et à votre mère.

9.2 - Les billets de Marie et Gustave

Saint Amand le 23 juillet 1897. Chère Marie. J’espère que vous ne m’en voudrez pas d’avoir tant tardé à vous écrire. Voila trois semaines que je vous ai vu et le temps me semble long. Aussi j’irai à Mortagne le premier d’août et si toutefois vous n’y étiez pas vous pourriez me le faire savoir, je pourrais retarder de huit jours le plaisir de vous voir. J’écris à Auguste Robert même temps qu’à vous. Je croyais toujours qu’il m’aurait écrit comme il m’avait demandé mon adresse. Mais je n’ai reçu et s’il y a du nouveau je vous dirai cela dans huit jours avec mille et mille choses que j’ai à vous dire. Je suis en bonne santé et j’espère que vous aussi. Que votre père et votre mère sont ainsi. En attendant le plaisir de vous voir recevez mille choses de celui qui vous aime. G.Blandin.

Saint Amand le 13 août 1897. Bien chère Marie. Je ne puis laisser passer l’anniversaire de votre fête sans venir vous offrir mes meilleurs vœux et souhaits de bonne et heureuse fête. J’aurais préféré vous les offrir de vive voix mais comme je ne peux pas, veuillez donc les accepter comme tels et partant d’un cœur qui vous aime. Pour du nouveau je n’en connais pas beaucoup si ce n’est que je m’ennuie fort. Je voudrais bien être à Mortagne pour être ^plus souvent prés de vous. Aussi j’attends une aimable lettre de vous avec impatience car si l’on ne peut se causer en vous lisant ça me fera bien plaisir. Souhaitez bien le bonjour de ma part à vos parents ainsi qu’à votre neveu et n’oubliez pas Caroline et Pascal. Je termine en vous embrassant comme je vous aime. G.Blandin.

Saint Amand le 25 août 1897. Chère Marie. Pas moins étonné que vous d’apprendre mon mariage. Je puis toujours vous certifier qu’entre moi et la demoiselle dont vous voulez bien parler il n’a jamais été question pas plus qu’avec aucune autre depuis que je vais avec vous. Il faut tout de même que vous ayez mauvaise opinion de moi pour me reprocher de me ficher de vous. Pourtant quand je vais à Mortagne je passe le plus de temps possible près de vous et vous répèterais-je encore que je vous aime. Mais non parce que vous diriez encore que mes paroles sont menteuses. Et vous mettez encore sur le prétexte de déplaire à ma fiancée le refus de vous accompagner à Nantes. Je crois pourtant me rappeler vous avoir dit la raison pourquoi je ne vous accompagnerai pas. Mais vous me cachez la vérité en me disant que vous venez d’apprendre la nouvelle qui vous a fait m’écrire. Car samedi soir quand je vous demandais si vous iriez à la noce à Rosalie vous m’avez répondu d’une façon qui me fait douter que vous le saviez. Vous auriez mieux fait de me le dire, l’on aurait du moins pu s’expliquer un peu mieux. Si vous croyez toujours la nouvelle après mon démenti je n’ai plus qu’à vous dire adieu. G.Blandin.

Mortagne le 27 août 1897. Cher Gustave. De ma pratique, mais cette fois c’est pour vous dire que je vous crois. Vous dites que je le savais samedi, si je l’avais su je vous l’aurais dit. Car je ne pouvais pas garder ça pour moi, il fallait que je me ? Pour les noces de Rosalie. Je ne me rappelle pas ce que je vous ai dit pour faire croire que je le savais. Enfin c’est peu de chose et je pense bien que vous ne m’en voudrez pas trop. Je crois bien que vous m’aimez encore un petit peu. Pour moi je vous aime bien et je pense que quand vous viendrez à Mortagne que vous ferez comme par le passé et vous viendrez me faire une petite visite. Mais si vous venez dimanche en huit comme je vous l’ai dit je n’y serai pas car je serai en promenade. Autre nouvelle qui va bien vous surprendre c’est le mariage de Caroline qui se marie le 20 septembre. Mais je vous assure que ça ne va pas très bien car la mère Pascal ne veut pas donner son consentement. Si vous entendiez tout ce qu’elle dit ça fait frémir. Je ne vous le dis pas car ça serait trop long. Quand vous viendrez je vous en dirai plus long. Je pense que je vais aller aux noces mais ils n’en font pas beaucoup. Elle regrette bien de ne pas pouvoir vous inviter et moi encore plus. Enfin je m’arrête car je commence à m’endormir. L’heure s’avance et je vais de ce pas aux amours chez Mr Fonteny chercher mon père et ma mère ainsi que mon neveu. Pour vous raccorder en terminant je vous embrasse bien fort. Marie Lefort.

