Chronique familiale
Paul MATHIE (1909-2009)se souvient
Paul MATHIEse souvient
Transcription de l’enregistrementde l’entretienavec mon père.1er juin 1994à Montreux Jeune 68.
Par
Patrick MATHIE
Mars 2009-Août 2013
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Patrick : « Papa, dans le document que tu m’as remis pour préparer cet entretien, ce dont je te remercie, tu indiques que tu es né le 11 juillet 1919, peux-tu me préciser où exactement ? »
Paul : « Je suis né à FESCHES LE CHATEL aux cités immobilières ! »
Patrick : « Si je comprends bien, les femmes accouchaient alors à domicile ? »
Paul : « Bien sûr, il n’y avait pas de maternité, la sage femme venait à domicile »
Patrick : « Tu te souviens du nom de la sage femme ? J’en connaissais une qui s’appelait Madame BIDE, mais c’était à mon époque ! »
Paul : « Oh non je me souviens pas de son nom…Madame BIDE c’était beaucoup plus tard en effet, mais je crois qu’elle était infirmière… non, elle était bien sage femme d’ailleurs elle portait un nom prédestiné ! (rires)
Patrick : « Tu étais le plus jeune d’une nombreuse famille. Sais-tu comment tes parents se sont rencontrés ? »
Paul : « Non ! A l’époque les gens ne parlaient pas de ces choses là .On ne parlait pas aux enfants, ce n’est pas comme maintenant. Mes aînés le savaient peut-être, mais moi je n’ai pas été tenu au courant de ça ; peut-être était-ce dans un bal ou un truc comme ça ! »
Patrick : « Ton père était de BEAUCOURT et ta mère de La RAYDANS, deux villages assez distants… »
Paul : « Oui, surtout qu’à ce moment là il n’y avait pas de moyens de transports, mais ils ont bien trouvé le moyen de se rencontrer !! »
Patrick : « Est-ce que cette rencontre ne vient pas du fait que ton père travaillait à COLOMBIER FONTAINE ? »
Paul : « Oui c’est possible car il a travaillé effectivement chez Baumann, au « bois courbé ». Il fabriquait des chaises. Il avait un camarade d’enfance qui était directeur chez Japy. Il était venu le récupérer pour lui demander de travailler à FESCHES où Japy avait monté aussi une usine de bois courbé au Rondelot. Il a été embauché comme contremaître puis est devenu chef d’atelier »
Patrick : « Je crois que ton père avait également une activité sportive ? »
Paul : « Oui, étant jeune il avait fait de la gymnastique. Quand il habitait ETOUVANS, avant de venir à FESCHES il avait monté une société de gymnastique »
Patrick : « Est-ce qu’il a continué son activité sportive à FESCHES ? »
Paul : « Non, à FESCHES il ne s’en est pas occupé car il y avait déjà une société de gymnastique constituée. Il est décédé alors que j’avais deux ans et demi »
Patrick : « Ta mère a donc dû travailler ? »
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Paul : « Eh oui il fallait bien faire bouillir la marmite et nous étions encore 5 à la maison. Elle a trouvé du travail chez Japy, au Rondelot où elle a été embauchée comme magasinière. On a vécu avec une paye de femme. A ce moment là les salaires des femmes n’étaient pas très élevés, mais nous avons fait « avec ». Elle a gardé l’avantage du logement, jusqu’à sa mort elle a été logée gratuitement par Japy. Elle a eu droit ensuite à une ou deux voitures de bois de chauffage par an que mon père avait obtenu dans son contrat ; elle a dû réclamer deux trois fois pour obtenir satisfaction alors que quand mon père était encore là les livraisons étaient rapides !
Patrick : « Est-ce qu’on peut dire que tu as eu une enfance difficile ? »
Paul : « On ne peut pas dire que c’était difficile ! D’ailleurs difficile par rapport à quoi ? Tout le monde était à peu près à la même enseigne …. Nous avions un niveau de vie que je ne peux pas qualifier de bas mais le luxe n’existait pas ! »
Patrick : « Tu m’as indiqué que ta mère te conduisais à la garderie Japy avant l’heure de l’Ecole… »
Paul : « Oui, la garderie se trouvait à l’emplacement de l’actuelle mairie, à proximité du Rondelot.
Patrick : « Peux- tu nous dire qui s’occupait de la garderie ? »
Paul : « Et bien il y avait Madame GRAMONT et la fille de Madame GRAMONT que l’on appelait Madame Léona qui était la grand-mère d’ HERGOTT, le gars que tu connais.Les gosses, en arrivant le matin, avaient le petit déjeuner avant d’aller à l’école : un genre de lait condensé avec du café et une tartine de confiture. A midi on prenait notre repas là également et les gosses qui rentraient à quatre heures, avant la sortie de l’usine, avaient un goûter qu’ils consommaient sur place. Ceux qui ne revenaient pas à la garderie recevaient une barre de chocolat et un morceau de pain, mais ils n’attendaient pas quatre heures pour l’engloutir !
Patrick : « Peut-on dire que Japy avait une « politique sociale » ?
Paul : « Tout à fait : le docteur était gratuit (le docteur WALTER), on avait un carnet avec lequel on allait à la pharmacie ; évidemment il n’y avait pas grand-chose comme médicaments mais ils étaient gratuits ainsi que la consultation du médecin. C’était Japy qui payait.
Patrick : « Après la garderie tu te rendais donc à l’école ? »
Paul : « Oui, à la salle d’asile qui appartenait aussi à Japy et qui se trouvait dans la rue des usines et où tu t’es rendu aussi…plus tard. Madame SANDOZ et Mademoiselle Louise LAGARCE qui devait être une nièce de Madame SANDOZ s’occupaient de nous »
Patrick : « J’ai eu une institutrice qui s’appelait SANDOZ : Mademoiselle SANDOZ… »
Paul : « Il me semble que Mademoiselle SANDOZ dont tu parles était la fille de la première »
Patrick : « C’est donc là, à la salle d’asile que tu as commencé à « apprendre » ?
Paul : « On commençait par faire des bâtons sur une ardoise dont un côté était uni et l’autre quadrillé. Elle était entourée par un cadre en bois. On écrivait avec un crayon d’ardoise et lorsqu’on donnait « le sou du mois » on avait droit à un crayon complet, autrement on avait des bouts de crayon. Je me rappelle qu’il y avait un boulier pour apprendre à compter. Les boules en bois étaient de couleurs différentes et représentaient
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les unités, les dizaines, les centaines. Dans le fond de la classe des images étaient placardées au dessus des gradins. Au centre de la classe il y avait un gros fourneau à bois. Et puis- je ne sais pas si tu as vu çà- mais il y avait une pièce qu’on appelait « la chambre des pots » avec des seaux de tailles différentes, adaptés à l’âge, pour satisfaire les besoins naturels. Il existait également une « chambre noire » où l’on t’enfermait si tu n’étais pas sage ; il y avait des hurlements là dedans ! (rires). Dans la classe on était mélangés, garçons et filles.
Patrick : « J’ai connu les mêmes choses que toi 30 ans plus tard ! Si l’on évoquait maintenant, après la maternelle, la période de l’Ecole primaire ? »
Paul : « Au cours préparatoire j’avais une institutrice qui s’appelait Mademoiselle JOLY, elle était la fille du directeur, Monsieur JOLY qui avait, lui, le cours supérieur. Le cours moyen était tenu par un nommé BUSSON.
Patrick : « Hormis les cours, aviez-vous des activités particulières à l’Ecole des garçons ? »
Paul : « Nous avions l’empilage du bois pour les maîtres pendant les récréations. On s’arrangeait toujours pour que la pile soit de guingois de manière à ce qu’elle s’écroule pour la remonter à nouveau ; de cette façon on allongeait la récréation ! Il y avait aussi la cueillette du tilleul : on cueillait le tilleul sur les arbres de la cour, on le mettait dans des cornets en papier qu’on fabriquait avec des journaux et on allait les vendre dans la commune au profit de la coopérative »
Patrick : « En ce qui concerne les méthodes pédagogiques des maîtres successifs que tu as connus… quelles sont celles qui t’on marquées et de quels instituteurs te souviens-tu ?... Etaient-ils sévères ?»
Paul : « A ce moment là tout le monde était sévère, les parents étaient sévères, alors on ne trouvait pas que le maîtres étaient sévères ! Si l’on ne suivait pas le bon chemin, si on allait d’un côté ou de l’autre automatiquement il y avait la sanction ! Alors qu’aujourd’hui, je ne sais pas tellement comment ça se passe, mais il me semble que les jeunes ont souvent « la bride sur le cou »… Si on était puni à l’école il suffisait que les parents soient prévenus pour que l’on prenne une deuxième sanction à la maison. Aujourd’hui c’est le contraire ! On tenait compte à ce moment là des observations de l’enseignant…On avait des devoirs à faire le soir à la maison, je les faisais à la lueur de la lampe à pétrole car nous n’avions pas encore l’électricité ! Elle a été installée alors que je devais avoir une douzaine d’années (vers 1930). Chez nous il n’y avait qu’une lampe à pétrole à la cuisine. Pour aller dans les chambres il fallait un bougeoir, une bougie et une boîte d’allumettes »
Patrick : « Te rappelles-tu de camarades de classes et des effectifs par classe à ton époque ? »
Paul : « Autant que je me rappelle on devait être une trentaine par classe et 5 enseignants. Avec moi il y avait des JACQOT, des VIENOT, des HUELIN, HURST, JARDINI …
Patrick : « MOREL ? »
Paul : « Non, MOREL n’était pas avec nous, il habitait ALLENJOIE »
Patrick : « Quel était à ce moment là la vie quotidienne d’un enfant ? Avait-il des tâches familiales qui lui étaient confiées ?»
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Paul : « Cela dépendait de la taille des familles … on allait chercher du bois et on rendait des services dans la maison. Les tâches ménagères, comme la vaisselle ou le jardin, c’était ma mère qui s’en occupait. Je m’en suis occupé plus tard, quand je suis devenu un peu plus costaud !
Patrick : « Tu as terminé tes études primaires avec le certificat d’études… »
Paul : « Oui, puis je suis allé à Beaucourt pour y suivre des cours complémentaires jusqu’au Brevet Elémentaire. Je m’y rendais par le car de l’usine. Après je suis allé travailler chez Japy »
Patrick : « Nous reviendrons sur le travail un peu plus tard…Pendant les vacances tu allais chez ton frère Marcel à Etouvans ? »
Paul : « Oui il habitait à ETOUVANS et il travaillait à COLOMBIER FONTAINE »
Patrick : « Il te faisait la classe et te faisait travailler la table de multiplication par 7 ! »
Paul : « Ah ! la table du 7 m’a marqué ! (rires)…Mon frère venait donc me chercher avec sa femme Blanche, en vélo, car il n’y avait pas de ligne de transports pour aller là bas. J’avais 8 ou 10 ans. On mettait un coussin ficelé sur le cadre. On devait s’arrêter souvent en route car ça me faisait mal aux fesses et entre FESCHES et ETOUVANS il y avait bien une bonne trentaine de kilomètres !A ETOUVANS je gardais les moutons avec des copains du village : les frères PAYOT. On allait aux Esserts, un terrain municipal pour y faire paître les moutons. On faisait cuire des patates sous la cendre qu’on avait piquées dans un champ. Un jour le garde champêtre est venu nous voir ; il se trouve que le champ appartenait à un voisin de mon frère qui entretenait de mauvaises relations avec lui. Le voisin s’était plaint au garde ! Il paraît qu’il faisait un sacre rafut ! Mon frère était « aux cent coups » car il avait peur de devoir payer des dommages et intérêts ! Ca avait duré un petit moment…on avait mangé…quoi ?... une dizaine de patates ! Ce n’était pas conséquent, mais à l’époque tout le monde était près de ses sous !
Patrick : « Tu gardes un bon souvenir de cette époque de vacances ? »
Paul : « Bien sûr ! Tu sais, dans ma jeunesse on n’avait pas de désirs démesurés, alors on se contentait de ce qu’on avait quoi !
Patrick : « Nous avions parlé auparavant de jeux d’hiver….tu me disais que tout le monde n’avait pas de luge… »
Paul : « Ah non tout le monde n’avait pas de luge ! Tu sais ça coûtait cher une luge, il aurait fallu en construire une, mais chez moi personne ne pouvait en construire ! On allait glisser avec des sabots dans les endroits où on ne nous engueulait pas ! (rires).
Patrick : « Au niveau des plaisirs de l’eau… est-ce que vous alliez vous baigner ? »
Paul : « Oui… on allait se baigner à la rivière ! Ma mère m’avait toujours dit : « quand tu sauras nager tu pourras aller te baigner ! » Alors j’y allais en cachette ! On allait dans l’Allan, à « la pointe », on apprenait à nager tout seul ! Il y avait un endroit qu’on appelait « le bain des filles » où il n’y avait pas beaucoup d’eau, on apprenait à barboter là et ensuite on allait de plus en plus loin en direction de « la pointe ». A « la pointe » il y avait beaucoup d’eau. »
Patrick : « Est-ce que tu allais à la pêche ? »
Paul : « Non, je n’étais pas équipé ! J’avais essayé une fois mais j’avais abandonné ! »
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Patrick : « Tu m’avais raconté une fois, l’anecdote du marguillier de l’église catholique… peux tu me la raconter à nouveau ? »
Paul : « Ah oui ! (rires) mais je n’allais pas à l’église catholique, ce sont mes copains qui me l’on racontée : ….c’était un vieux garçon qu’on appelait le Pierre « Madeux » -c’était un sobriquet- il paraît que lorsqu’il allait se soulager derrière l’église il prenait un papier pour tenir sa « zigounette » afin de ne pas la toucher directement puis, la chose faite, il jetait le papier ! Les gosses l’épiaient, c’était une occupation comme une autre ! »
Patrick : « As-tu des anecdotes identiques « côté protestant » ?