Saint Amand le 30 août 1897. Bien chère Marie. J’attendais avec impatience l’arrivée de votre lettre car il me tardait de savoir si je pouvais encore espérer. Mais je vois que vous êtes revenue à de meilleurs sentiments à mon égard. Pour moi vous êtes celle que j’aime et aimerai toujours. Avec toute cette vilaine affaire vous n’avez pas eu le temps de me raconter votre voyage des Sables. Car je ne doute pas que vous y avez vu beaucoup de belles choses et eu bien du plaisir. Pour le mariage de Caroline je ne croyais pas que ce serait de si tôt. Pourtant l’autre Pascal qui avait dit que c’allait marcher au plus vite. Mais puisque vous y êtes invitée vous ferez pas mal d’y aller, Caroline ne serait pas contente si vous n’y allez pas. Chère Maire comme vous allez en voyage dimanche je n’irai pas à Mortagne. Et je ne sais même pas quand j’irai car la famille le Planchot doit venir dans la quinzaine de septembre et s’ils s’y trouvaient le dimanche j’en profiterai pour aller les voir. Sans vous oublier car j’aurai toujours pour vous rendre visite puisque vous le voulez bien. Je vous écrirai d’ici là quand j’irai et ne m’oubliez pas car vos charmantes missives sont toujours les bienvenues. En attendant le plaisir de vous voir recevez mes meilleurs baisers. G. Blandin. Bien le bonjour à vos parents et votre neveu ainsi qu’au futurs époux.

Mortagne le 7 septembre 1897. Cher Gustave. Si je ne vous ai pas écrit plus tôt c’était pour vous raconter un peu mon voyage de Nantes qui je vous assure a été très bon ainsi que celui des Sables. Mais je vous assure que le temps n’était pas bien favorable car il a tombé de l’eau toute la journée. Cependant dimanche j’ai bien fait 10 kilomètres pour aller voir une fête de charité qui avait lieu dans un château sur la route de Rennes. C’était bien joli il y avait six cents musiciens et des jeux de toutes sortes. Je suis bien contente que vous veniez aux noces de Caroline. Je pense que l’on aura bien du plaisir mais je pense que vous n’avez pas bien compris la date car ils m’ont dit que l’on se reverrait d’ici la. Donc c’est le vingt septembre c'est-à-dire de lundi en huit. Je vous dirais aussi, vous le savez peut-être que votre oncle tante et cousine Planchot sont arrivés ce soir. Je ne vois rien de plus à vous marquer pour le moment. Je suis en bonne santé et je désire que vous soyez de même. Je fini mon affreux griffonnage en vous embrassant de tout mon cœur. Marie Lefort. J’oubliais de vous dire que j’ai apporté un beau petit chien de Nantes qui s’appelle Divine et nous avons fort à faire avec griffonne qui est toujours prête a sauter dessus.

Saint Amand le 10 septembre 1897. Bien chère Marie. Je vous écris deux mots pour vous dire que j’espère aller dimanche à Mortagne. Si je n’arrive pas trop tard samedi j’avancerai jusque chez vous ou si non j’irai vous voir dimanche. Pour les noces de Caroline j’avais toujours compris que c’était le 20 et quand même la famille Planchot n’y aurait pas été j’y aurais toujours été. Avant la noce rien de plus pour ce soir, à dimanche la plus longue écriture. Excusez mon griffonnage je la fait à la chandelle et il se fait déjà tard. En attendant le plaisir de vous voir recevez le meilleur baiser de celui qui vous aime. Tout à vous. G. Blandin. Bien des choses à vos père et mère et au grand neveu.

Mortagne le 28 septembre 1897. Cher Gustave. Ce matin je profite d’être chez nous pour te donner un petit détail de la noce qui je t’assure ne valait pas celle d’il y a huit jours. Car c’était tout ce qu’il y avait de plus paysan. Quand on dansait ça marchait encore mais à table je regrettais beaucoup de ne pas avoir mon petit cavalier de huit jours. Tu n’as pas été oublié car Brochard m’a embrassé plusieurs fois en me disant que ce n’était pas pour lui mais pour Gustave. Mais ça ne fait tout de même pas le même plaisir. Aujourd’hui je pense que l’on va aller à Tiffauges conduire la famille de la mariée. Je ne t’en marque pas plus long car Brochard vient pour me chercher. Quant ils sont arrivés j’étais à écrire. Ils m’ont demandé si c’était à mon galant que j’écrivais, j’ai dit que oui et je t’assure que Robert qui était présent a fait une drôle de tête. Je n’ai dansé qu’une polka avec lui. Quand il venait me demander à danser je lui disait toujours qu’il était trop tard et je me sauvais en chercher une autre. Je finis, quand on se verra on en parlera mieux et je pense que l’on aura ce plaisir bientôt. Je t’embrasse comme je t’aime. Marie Lefort. Mon père et ma mère ainsi que mon neveu te souhaite bien le bonjour.