Paul : « Non, l’éducation protestante était plus rigide ; les catholiques étaient plus libres. Je me rappelle que le pasteur GUEY était « recta ». Il nous disait de prendre au moins un quart d’heure d’avance avant d’aller au catéchisme ou au culte afin d’avoir le temps de changer de lacets si l’un d’entre eux venait à casser. « N’oubliez pas le quart d’heure du lacet ! Pour être prêt à l’heure il faut toujours être prêt avant » nous répétait-il régulièrement. A l’école primaire c’était un peu la même chose, ceux qui arrivaient en retard n’étaient pas bien vus ! On allait au catéchisme le jeudi, d’abord chez le pasteur puis au temple. Il y avait également « l’école du dimanche » qui avait lieu le dimanche, avant le culte ».
Patrick : « Il me semble que l’enterrement de ta mère a eu lieu à l’église catholique ? »
Paul : « C’est exact, car ma mère était d’origine catholique. Quand elle s’est mariée avec mon père qui était protestant, la coutume voulait que les enfants soient élevés dans la religion du père ; mes frères et sœurs et moi avons été élevés dans la religion protestante. Ma mère ne nous a jamais obligés à aller à l’église catholique. Elle n’allait pas à l’église catholique tant que mon père a été là. Mais après le décès de mon père, elle a recommencé à aller à l’église catholique. Elle a conservé sa religion d’origine et c’est pourquoi elle a été enterrée catholique comme elle l’avait demandé ».
Patrick : « Je me rappelle que lorsqu’elle venait rendre visite à ma grand-mère maternelle chez qui nous habitions, je m’adressais à elle en lui disant « vous » …
Paul : « Oui, on lui disait « vous ». Tous mes frères et sœurs lui disaient « vous » il y a juste moi qui l’ai tutoyée…Je me rappelle avoir connu des vieux couples dont le mari et la femme se disaient « vous » …bien qu’ils aient eu des enfants ensemble en pagaille »
Patrick : « Quels souvenirs as-tu de ta mère et des rapports que tu avais avec elle ? »
Paul : « Qu’est-ce que je peux te dire ?…Tu sais, à l’époque, les parents étaient plus durs avec les enfants que maintenant. Te dire que j’avais des rapports affectifs avec ma mère, non ! C’était plutôt des rapports de soumission. Elle était très autoritaire, comme tous les autres parents dans d’autres familles. Lorsque je devais prendre les cuillères de foie de morue, elle me pinçait le nez et il fallait que ça rentre ! »
Patrick : « Est-il vrai que tu allais fouiller dans le livret de famille ? »
Paul : « Peut-être…. »
Patrick : « C’est ma grand-mère maternelle qui m’avait dit ça. Elle le tenait de ta mère qui lui avait dit lors d’une visite : « Vous vous rendez compte, Marie, le Paul allait jusqu’à regarder dans le livret de famille ! »
Paul : « Ca confirme ce que je te disais, il y a des choses qu’il ne fallait pas faire ! »
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Patrick : « Nous aborderons, plus tard, ton activité professionnelle, mais venons en maintenant à la période de la guerre. Au moment où tu es appelé sous les drapeaux, tu as 20 ans, te souviens-tu de l’était d’esprit dans lequel tu te trouvais à l’époque ? Y avait-il de la crainte ?… »
Paul : « Non, pas de crainte , on était plutôt gonflés et un peu insouciants, on ne savait pas trop ce qui allait nous arriver ; à 20 ans on ne se pose pas de questions… »
Patrick : « Est-ce que vous étiez informés de ce qui se passait ? »
Paul : « Il y avait la radio quand même, ce n’était pas comme maintenant, il n’y avait pas de télévision, ni de reportages, mais il y avait les journaux ».
Patrick : « Quelles ont été les réactions de ta famille au moment de ton incorporation, c’était alors la drôle de guerre ? »
Paul : « La « drôle de guerre » avait déjà débuté ; ma famille c’était ma mère car mes frères et sœurs étaient déjà mariés et avaient quitté la maison. Je ne pense pas avoir vu ma mère pleurer. Quant à moi, comme je te l’ai dit, j’étais content d’y aller puisque le temps était venu et comme tous les autres y allaient j’y suis allé aussi. Je suis parti à CHAMBERY avec un dénommé BIRGY et un COUCHOT au dépôt 147. On était trois dans le secteur à rejoindre les chasseurs alpins ; d’autres ont été envoyés ailleurs : je crois qu’HUELIN à été envoyé à AVIGNON. Ceux qui rejoignaient le dépôt 147 étaient en général des gars du coin : des alsaciens des haut saônois, des doubistes , des gens de la région de BELFORT. Comme on était classés suivant la force musculaire, importante dans l’infanterie ceux qui n’étaient pas assez costauds rejoignaient d’autres armes. Ceux qui avaient les pieds plats étaient envoyés dans l’artillerie, le train etc …On avait passé le conseil de révision au chef lieu de canton à AUDINCOURT, en nu intégral ! C’était assez gênant, parce que -tu sais que les maires de chaque commune assistaient au conseil de révision- quand il y avait une femme Maire elle évitait de regarder. Dans notre file il y avait un séminariste qui gardait les mains devant son sexe ! C’est là, en fonction de nos capacités physiques et d’autres critères que je ne connais pas, qu’on était affecté dans une arme ou une autre.Nous avons fait les conscrits au nouvel an et, après le conseil, on faisait la tournée des grands ducs c'est-à-dire que l’on allait chez les gens qui nous donnaient de l’argent. Ca se concrétisait par une petite bordée : on allait manger au restaurant, mais ça n’allait pas très loin ! On arborait des insignes, des rubans bleu, blanc, rouge, des espèces de cocardes tricolores…ça se fait encore en Alsace, il n’y a pas tellement longtemps que je l’ai encore vu.Quand nous avons été incorporés à CHAMBERY, nous avons reçu du matériel qui datait de la guerre de 14, voire d’avant la guerre de 14 car le fusil que l’on a touché c’était le fusil LEBEL 1886 modifié en 1893, alors que pendant la guerre de 14 il y avait eu un fusil « 7/15 » avec le chargeur ! Celui que nous avons eu se chargeait avec un magasin, c'est-à-dire qu’il fallait charger les cartouches une à une ; c’était la grande « canne à pêche que l’on avait ! Même chose pour le fusil mitrailleur modèle 15 avec son chargeur en demi-lune qui datait aussi de la guerre de 14 ! Il tombait en panne toutes les trois cartouches ! Curieusement, quand après la débâcle on est retourné à CHAMBERY, on a trouvé du matériel moderne : le fusil MAS36 !
Patrick : « Penses-tu qu’il y ait eu volonté de ne pas vous doter d’abord du matériel neuf ? »
Paul : « Je le pense, car pendant la drôle de guerre il y avait des radios communistes en Allemagne qui faisaient de la désinformation : il ne fallait pas se battre contre les allemands qui étaient nos amis. Les allemands avaient signé un pacte avec les russes et donc il ne fallait pas se battre ! On m’a cité des cas où des obus de 75 et de 105 n’avaient pas été livrés aux bons canons. Les armes modernes étaient déjà stockées, pourquoi ne nous les a-t-on pas données… je ne sais pas !
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Nous nous sommes battus quand même contre les allemands, c’étaient des escarmouches, mais nous avons eu des morts et des blessés. Ca n’a pas duré longtemps car PETAIN a signé l’armistice et les allemands ont reculé jusqu’à la limite de séparation entre zone libre et zone occupée. Une armée de 100 000 hommes, mais dotée d’armes légères et de quelques chars R17 qui dataient de la guerre de 14, a été constituée. Il faut dire que lors du front populaire les crédits militaires ont été limités au maximum et on n’a pas fait ce qu’il fallait pour faire la guerre. On était sous équipé, on n’avait pas d’aviation, on avait quelques chars SOMUA qui ont été détruits dans les plaines du nord. Moi, je n’ai jamais vu de chars modernes à part sur les images !L’armistice étant donc signé on retourne à CHAMBERY où l’on reforme le 13ème BCA (bataillon de chasseurs alpins) qui avait été dissout en Norvège où les allemands avaient attaqué. Les anglais et les français avaient envoyé un corps expéditionnaire pour défendre les norvégiens. Mon bataillon avait été engagé à NARVIK et à LAMSOS. Là, paraît-il, ils ont fait du bon boulot en repoussant les allemands avec du matériel un peu plus sophistiqué que le nôtre.
La vie à la caserne n’était pas facile, l’ordinaire n’était pas bon ! La zone libre était petite avec peu de ressources et les allemands avaient imposé au gouvernement de VICHY, la livraison de denrées alimentaires et agricoles. Si bien que dans la zone libre on ne trouve pas de pommes de terre, de haricots…on trouve des cardons, des carottes des bettes… tu sais, à vingt ans, quand tu as mangé ça, tu vas pisser un coup dehors et il n’y a plus rien ! » (rires)
Patrick : « Un des moyens que tu trouves pour améliorer l’ordinaire c’est de faire partie de la section d’éclaireurs skieurs… »
Paul : « Oui ! Des anciens, qui avaient fait partie de la section d’éclaireurs skieurs nous avaient dit que là, on avait plus à manger, que les rations étaient doublées…et c’était vrai ! La dotation du ravitaillement était supérieure à celle que le bataillon avait à CHAMBERY. On avait de la confiture de raisin, des sardines, des choses comme ça auxquelles les autres n’avaient pas droit ; on avait ¾ de vin alors qu’en bas ils n’en avaient qu’un, un casse-croûte à 10 heures, le thé à 4 Heures. Une boule de pain pour 6 au lieu de 12. On avait par contre une activité physique importante : sport, ski, escalade mais pas de revue de détail comme en bas ! »
Patrick : « C’est là que tu as rencontré Henri CHANUDET d’Allenjoie ? »
Paul : « L’Henri faisait partie de la compagnie de muletiers. Le gros ravitaillement montait par camion à l’automne pendant que les routes étaient ouvertes : il y avait le vin les pommes de terre, les légumes que l’on pouvait stocker. En période d’hiver, avec la neige, les routes n’étaient pas déneigées, le ravitaillement était acheminé à dos de mulets de puis CHAMBERY jusqu’à LES DESERTS et nous, on descendait à ski depuis LA FECLAZ pour remonter le ravitaillement à ski. Il y avait à peu près 7 kilomètres. C’est là que j’ai rencontré l’Henri que je le connaissais mais je ne savais pas qu’il était à CHAMBERY » .
Patrick : « Les activités sportives étaient nombreuses. Tu m’as indiqué qu’en hiver 1941 ta section avait remporté le championnat militaire de ski à FONT ROMEU. Est-ce que tu faisais partie de l’équipe ? »
Paul : « Oui, mais je n’ai pas fait toutes les épreuves ! Il y avait différentes épreuves : en groupe, l’épreuve d’estafette où ils couraient à 3, des questions de topographie, du tir ; des courses étaient faites sans chargement, d’autres avec chargement. Moi j’ai participé aux épreuves de groupes car les autres étaient extrêmement dures et je n’étais pa assez « câlé ». Il y avait avec nous des guides de montagne et des moniteurs de l’école nationale de ski !Pour pouvoir intégrer la section j’avais dit que je faisais du ski au Ballon d’Alsace. Quand j’ai été admis les moniteurs nous avaient dit : « On sait ce qu’est le ski civil, oubliez
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tout, nous allons vous apprendre ce qu’est le ski militaire ! » On a commencé par les traces serrées en marchant ! J’avais fait du basket, de la gymnastique et d’après les tests médicaux j’avais été reconnu apte.
Patrick : « En 1942, c’est le débarquement en Afrique du Nord. Vous étiez à ce moment là redescendus à la caserne à CHAMBERY… »
Paul : « Oui, on redescendait périodiquement au bataillon. Les allemands ont envahi la caserne, on ne les attendait pas ! Ils ont mis des mitrailleuses dans tous les coins. On avait bien des fusils, mais les cartouches étaient à l’armurerie, ils avaient des chars et nous n’en avions pas…qu’est-ce que tu voulais faire ! »
Patrick : « Vous avez donc été considérés comme des prisonniers de guerre ? »
Paul : « Non ! Les autorités militaires nous ont réunis au théâtre de CHAMBERY, nous avons présenté nos livrets militaires et nous avons été démobilisés.Nous sommes rentrés dans nos foyers avec nos vêtements militaires. Les allemands n’avaient pas le temps de s’occuper de nous : la flotte était en train de se saborder à TOULON ! »
Patrick : « Deuxième partie de la guerre, le débarquement en Normandie a eu lieu, puis le débarquement en Provence. Pendant cette période les allemands embrigadent les jeunes pour le STO, tu es recherché par les allemands… »
Paul : « Tous les gens qui étaient en état de travailler devaient se présenter pour aller travailler en Allemagne pour remplacer les ouvriers allemands qui avaient été envoyés sur le front russe. Le quincaillier, Edouard TISSOT est venu me prévenir, en vélo, à la sortie de l’usine : « Ne rentre pas chez toi, les boches sont là avec des français, ils ont cerné la maison (7 rue Neuve), il ne faut pas que tu rentres parce qu’ils vont te piquer ! » J’avais déjà refusé de partir à plusieurs reprises et avais été menacé. J’ai donc fait demi-tour et je suis parti à FECHE L’EGLISE chez les parents de Maurice CHANUDET où je suis resté un jour ou deux en attendant que ça se calme, puis je suis rentré à FESCHES .La nuit nous couchions dans la maison d’en face chez RIGOULOT, de manière à ce qu’ils ne viennent pas me piquer à la maison, car ça se passait souvent comme ça !Ils sont venus deux trois fois me chercher à l’usine. Le portier me prévenait par le téléphone intérieur. Je m’étais aménagé une cache dans les caisses vides et dès que je les voyais arriver j’allais me cacher. On me prévenait quand ils étaient partis ! Beaucoup de feschois ont été forcés à partir pour travailler dans les usines d’armement en Allemagne, le Maurice CHANUDET y est allé aussi.