Saint Amand le 3 octobre 1897. Bien chère Marie. Tu m’excuseras du retard que j’ai mis à répondre à ta charmante lettre qui m’a fait bien plaisir. Mais je regrette que tu n’ais pas eu de plaisir aux noces. Pourtant vous étiez nombreux et plus il y a foule plus l’on rit. Tu me dis que tu n’as pas accepté les invitations d’Auguste c’est peut-être à tort de l’avoir refusé/ Il peut en être contrarié. Mais je ne veux pas t’en faire un reproche loin s’en faut. Chère Marie voilà bientôt quinze jours que je n’ai pas le plaisir de te voir et même je n’en sais rien pour quand ça sera. J’irai peut-être à la Saint Denis dimanche. Si j’y vais-je n’irai pas à Mortagne. Je partirai d’ici en voiture et au retour par la même occasion. Si je me décide je te le ferai savoir et peut-être iras-tu aussi. Rien de nouveau dans le beau patelin de Saint Amand mais tu dois avoir bien des choses à me raconter de Mortagne. Etant toujours en bonne santé je souhaite que toi et ta famille vous êtes de même et n’oublies pas de leurs souhaiter le bonjour de ma part. En attendant le plaisir de t’embrasser, reçois mon meilleur baiser. Tout à toi. G. Blandin. PS Adresses ta lettre à Saint Amand par Châtillon Sur Sèvre car la dernière s’est promenée 4 jours.

Mortagne le 11 octobre 1897. Cher Gustave. Si je suis un peu en retard à faire réponse à ton aimable lettre c’est que je pensais te voir à la Saint Denis mais j’en ai été pour mes frais car je n’ai jamais pu t’y rencontrer. Si tu y étais tu étais bien petit car j’ai vu tout le monde de Mortagne excepté toi. Et pourtant j’ai du nouveau à te raconter une grande nouvelle que tu connais peut-être mieux que moi mais si tu ne l’a connais pas je vais te l’apprendre. Et bien c’est le mariage de ton ami Prosper avec Marie Fonteny. Ce n’est pas vieux c’est de dimanche dernier. Il a été faire la demande aux amours et juge un peu de ma surprise quand arrivant hier au soir de Cholet j’ai vu monsieur Prosper bien installé chez nous. Enfin si tu ne veux pas être garçon d’honneur dépêche-toi a te marier avant lui car c’est tout désigné mais rassure toi ce n’est pas pour demain. Il ne faut pas avoir trop grand peur du reste quand tu viendras on parlera mieux de ça. Cher Gustave je pense aussi aller par chez vous sous peu de temps car j’attends tous les jours une nouvelle pour aller assister au baptême de mon futur neveux (ou nièce) car c’est l’Alexis Fonteny qui est le parrain et je vais l’accompagner. Si ça te faisait plaisir de venir voir mon frère car tu est à moitié chemin je t’inviterais bien mais comme je sais que tu n’y viendras pas. Je ne t’en marque pas plus long car les yeux commencent a me faire mal. Je viens de pleurer et je t’assure que je ne suis pas bien encore. L’on vient de perdre notre voisin Guitton. Le père vient de mourir tantôt à une heure et il faudrait avoir le cœur bien dur pour ne pas prendre pitié pour cette pauvre femme qui reste seule avec ses enfants. Je m’arrête car je commence a avoir la main fatiguée et il faut en garder un peu pour quand on se verra qui je l’espère sera bientôt. Je finis en t’embrassant comme je t’aime c'est-à-dire de tout mon cœur. Marie Lefort. Mon père et ma mère te souhaitent bien le bonjour.

Saint Amand le 16 octobre 1897. Bien chère Marie. Il est vrai que j’attendais une lettre de toi depuis quelques jours car elles me font toujours plaisir. Surtout avec la grande nouvelle que tu m’apprends qui m’a surprise autant que toi car j’étais loin d’y penser car Prosper ne m’en avait jamais parlé. Tu aurais été bien en peine pour me voir à Cholet dimanche. Je suis allé à la crevasse depuis quinze jours. J’ai attrapé un rhume c’est pourquoi je n’y suis pas allé et je n’irai pas à Mortagne avant la Toussaint. Plus rien que quinze jours sans te voir aussi le plaisir en sera-t-il que plus grand. J’espère que vous en garderez bien une petite dragée du baptême de ton futur neveu car si tu attends la nouvelle, le voyage sera bien fait quand j’irai à Mortagne. Rien de nouveau à te faire part en attendant le plaisir de te lire, je t’embrasse bien fort. Tout à toi. G.Blandin. Bien des choses chez toi ainsi qu’aux amoureux.

Mortagne le 21 octobre 1897. Cher Gustave. Pour commencer je te souhaite une meilleure santé, que ce vilain rhume soit guéri. J’étais bien contente de recevoir de tes nouvelles mais je m’attendais un peu à te voir car voilà déjà quatre semaines que nous nous sommes vus. Tu ne dis pas si c’est pour rester que tu viens à la Toussaint. Sur ta prochaine tu me le diras et j’espère que ce sera oui. Je n’ai pas grande nouvelle à t’apprendre aujourd’hui si ce n’est que probablement ton filleul est venu te voir hier car j’ai vu ta belle sœur avec sa petite fille. Cher Gustave les amours à Prosper vont toujours très bien, il va venir vendredi nous chercher Marie Fonteny, Joséphine et moi pour nous tenir compagnie pour aller aux amours. Il te souhaite un grand bonjour. Je termine en t’embrassant de tout mon cœur. Ton amie qui t’aime. Marie Lefort.