Patrick : « Les allemands, à FESCHES, embrigadaient également les habitants pour effectuer des tâches à leur profit. Ma grand-mère me racontait qu’en revenant de faire quelques achats à la société coopérative du Rondelot elle était passée devant l’hôtel « Santini ». Un soldat allemand l’avait arrêtée en lui faisant comprendre qu’elle devait aller éplucher des pommes de terre pour la cantine. Elle lui avait répondu qu’elle n’avait pas le temps mais avait dû s’exécuter vivement après que le soldat lui ait mis son fusil sur le ventre ! Elle s’était retrouvée, avec d’autres femmes, devant un monceau de pommes de terre à éplucher pour la troupe !Mon grand père, lui m’avait dit qu’ils emmenaient des hommes dans les bois au-dessus de l’Allan pour creuser des tranchées… »
Paul : « C’est vrai, j’y suis allé aussi ! Ceux qui nous encadraient pour ces travaux étaient des paramilitaires de l’organisation TODT. Nous devions travailler en binôme, l’un avait une pioche et l’autre une pelle. Avec KOUKA, l’ingénieur chimiste, nous devions faire des tranchées antichar en V qui devaient avoir une certaine profondeur. Le gars qui s’occupait de nous avait une pige (un gabarit) avec laquelle il vérifiait la cote. « Gut, gut! disait-il après avoir mesuré. Le soir nous coupions un bout de la pige et le lendemain
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c’était à nouveau « Gut, Gut ! » (rires). Nous avions également un autre truc : nous creusions derrière la casserie et quand nous trouvions une grosse pierre nous lui disions : « Stein! Stein… c’est dur ! » nous la retirions en faisant de gros efforts et quand il était parti on la remettait au même endroit pour l’attaquer à nouveau, plus tard ! Quand le gardien a vu qu’il y avait trop de pierres il nous a dit d’arrêter ! (rires)On est allé creuser au-dessus de MEZIRE puis le long de la casserie, pour continuer le fossé anti-chars. On était rémunéré pour travailler comme « travailleur civil ». Les usines étaient fermées. Les troupes françaises de libération n’étaient pas tellement loin, elles se trouvaient à environ 50 kilomètres. Elles avaient marqué un temps d’arrêt car le ravitaillement n’arrivait pas. Pendant ce temps là les « boches » avaient vidé complètement l’usine, le matériel les casseroles, le rebut…ils ont tout emmené ! Il n’y avait donc plus de travail ! Le maire, Eugène LAFRANCE, nous a proposé de travailler pour les allemands comme terrassiers afin de gagner quelque argent. Au début ceux qui apportaient une pelle, une pioche ou un pic avaient un supplément. Nous étions payés tous les soirs ; on se présentait devant un gars assis à une table avec nos outils à la main pour ceux qui en avait un. Quand ils se sont rendu compte que nous nous repassions les outils dans la file ils ont dit non ! non! et ils n’ont plus payé le supplément pour les outils « Françous gross filous! » qu’ils disaient… (rires).Nous étions également nourris : c’étaient des bonnes femmes à MEZIRE qui faisaient à manger. A midi on mangeait une soupe sur le bord de la tranchée. La soupe se composait de légumes et de viande mélangés, ce n’était pas mauvais, c’était même bon ! Dans ce temps là on n’avait pas grand-chose à manger. Le pain que nous avions à la boulangerie était lourd car la farine était mélangé avec des pommes de terre, la miche devait faire trois livres au kilo ! » (rires).
Patrick : « Nous arrivons maintenant à la Libération de FESCHES, lorsque le 21 ème régiment d’infanterie coloniale est entré dans le village le 18 novembre 1944… »
Paul : Je suis allé voir le capitaine, au bas de FESCHES, il se trouvait chez ALIZON. Je lui ai dit que je souhaitais m’engager. J’ai été accueilli à bras ouverts ! Après que je lui ai présenté mes états de services au 13 ème bataillon de chasseur alpins, il m’a dit que je serais affecté immédiatement, en qualité de caporal, au sixième groupe. D’autres se sont engagés : HUELIN, un père de famille qui n’a pas été retenu, GRIMM, BILLEY, BACHENE…d’autres encore.Le magasin se trouvait dans une grange, j’ai essayé une tenue, un casque et puis nous sommes partis, à pied, direction CHAVANATE. Il y avait encore des allemands qui n’avaient pas évacué. Nous sommes passé par MEZIRE, LA VACHERIE. Il pleuvait. A CHAVANATE, nous nous sommes fait recevoir à coups de 105. Le lendemain on s’est répartis dans les bois pour voir s’il y avait des « Boches » et nous avons continué en direction de l’Alsace en délivrant ROMAGNY puis en direction d’ALTKIRCH et de MULHOUSE.Les combats les plus durs se sont déroulés à côté de MULHOUSE, dans les mines de potasse. Nous avions eu des renseignements qui nous disaient qu’il n’y avait pas beaucoup de résistance, mais les allemands, de nuit, avaient envoyé des troupes SS revenues de Russie ! Nous nous sommes cassé les dents et nous avons eu les bretelles secouées ! Dans la même journée nous avons eu 40% de pertes ! Le petit CREUX et un jeune à qui nous avions appris à tirer au fusil, la veille, dans une carrière, Il était originaire de PARIS. Quand nous sommes arrivés devant la salle des fêtes de WITTENHEIM, j’ai eu deux tués dont lui. Le capitaine a été blessé. Notre groupe était réduit à la moitié »
Patrick : « Dans de tels combats la peur est-elle extrême ? »
Paul : « On a peur avant et après, mais quand on est dans le combat on n’a pas l’impression que c’est soi, on a l’impression de voir ça comme au cinéma, c’est curieux. L’odeur de la poudre te met dans un état second : on a l’impression de voir ça mais de ne pas participer soi-même ! C’est une impression curieuse, on a peur avant et après mais pendant non ! »
Patrick : « Tu parles de la traversée du Rhin …ce n’est qu’un épisode parmi d’autres… »________ Paul MATHIE se souvient 10
Paul : « Entre temps il y en a eu d’autres… Les bateaux sur lesquels nous traversions n’étaient pas des zodiacs (!) mais des bateaux d’assaut en acier avec des moteurs. Ils étaient pilotés par des gens du génie d’assaut »
Patrick : « Vous traversiez donc sous le feu croisé des mitrailleuses allemandes de l’autre côté de la rive et de vos canons tirant sur l’ennemi… »
Paul : « Nous avions récupéré des canons allemands, des 75 pak, ils avaient rallongé le tube de canons de 75 et avec ça ils tiraient des obus anti chars. Tous ces canons avaient été embossés juste à la limite de la berge et chaque canon avait pris un blockhaus en ligne de mire ; il y avait un blockhaus tous les 100 mètres sur la ligne Sigfried, les canons tiraient dans les meurtrières… »
Patrick : « Les canons avaient des objectifs précis, mais votre groupe d’assaut aussi ! »