10 - Dans la boite aux souvenirs de Marie

Au fond de la boite un vieux porte plume et sa Sergent Major; c'est celui de Marie. Combien de pensées a-t-il vu défiler au soir à la chandelle puis sous la pale lumière de la fée électricité? Il garde son secret comme Marie gardait dans sa boite à souvenirs les écrits de ses correspondants. Les nouvelles des parents lointains, les bons voeux de bonne année de ceux qui l'aimait, ou l'expression d'un fils aimant .

11 - La quête du temps passé

11.1 - Une naissance en 1906 A Cholet

Hier encore, Marie, le ventre rond, s’affairait dans sa boutique, Alice et sa poupée accrochée à ses jupes. C’était un samedi comme les autres dans sa petite épicerie de quartier avec quelques clientes pour un litre d’alcool à brûler, une boite d’allumettes, une vingtaine de grammes de poivre moulu, une fiole d’eau de Cologne ou encore une plaque de chocolat Poulain avec une image pour les p’tiots. Elle a droit bien entendu aux commentaires de l’une ou l’autre sur la santé de leur dernier né. Elle a aussi passé commande auprès du voiturier du grossiste ; la maison Coubard et Masson, pour le lundi suivant.

La commande est modeste, le petit commerce n’est pas florissant ; les faibles salaires du textile, les grèves corporatives et bien d’autres misères : 10 litres d’alcool à brûler pour, 5,50 Frs, 2 paquets d’allumettes à bout rouge pour 3,80 Frs, 1 paquet de savons à 3,25 Frs, 5 paquets de lessive Phénix pour 1,50 Frs, 500 gr de poivre moulu pour 2 Frs, 5 Kg de Gros sel pour 0,75 Frs, 2 Kg de sel fin pour 0,40 Frs, 35,500 Kg de sucre en pain pour 22,01 Frs, 3 Kg de chocolat Poulain pour 7,80 Frs et un demi litre d’eau de Cologne à 2,25 Frs, le tout à ajouter à sa note de fin de mois.

En ce dimanche 27 mai, elle s’est éveillée tôt, et fébrile elle a poussé du coude Gustave, son charpentier de mari, au sommeil de plomb après une journée de dix heures sous un soleil printanier. Il faut conduire Alice chez ses grands parents route de Nantes, passer chez la sage femme, Madame Brard, rue Nationale en face du grand café, exerce-t-elle toujours ? Marie a préparé son linge déjà depuis quelques jours et avant de partir son cher homme allumera le feu, mettra l’eau à chauffer dans la grande bassine émaillée. C’est bientôt l’heure du grand évènement tant attendu Boulevard Guy Chouteau.

La demoiselle ne s’est pas faite attendre. A onze heures elle était là toute menue et braillarde. On avait espéré un garçon, mais la petite est mignonne, sans hésitation ses petits poings ont trouvé le sein de Marie pour sa première tétée. Pour consoler le grand-père Lefort on la prénommera Arsène comme lui, prénom auquel on ajoutera ceux de ses grands-mères. Et c’était déjà convenu ; il sera le parrain. Il était venu aux renseignements après la soupe de midi, il est heureux et s’en va colporter la nouvelle à sa bonne Marie, à sa sœur Eugénie et à ses neveu et nièce Les Gaultier de la rue de la Sardinerie.

Il passe aussi chez le voisin qui lui prête le Petit Courrier, un quotidien à 5 centimes d’Angers.Celui du jour ne déroge pas aux règles journalistiques ; catastrophes, faits divers et potins locaux. Il s’amuse pourtant de l’aventure survenue à Sarah Bernhardt. Le train qui l’emmène vers San Franscisco, qui tente d’oublier le tragique tremblement de terre d’avril, déraille sans gravité. La belle actrice qui prenait son bain dans son compartiment luxueux est éjectée de sa baignoire. Il se souvient de son périple en 1896 à Paris, la Tour Eiffel, l’opéra, le théâtre de la Renaissance où régnait la comédienne adulée par Nadar et Mucha.

Le lendemain de ce beau jour Gustave descend le Boulevard Richard Pour être à dix heures à la mairie et déclarer l’enfant. Deux amis menuisiers l’accompagnent. Le Maire Marie-Baudry est là, il félicite le père laissant au secrétaire le soin de compléter de sa belle écriture le registre des naissances. Les témoins se prêtent à l’exercice des signatures, Gustave « paraphe », le maire authentifie l’acte de sa signature publique. Puis Gustave et ses deux compagnons s’empressent de quitter les lieux, il leurs reste à fêter l’évènement au petit troquet habituel en compagnie d’une fillette ou deux de vin de Loire.

Gustave est plutôt de caractère indépendant, ennemi des contraintes, Marie assez partisane des traditions. On s’implique sans passion ni excès dans une vie chrétienne et l’on baptiste ses enfants. Arsène sera baptisée le 10 juin sans cérémonie dans l’église de Notre Dame de Cholet. Autour des fonds baptismaux on retrouvera Gustave et Marie, Arsène Lefort et Marie Ferchaud, Eléonore la mère de Gustave, Eugénie la sœur d’Arsène et le couple Auguste Gaultier. Auguste, professeur de musique qui dirige parfois l’Harmonie Choletaise, et son épouse habitent à l’ombre de Notre Dame.

Pour le clergé la période est difficile. La loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat a jeté le trouble dans la communauté catholique. La tragédie d’il y a cent ans est encore dans les esprits en Vendée et dans les Mauges. L’inventaire des biens en février provoque des révoltes. Clemenceau alors ministre de l’intérieur en reporte l’exécution dans les endroits les plus chauds comme à Beaupréau ou au Pin en Mauges. Il a d’ailleurs d’autres chats à fouetter avec la catastrophe de Courrières et les grèves qui s’en suivirent. Les choletais retrouve le chemin de l’église en s’accommodant des nouvelles règles.

Le nourisson profite. C’est un bébé éveillé avec de bonnes joues, des menottes et des petons potelés. Au fond du magasin à l’abri de l’été caniculaire, Alice lui tient conversation, babillage et papotage sont au menu auquel participe la poupée de bois dont la grande sœur ne se sépare pas. De son comptoir Marie jette un œil attentif. Les mois s’égrainent chauds et secs jusqu’à octobre qui bat des records de température et seuls les dimanches de bonheur en famille viennent soulager les longues semaines de soixante heures de travail pour Marie et Arsène Lefort aux textiles Brémond et pour Gustave sur ses chantiers.

Et la petite Arsène reste bien le centre de cet univers familial. Bon, elle n’a pas très apprécié la séance de vaccination à l’école des garçons rue Marceau. Le jeune médecin Pissot n’a pourtant pas l’air bien méchant, mais la chaleur les odeurs… Il y a néanmoins des compensations. Elle roule en carrosse ; un landau de style anglais avec de grandes roues en fer et des poignées en porceleine. Où a-t-il trouvé ça le modeste charpentier ? Et puis il y a eu la séance photo chez le photographe Henri Galais de la rue du Coin, en petite chemise sur une peau de chèvre qui gratte avec la médaille du parrain.

En somme une entrée dans la vie plutôt sympathique.

11.2 - La remise des prix Chôlet 1918

Quelques mots dans le cahier du soir ; « La remise des prix, mercredi après-midi après la classe » L’information a été annoncée aussi dans le Petit Courrier du 29 ; « La distribution des prix à l’école des filles 4 rue Marceau à Cholet aura lieu le mercredi 31 juillet 1918 à l’issue de la classe de l’après midi ».

Il est loin le cérémonial d’avant guerre, le grand rendez-vous au théâtre de la ville, l’estrade où siègent le maire de la ville, des notables, les directeurs et directrices d’école devant une foule de parents et d’élèves endimanchés. Quatre ans de guerre ont épuisé le pays. On manque de tout et l’espoir défaille. Et puis dans cette école de la rue Marceau combien de petites filles ont perdu un père, un frère, un oncle, disparu dans l’enfer des tranchées ? Il y a aussi ces cortèges de voitures à la croix rouge qui amènent à l’école des garçons, transformée en hôpital, des hommes détruits par leurs blessures à l’âme et au corps.

La distribution des prix s’effectue dans la sobriété, l’instant est néanmoins solennel. La maîtresse appelle les lauréates, remet les gratifications, prononce quelques paroles d’encouragement aux studieuses de l’année écoulée, complimente les lauréates récemment diplômées ; Augustine Bâteau, Alida Béchenin, Marie-louise Blanvillain, Renée Cassereau, Suzanne Lebeuf, Arsène Blandin. Economie oblige les prix sont peut-être moins beaux que par le passé mais ils sont reçus avec ferveur, chacune y va de son « merci Madame » les yeux brillants les joues roses.

La frêle Arsène Blandin participe à la cérémonie, elle a obtenu son certificat d’études primaires, mais la joie n’est pas là. Il y a sa mère qui bataille pour nourrir sa famille. L’allocation de soutien familial est dérisoire, la grande sœur ramène un maigre pécule de ses journées en usine et il y a deux amours de petits frères toujours affamés. Le père est mobilisé à Amiens une ville de la Somme loin là-haut sur la carte de France. Pas sur le front, mais on a eu très peur en avril lors de l’offensive sur Villers-Bretonneux. Elle ignore encore la place que tiendra ce bourg dans la vie de la famille.

Elle aurait aimé partager sa récompense avec son grand-père Arsène Lefort. Il est parti en février emporté par les vapeurs toxiques de la blanchisserie respirées pendant de longues années. Elle a beaucoup pleuré, c’était aussi son parrain. Sa grand-mère Marie endeuillée l’attend devant la grille. Main dans la main elles passent devant le 40 rue Marceau, quelques blessés adossés aux grilles cherchent un peu d’air dans cette soirée étouffante. Les uns portent béquilles les autres des pansements grisâtres. Ils saluent les deux femmes, esquissent un sourire sur leur pale visage.