Paul : « Notre objectif était le blockhaus rose…il n’était pas plus rose qu’un autre mais c’était son nom de code. A la fin de la traversée il a fallu grimper sur la berge. Il y avait un courant terrible. Quand nous sommes passés nous n’avons eu qu’un blessé, il avait été touché à la main. Nous l’avons soigné comme on a pu puis on a grimpé sur les blockhaus. On a lancé des grenades dans les conduits d’aération. Une fois le blockhaus pris notre mission était remplie. On s’est arrêté sur place et ce sont les vagues suivantes qui sont passées devant nous. Nous faisions partie de la compagnie d’assaut de la division. Tous les coups durs étaient pour nous, on avait un capitaine qui aimait ça, il a été blessé trois fois avec nous et il a été tué en Indochine : c’était le capitaine Eon. C’était un baroudeur, un jeune qui n’avait même pas trente ans. Autant que je me rappelle ( on me l’avait écrit) il a été tué en Indochine fin mars 1946 alors qu’il devait rejoindre l’Etat Major avec le grade de commandant 2 jours après !Il disait : « Moi, je préfère mourir avec une balle dans le ventre plutôt qu’avec la goutte au nez à 90 ans !»Il partait à l’attaque avec la canne et le pistolet 11,43, il engueulait les gars parcequ’ils ne se couchaient pas, mais lui il était debout ! »
Patrick : « Ensuite il y a tout un épisode important dans la Forêt Noire… »
Paul : « Oui, dans la Forêt Noire, on était une section (théoriquement une trentaine d’hommes) avec 4 chars, des Sherman, armés d’un canon de 76,2. On grimpait derrière les chars et dès qu’il y avait une résistance on s’éparpillait et les chars tiraient au canon sur les objectifs. On protégeait les chars et eux nous protégeaient, c’était une protection mutuelle. La compagnie avait perdu 40% de ses effectifs. Nous n’avons jamais été en repos. J’avais un groupe qui ne comptait plus que 7 ou 8 soldats sur 15. C’est le capitaine qui nous fixait les objectifs, il nous réunissait autour des cartes et nous disait : « Voilà les gars vous avez ça à faire, en désignant tel ou tel village, allez, bonne chasse ! ». Le soir on s’arrêtait et des troupes venaient nous couvrir pendant qu’on se reposait et puis le lendemain matin on remettait ça. On ne recevait que des munitions, pas de ravitaillement, on devait se débrouiller avec des œufs, du lard, de la confiture…tout le monde avait perdu au moins 5 Kg !
Patrick : « Tu m’avais raconté ta rencontre avec un vieil allemand qui était sorti de sa maison… »
Paul : « Oui, c’était dans un village que nous avions pris. On défonce la porte d’une maison et au fond du couloir on voit un allemand unijambiste en uniforme avec des béquilles, il avait plein de décorations, c’était un officier d’une cinquantaine d’années, il s’est mis devant nous et nous a salués. Mon copain me dit « on le descend ? » je lui réponds « T’es fou on ne va pas descendre ce gars là ! » et on l’a laissé. Une fois on en avait sonné un lors d’une attaque. Au dessus d’une espèce de butte on voit un casque allemand on tire et on s’approche : c’était un brancardier allemand avec son brassard, touché à la joue il agitait son mouchoir blanc. Ce sont nos brancardiers qui s’en sont occupé après. Je ne sais pas s’il a survécu le pauvre gars.
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On a continué maison par maison, on découpait les serrures à coups de mitraillette et si ça résistait on balançait des grenades par les soupiraux des caves. Si on laissait des allemands derrière nous ils nous tiraient dessus. On s’est fait esquinter plusieurs fois comme ça. Il fallait tout nettoyer avant de partir ! Certains se rendaient et étaient fait prisonniers…Avec nous il y avait une compagnie de canons d’infanterie, avec des canons courts de 105, qui nous accompagnait. Il y avait bien entendu d’autres troupes mais on ne s’en occupait pas. Le capitaine disait : « Voilà, si vous voulez dormir dans un lit ce soir, il faut prendre ce patelin là, sinon vous dormirez dans les bois ! »
Patrick : « cela veut dire qu’il y avait de la résistance de la part des allemands… »
Paul : « Bien sûr, nous avons perdu du monde lors de nos attaques ! »
Patrick : « Ceux que vous aviez en face c’était des jeunes ? des vieux ? »
Paul : « Il y avait de tout, des jeunes des vieux…on a même trouvé des marins ! Ils avaient ramassé toutes sortes de troupes pour reconstituer des unités combattantes »
Patrick : « A ce moment là est ce que vous ressentiez une certaine désorganisation ou une organisation réelle ? »
Paul : « Non, il y avait encore de l’organisation. Ils avaient du matériel ! Quand on s’est cassé les dents à Karlsruhr ou à Rastatt on s’en est bien rendu compte ! Ce n’était pas de la rigolade ! »
Patrick : « A quel endroit vous trouviez vous à la fin de la guerre ? »
Paul : « Nous nous sommes arrêtés alors que nous prenions la direction de l’Autriche. C’est à ce moment là que les allemands on demandé l’armistice. Nous sommes revenus dans le Würtemberg à Altheim, nous sommes restés là quelques semaines pour occuper le terrain. Le régiment devait partir en Amérique, car la guerre avec le Japon n’était pas terminée. On devait faire partie d’une division de Marines américains. On devait suivre une formation intensive avant d’être incorporés dans ces unités américaines. Mais moi ça ne m’intéressait pas d’aller là bas ! »
Patrick : « …d’autant plus que tu t’étais engagé pour la durée de la guerre avec l’Allemagne ! »
Paul : « oui, mais ils ne voulaient pas me lâcher quand même ! J’ai fait une demande pour ne pas partir. Le capitaine m’a convoqué et m’a fait une proposition : « vous avez une formation de quelques mois dans la région parisienne puis vous partez comme instructeur de tir à Cherchell » (Algérie) là où Saint Cyr s’était repliée . J’étais marié, j’avais mon travail chez Japy à Fesches. Je crois que la direction de Japy à Paris était intervenue auprès du Ministère de la guerre en disant que Japy travaillait pour l’armement, ce qui est vrai, on faisait des casques, des obus…moi je ne travaillais pas dans ce secteur là.Ma demande avait été appuyée mais ça n’avait pas marché tout de suite. Quand j’ai refusé de partir à Paris on m’a muté au 9ème régiment de Zouaves qui ne partait pas ! Il fallait que je mette la chéchia, mais j’avais dit qu’aucune ne m’allait. J’avais toujours mon calot bleu de l’infanterie de marine. Le capitaine me disait « Alors Mathie, quand est-ce que vous allez porter la chéchia ? – Mais mon capitaine aucune ne me va ! – Il faut aller au magasin ils en ont ! » Le chef de section était le lieutenant Briand, petit fils d’Aristide Briand. Je ne l’ai jamais vu, il faisait ce qu’il voulait ce gars là !Il était toujours en stage ici ou là, alors c’est moi qui commandait la section ! J’étais sergent mais j’avais des sergents sous mes ordres ».