Elles se sont arrêtées sous les ombrages du square de la place de la Demi-Lune. Marie s’évente de son grand mouchoir à carreaux saturé du parfum d’eau de Cologne, il ne ressemble guère au célèbre petit mouchoir rouge de Cholet. Sa petite fille feuillette les pages de son nouveau livre agrémenté de quelques gravures sur bois, à la couverture enluminée. Elle se redresse, porte la main à sa poitrine, ses bronches sifflent, symptôme de cet asthme qui lui tiendra compagnie toute sa vie. L’alerte est passée, on reprend son chemin espérant trouver plus de fraîcheur dans la maison sur la route de Nantes.

11.3 - Auguste Gaultier De Cholet

Cholet le 15 mars 1913. Auguste s’est endormi derrière les rideaux blancs d’une salle obscure de la rue Tournerit avant l’aube d’un pâle soleil. Sa vie s’en est allée sans bruit. Les êtres qui lui étaient chers sont là pour un dernier baiser. Joséphine son épouse lui tient encore la main et pleure en larmes muettes sur son bonheur perdu, la frêle Augustine sa fille, de ses onze ans s’interroge sur la bonté d’un dieu qui la prive d’un père bien aimé.

Auguste est né le 23 mai 1867 dans la soirée, au bout de la rue Saint Maur non loin des murs de l’hôpital Saint Louis, au 219. C’est le premier enfant d’un jeune couple. Sa mère Juliette a tout juste dix huit ans à sa naissance et son père François n’a pas vingt quatre ans. Les jours ensoleillés de début mai se sont évanouis. Une pluie froide tombe sur Paris, il y a même quelques flocons de neige. Ce n’est que le 25 que François traverse le canal Saint Martin pour déclarer Auguste à la mairie du Xe.

Le nouveau né et la jeune maman sont en bonnes mains pendant son absence, celles de Jean Gaultier le grand père, cordonnier de son état. N’est-ce pas dans son échoppe que François a croisé les prunelles de Juliette venue avec son père, un propriétaire de la rue du Plateau, pour la confection d’une paire de bottines ? Et combien de fois a-t-il prétexté une visite au chantier des Buttes Chaumont pour roder autour des lieux d’habitation de la belle ? Les pères n’y étant pas opposés le mariage fut vite conclu.

C’est à la mairie du XIXe qu’on célèbre l’union. Sont présents les pères consentants, les témoins de François de la rue de la Roquette, graveurs sur métaux comme lui ; des admirateurs du tribun Gambetta député du Xe. Il y a aussi un négociant d’Issoudun ami du cordonnier et un fleuriste du 1er arrondissement ami du père de la mariée. En cet instant les époux auront une pensée pour leur mère. François n’avait que deux ans au décès de sa mère. La maladie a emporté la mère de Juliette il y a déjà 11 ans.

Le bonheur de ce petit monde sera de courte durée. Napoléon III dont le jugement s’effrite prend des décisions catastrophiques pour la France. C’est la défaite de Sedan, le siège de Paris, de Septembre 1870 à février 1871, qui affame la population affaiblie par un hiver rigoureux. Le petit Auguste survit à ces misères avec un père enrôlé pour la défense de la ville et un grand-père privé de clientèle et de subsides. Le pire reste à venir. Le 19 mars le peuple de Paris révolté par la capitulation s’érige en commune libre.

Au blocus prussien avec ses privations et ses pluies d’obus succède le siège des Versaillais de Thiers. La tragédie se met en place pour des semaines meurtrières. On spolie, fusille au nom de la Commune. La semaine anniversaire des quatre ans d’Auguste c’est le temps des barricades et des affrontements entre les gardes nationaux et les troupes de Thiers. Les pétroleurs et pétroleuses sont à l’œuvre. Le Palais des Tuileries, l’Hôtel de ville, le théâtre de la porte Saint Martin et d’autres lieux brûlent.

Le 28 mai la dernière barricade de la commune est enlevée par les versaillais. C’est le temps des représailles, avec ses excès, ses règlements de compte entre voisins, ses pillages, ses mises à mort sans jugement par les nouveaux maîtres de la rue. C’est par miracle que la petite famille d’Auguste s’en sort indemne. Son grand-père Jean et son père François ont du frôler la mort quelquefois. Ses amis de la rue de la Roquette que sont-ils devenus ? Font-ils partis de ces fédérés fusillés, emprisonnés, déportés ?

Bien que les souvenirs soient douloureux les colères parisiennes s’apaisent. On reconstruit sur les cendres. Les grands travaux du baron Hausmann se poursuivent. La famille Gaultier s’agrandit. Auguste a eu un frère en 1872 et deux soeurs en 1875 et 1880. Il a fréquenté l’école de la rue Saint Maur au n° 200 et il est un élève assidu de l’école de musique. Peut-être par indécision sur le choix d’un métier, peut-être par esprit patriotique (On pleure l’Alsace et la Lorraine depuis 1871) Il s’engage dans l’armée à 18 ans.