Patrick : « je me souviens que tu avais une caisse en bois avec ton nom ton grade et l’emblème du 21éme RIC avec sa devise : croche et tiens »
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Paul : « Oui c’était une cantine avec le marsouin. L’infanterie coloniale c’était l’infanterie de marine qui était stationnée dans les colonies. Comme mon régiment arrivait de Dakar c’était le 21ème régiment d’infanterie coloniale ».
Patrick : « Dans ce régiment y avait il des indigènes comme on disait autrefois ? »
Paul : « Oui, il y en a eu jusqu’à ce qu’ils arrivent au niveau de Besançon. Ils ont remplacé les noirs qui n’auraient pas supporté l’hiver par des gens des environs, des anciens FFI, ils ont tout reconstitué. On a appelé ça le blanchiment de la division. Les indigènes eux, sont redescendus dans le Midi où le climat était plus doux. Ils n’auraient pas pu tenir au cours de l’hiver 44/45, très rigoureux, passé dans des trous avec des arbres au dessus de la tête ! La soupe était froide, si tu faisais du feu pour la chauffer , les allemands qui n’étaient pas loin t’envoyaient des obus !...Ce que je n’ai pas raconté c’est que lorsqu’on se trouvait dans des petits postes ; quand il fallait aller chercher la soupe il fallait descendre de ces petites buttes. A chaque fois qu’un de nous sortait il se faisait canarder ! Je me suis dit « c’est pas possible, il y en a un qui doit nous voir ! »… A une quarantaine de mètres il y avait un pont qui avait sauté et sur ce pont un camion retourné. Le camion avait un trou provoqué par l’impact d’un projectile. A travers ce trou on voyait le ciel, puis par moment on le voyait plus ! Je me suis dit qu’il devait y avoir un guetteur qui était là ! J’appelle mon grenadier qui disposait de grenades antichar. Je lui dis « Viens voir Marchal, tu vois ce trou là, oui ? et bien quand tu ne le verras plus tu tires dedans » Il règle la hausse à 50 mètres. Tout à coup le coin de ciel disparaît. Il tire, en plein dedans ! Depuis ce moment là on n’a plus jamais été embêtés ! Le tireur allemand avait simplement oublié qu’il fallait mettre une toile derrière lui . C’était à Rixheim près du pont du Bouc côté Français pendant l’hiver 44. Un jour on se trouvait au bord du canal, le lendemain on allait à l’arrière à environ deux kilomètres. On pouvait dormir un peu, mais la nuit il fallait faire la jonction entre tous ces petits postes . Il y avait de la neige et des mines posées par les allemands, les américains et les français. Les endroits où se trouvaient les mines américaines et françiases étaient balisés par des tresses blanches, mais le poids de la neige les avait cassées, alors on ne savait plus trop où on allait ! De temps en temps un grand boum …c’était une patrouille qui sautait ! Le lendemain retour aux avants postes et ainsi de suite car il n’y avait personne pour nous relever !
Patrick : « Mais pour faire la liaison entre les postes il n’y avait pas de radios ? »
Paul : « Si ! mais comme les allemands la nuit faisaient des incursions en traversant le canal ils secouaient le paletot des nôtres, donc il fallait une liaison physique.
Patrick : « Pour terminer cet épisode de guerre, revenons à l’épisode du lieutenant Briand . Combien de temps es tu resté au 9ème Zouaves ? »
Paul : « J’y suis resté à peu près deux mois en attendant que ça vienne quoi !
Patrick : « quelques questions complémentaires : comment s’est faite la transition entre ton travail chez Japy à Fesches et ton embauche chez Peugeot à Sochaux ?
Paul : « Chez Japy j’étais d’abord contremaître, puis chef d’atelier. La fabrication des émaux se scindait en trois parties : les mélanges où il fallait faire les dosages des matières premières suivant diverses formules, les mélanges étant faits allaient aux fours à fondre qui fonctionnaient avec du gaz de charbon chauffé à 1200°C pendant 1H1/2 , la coulée tombait dans un réservoir d’eau pour être refroidie ce qui donnait de la grenaille. Cette grenaille était broyée avec de gros cylindres contenant des cailloux …
L’enregistrement s’arrête ici, la cassette étant en fin de course. J’ai noté ensuite les principales informations données par Paul en réponse à mes questions.
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…C’est à partir de cette poudre et d’adjuvants que l’on réalise les bains d’émail dans lequel seront plongés les casseroles, cafetières et autres ustensiles de cuisine ou d’hygiène ( on fabriquait aussi, chez Japy, des récipients pour lavement, des urinoirs des haricots pour les hôpitaux…) qui étaient ensuite cuits dans des fours à haute température.Il se trouve que Paul a eu l’opportunité d’entrer chez Peugeot à Sochaux par l’intermédiaire de mon parrain Paul CHANUDET, dit « le chat » qui était chef d’atelier. Les perspectives d’évolution étaient plus intéressantes chez Peugeot que chez Japy. Au fil des ans Paul est devenu cadre à la formation professionnelle de l’entreprise où il organisait les essais professionnels permettant aux employés de valider leurs compétences et leurs qualifications. C’est à son bureau que j’allais lui rendre visite. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de ses collègues de travail PERRON, REBOUT, FRICHET…Il partira en retraite vers 60 ans, profitant d’un plan de préretraite particulièrement avantageux qui lui permettait de toucher l’intégralité de son salaire avant de percevoir sa retraite à l’âge légal.
J’ajouterai ici quelques souvenirs qui ne figurent pas dans le récit de Paul :
Concernant l’enfance :
Au Nouvel An, Paul allait souhaiter la « bonne Année » à une voisine, amie de sa mère. Cette dernière lui remettait traditionnellement une orange et une pièce de « cent sous ». A son retour à la maison sa mère lui laissait l’orange mais conservait la pièce « pour t’acheter des habits ! » disait –elle…il est vrai que la vie n’était pas facile pour eux et qu’ « un sou était un sou » !Lorsqu’en été on venait leur rendre visite Paul était chargé d’aller acheter un pichet de bière au café voisin car il n’y avait pas de réserves de boisson, ni d’alcool à la maison.