Après ses classes, il devient soldat musicien au 19ème de ligne à Brest. Lui propose-t-on des fonctions intéressantes au sein de la musique du 77e Régiment de ligne ? Le 11 mars 1889 il contracte un engagement spécial de 5 ans dans ce régiment. Et c’est ainsi qu’il débarque à Cholet le 12 du même mois. La musique du 77e est une animatrice des fêtes de cette petite ville de province. Manifestations religieuses, Parades républicaines se succèdent sur le calendrier des militaires.

Il faut croire que ses qualités au sein de cette musique militaire sont appréciées même des cercles de musiciens civils. En 1894, vers la fin de son temps au 77e on lui offre de prendre la direction de la fanfare choletaise ; proposition qu’il accepte. Son entrée en fonction coïncide avec une nouvelle étape pour la société qui s’étoffe avec l’apport d’instruments bois et prend le nom d’Harmonie Choletaise. Pendant près de quinze ans Auguste va s’employer à donner ses lettres de noblesse à cet ensemble musical.

Mais il n’y a pas que la musique pour faire battre le cœur d’Auguste. Il y a cette demoiselle sérieuse qui tient boutique au centre ville. Elle demeure avec sa mère rue de l’Etoile. Et quand Auguste croise ces dames il ôte son couvre-chef avec cérémonie. Eugénie, c’est le prénom de l’aimée, n’est pas insensible au geste du fringant et alerte militaire. Elle confiera son émoi à sa petite cousine préférée Marie Lefort de Mortagne qui elle aussi à l’approche de ses vingt ans rêve au prince charmant.

Si les deux amies de cœur sont à l’ouvrage six longs jours sur sept, cela ne les empêche pas d’entretenir quelques relations épistolaires et de profiter des dimanches ensoleillés pour se retrouver. Elles apprécient notamment la nouveauté du chemin de fer qui les emmène de Cholet aux Sables d’Olonne pour un bain de mer ou une balade à dos d’âne parmi les pins de la Rudelière. Bien entendu au prix aller retour de quatre francs chacune en 3ème classe, l’aventure ne se renouvelle pas tous les dimanches.

Plus sagement on ira écouter l’harmonie choletaise au jardin du Mail et admirer son énergique chef. Eugénie Lefort a des sentiments divers sur l’idylle qui se noue entre sa fille et le chef de musique. Voilà bientôt douze ans que son époux est décédé. Si elle souhaite son bonheur, elle craint qu’il ne reste dans le cœur de sa fille qu’une toute petite place. Mais lorsque Auguste vint demander la main de la belle elle accepta de bonne grâce et les noces furent décidées pour le début de l’été.

Le mardi 11 juin 1895 c’est le grand jour. Arsène Lefort est venu de Mortagne avec son épouse et sa fille Marie. Il conduira sa nièce Eugénie à l’hôtel de ville. Juliette qui est venue de Paris s’agrippe au bras de son fils tout sourire. Le père d’Auguste resté à Paris a donné son consentement par écrit auprès d’un notaire parisien. Dans le petit groupe quittant la rue de l’Etoile, il y a aussi Ferdinand Tranchant le charpentier et Alexandre Manceau-Naud des amis des futurs époux invités comme témoins.

C’est l’adjoint au maire Teillet qui reçoit le consentement des époux. Vient ensuite le paraphe des registres d’état civil, pour Maman Berhault comme la nomme déjà Auguste, sa signature hésitante témoigne de son émotion. Puis il n’y a que quelques pas à faire pour se rendre sous la nef de Notre Dame pour consacrer cette union devant le prêtre, un instant solennel où l’on s’engage pour la vie. Entre son père et sa mère, Marie Lefort ne doute pas du bonheur de sa cousine, ses yeux se brouillent, va-t-elle oublier leur amitié ?

On ignore où se tinrent les agapes clôturant cette journée mais elles furent copieuses et joyeuses. Pour les menus du déjeuner et du dîner imprimés par la maison Boux, Auguste s’était inspiré de sa fibre musicale. Le festin fut donc rythmé par l’introduction, le point d’arrêt, la reprise et le point d’orgue. On fit ainsi honneur, à la langouste sauce clarinette, au poulet sauce baryton, au potage caisse roulante et au gigot castagnettes. On ponctua les arrêts entre les plats par des chants notamment celui des Grenouilles.

Les lendemains non chaumés pour les uns ou les unes furent certainement pénibles mais les bons souvenirs d’une réunion de famille réussie feront oublier la fatigue. Dans quelques jours les nouveaux époux prendront le train pour Paris en compagnie de Juliette, invités par François Gaultier. Les attendent chez le graveur de métaux le frère d’Auguste, Albert et sa sœur, la bonne et douce Julia qui prêtera sa chambre aux jeunes mariés. En leur absence Maman Berhault se fera dorloter à Mortagne par la petite cousine Marie.

Le séjour parisien fut des plus agréable. Aux dires d’Eugénie La famille Gaultier fut pleine d’attention et les journées se succédèrent en visites et promenades dans la Babylone des temps modernes (une expression d’Auguste). Eugénie fut saisie de vertige devant la Tour Eiffel, Auguste apprécia l’ambiance des cafés concerts. Ils s’étonnèrent de la faune du jardin d’acclimatation. Place de l’Etoile on leurs conta que le jour de leur mariage on y avait donné le départ de la fameuse course automobile Paris-Bordeaux-Paris.

Papa Gaultier offrit même au jeune couple une soirée à l’Opéra inoubliable pour Eugénie. Enfin l’apothéose fut cette visite à Versailles. On visita le château, le grand et le petit Trianon et comble de chance on assista aux grandes eaux, un spectacle donné à l’occasion de la fête du général Hoche. Puis il fallut songer à regagner Cholet. On rapportera les propos d’Auguste à ce sujet: « En vérité si ça n’avait été la malheureuse question pécuniaire nous nous serions volontiers établis rentiers à Paris ».

La vie quotidienne a repris son cours. Eugénie a retrouvé son magasin. Sa mère a rejoint ses pénates et fait tourner son dévidoir pour la confection d’écheveaux entre deux commandes de coutures. Quant à Auguste il ne manque pas d’ouvrage; en dehors des leçons particulières de solfège et d’instruments de musique, la direction de l’Harmonie Choletaise lui prend énormément de temps. Fin juillet ce sont répétitions sur répétitions pour préparer la fête de la gare et la remise des prix.

Auguste va s’impliquer pleinement dans la vie musicale de sa ville et même de sa région. Dès 1896 la presse locale se fait l’écho de ses bons résultats à la tête de l’Harmonie. La société de musique est présente en mai, aux courses vélocipèdes du vélodrome de la Moinie, à l’inauguration du nouveau musée de Cholet. Le 31 mai elle donne une aubade au jardin du Mail remarquée par un chroniqueur du Petit Courrier d’Angers. En juin l’Harmonie ouvre les festivités de l’été, cavalcade, fête nationale, avec tambours et clairons.

En 1902 c’est le bonheur, après sept ans de mariage Eugénie met au monde une petite fille qu’on prénommera Augustine. Outre Maman Berhault tous se précipitent au 21 rue de la Sardinerie pour féliciter les parents. Il y a là les nouveaux venus de Mortagne, Arsène Lefort, qui a un nouvel emploi à la Rivière Sauvageau et son épouse, la petite cousine Marie devenue épicière Bd Chouteau et qui a convolé en 1898 avec le charpentier Gustave Blandin, l’accompagne sa fille Alice née en 1899.

Les années s’enchaînent, Auguste est infatigable. L’Harmonie Choletaise acquiert sa notoriété en participant à de nombreux concours ; à Angers, bordeaux, Cognac, Surennes, Lorient. Il faut un dévouement exceptionnel à ses musiciens amateurs, commerçants, ouvriers ou petits fonctionnaires. Auguste avait même dirigé, aussi pendant un temps, la musique de Chemillé qui obtiendra notamment trois premiers prix dans sa catégorie au concours de musique d’Ancenis en juillet 1899.

En juin 1906 Auguste donne de sa personne pour l’organisation du concours de musique de Cholet dont se fait l’écho la presse régionale. En juillet 1907 il participe à l’assemblée générale de la fédération musicale de la Bretagne et de l’Anjou. Il participe aussi à la vie sociale de la ville comme membre assesseur de la Sauvegarde, une société de secours mutuelle. On notera aussi sa présence à la grande soirée artistique du 2 mars 1909 en l’honneur des membres honoraires de l’Harmonie Choletaise.

Mais qu’est-il arrivé à Auguste en 1910 ? La fatigue d’une vie trop bien remplie ? Le début de la maladie qui l’emportera trois ans plus tard ? Cette année là il abandonne la direction de l’Harmonie Choletaise. Peut-être regarde-t-il tristement les sauts de puce de Roland Garros sur le champ d’aviation en ce jour pluvieux et venteux de juillet. Dans la petite impasse Morin il s’improvise « Accordeur et réparateur de piano » et renouvelle ses offres de service comme « professeur de musique vocale et instrumentale ».

Auguste disparu, la vie continuera pour Eugénie et sa fille Augustine. L’année 1913 sera encore assombrie pour les deux femmes par le décès de la mère d’Eugénie en mai. Les Lefort et la petite cousine Marie tenteront par leur affection d’apaiser leur chagrin. Eugénie reprendra le chemin de sa boutique. Augustine trouvera un dérivatif à sa peine dans la couture et l’apprentissage du métier de modiste, une vocation née peut-être en fréquentant la chapelière Marie Capelle sa voisine de la rue Sardinerie.

Documentation : La correspondance de Marie Blandin née Lefort. Les registres d’état-civil des Archives Départementales. Le Petit Courrier d’Angers.


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