Concernant l’adolescence :
Les distractions étaient rares à l’époque. Le dimanche, Paul faisait des sorties à bicyclette avec les jeunes de la paroisse protestante de Fesches. Il faisait partie, comme ma mère de la chorale.Son goût pour les arts s’est révélé vers 18 ans lorsqu’il a souhaité apprendre la musique à l’harmonie des usines Japy. Il a appris le solfège et à jouer du saxophone soprano, instrument particulièrement ardu ! Elève doué, il a rapidement intégré les rangs de l’harmonie. Le chef de musique, Louis Morgenthaler, grand père de mon ex épouse Frédérique , a composé pour lui et un clarinettiste, un duo intitulé « Pierre et Paul ». Etant enfant je me souviens l’avoir vu et entendu jouer au kiosque à musique.Son père et ses frères étaient gymnastes. Paul a suivi leurs traces en faisant partie de la société gymnique du village.
Concernant la vie d’adulte :
Un épisode des combats en Allemagne : alors que sa section attaquait un village il fut pris sous le feu d’une mitrailleuse ennemie et ne dut son salut qu’à la présence d’un gros hêtre derrière lequel il plongea. Les balles arrachaient l’écorce et hachaient les branches au dessus de sa tête. Jamais il n’aima tant les arbres que ce jour là !
Mon père a été l’un des fondateurs et un membre actif de l’association des supporters du club de football l’US Fesches qui a joué dans les championnats amateurs à un excellent niveau. Jacques Santini, fils de Jean sera engagé comme joueur professionnel à Sochaux, puis à Saint Etienne et deviendra entraîneur de l’équipe de France.Afin de récolter des fonds pour le club, un bal était organisé chaque année à la salle des fêtes « Le comptoir ». Je me souviens que, pour décorer la salle, mon père et ma mère avait dessiné, peint et découpé des dizaines de silhouettes d’hirondelles symboles du printemps et du renouveau...
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Paul appréciait particulièrement Beethoven, son compositeur favori. Afin d’écouter ses disques il avait fait l’acquisition d’une chaîne stéréo de qualité.Il avait acheté un vélo de course et jusqu’à plus de soixante ans il pratiquera la randonnée cyclotouriste.Amoureux de « la terre » il élèvera des lapins et cultivera son potager.
Après le décès de sa deuxième épouse Jacqueline, Paul a souhaité rejoindre une maison de retraite, la MARPA de Bréchaumont 68 et vendre sa maison. Il s’est éteint à l’hôpital de Dannemarie le 21 novembre 2009. Conformément à son souhait il a été incinéré ; ses cendres reposent auprès de son épouse au cimetière de Montreux Jeune.
== 'GUERRE DE 39-45 CAMPAGNES D'ALSACE ET D'ALLEMAGNE' ==
'''RELATION DE LA BATAILLE DE WITTENHEIM 68'''à laquelle a participé Paul MATHIE en Février 1945Par Lionel FONTAINE (2011)Club Mémoire 52 (document trouvé sur internet).
(Paul, alors marié, s'est engagé à Fesches le Chatel (25), le 18 novembre 1944, lorsque le 21ème RIC a délivré le village. Il a participé à la campagne d'Alsace, la traversée du Rhin, les batailles de la Forêt Noire jusqu'à la capitulation de l'Allemagne. Le récit de Lionel Fontaine retrace la prise de WITTENHEIM en Alsace qui a vu tomber de nombreux compagnons de combat de mon père, en particulier lors de l'attaque de la salle des fêtes).
Lionel FONTAINE raconte:
Du sang sur la neige : les Haut-Marnais (et francs comtois)libèrent la cité Sainte-Barbe
mardi 1 février 2011
Robert Creux (1929-1945), né à Saint-Dizier, engagé à 15 ans et demi au 21e RIC, tué le 2 février 1945 à la cité Sainte-Barbe. (Collection Lionel Fontaine)*Il y aura, demain, 66 ans, 18 marsouins du 21e régiment d'infanterie coloniale nés ou engagés en Haute-Marne trouvaient la mort lors de la libération de la cité Sainte-Barbe, quartier ouvrier de la commune de Wittenheim, près de Mulhouse. Voici une relation inédite de cette rude bataille basée sur de nombreux témoignages recueillis depuis une vingtaine d'années.
"Lorsque les marsouins du 1er bataillon du 21e régiment d'infanterie coloniale laissent derrière eux la caserne Lefèbvre de Mulhouse, le 2 février 1945 à 1 h 15, voilà treize jours que leurs camarades de la 9e division d'infanterie coloniale luttent âprement pour arracher à l'ennemi les cités ouvrières, usines et mines de potasse de la périphérie mulhousienne.Treize jours sous le froid et la neige, marqués par des attaques et autant de contre-attaques, depuis le lancement de l'offensive de la 1ère Armée française contre la poche de Colmar. L'objectif du bataillon : Sainte-Barbe, une cité excentrée de la commune de Wittenheim où logent les familles des ouvriers de l'usine Théodore. Après la conquête de Wittenheim par les hommes du 6ème RIC, le 30 janvier, Sainte-Barbe est, pour la 9e DIC, le dernier obstacle avant la ville d'Ensisheim, sur l'Ill.Nul doute, comme pour chacun des points d'appui qu'on lui a arrachés, que l'ennemi ne cèdera pas aussi facilement cet ensemble de maisons neuves aux hommes du commandant Gilles Paris de Bollardière. « Renseignements franchement mauvais, écrira le capitaine Robert Vial, patron de la 1ère compagnie : l'ennemi va défendre avec acharnement la cité qui constitue sa dernière ligne de défense avant Ensisheim. Présence de chars probable ». Les troupes allemandes qui s'y accrochent sont celles qui viennent d'être chassées de Wittenheim.
Il est 1 h 15 lorsque le I/21e RIC quitte Mulhouse en GMC. Le déplacement est relativement court : une petite heure. Les camions stoppent à proximité de la cité Anna, conquise quelques jours plus tôt par le II/23e RIC. « Il fait très froid et la plaine est recouverte de neige miroitant sous le clair de lune », relève le journal de marche du bataillon. A pied, les Haut-Marnais gagnent le Jungholtz, un petit bois aujourd'hui disparu qui est situé à environ 500 m à l'ouest de la cité Sainte-Barbe. Ce sera la base de départ de l'attaque. Pour la rejoindre, le bataillon emprunte le carrefour 236. « Nous distinguons une masse noire, écrit le caporal Jean Maire. C'est un half-track qui est immobilisé. Les pneus avant sont complètement cramés et il se dégage une forte odeur de brûlé. Sur le côté, un casque de tankiste semble recouvrir quelque chose de noir. A côté, un bras et la main complètement carbonisés. Et presque sous le véhicule, une masse noire qui est certainement le corps du malheureux conducteur ». La veille, en effet, une action de la 1ère division blindée a échoué dans la conquête de Schoenensteinbach, hameau de Wittenheim, et les pertes ont été lourdes, comme peuvent le constater les hommes du commandant de Bollardière. Cette première vision de mort impressionne également le soldat Paul Rivault (3ème compagnie), qui garde le souvenir de « plusieurs cadavres de soldats français et allemands qui n'avaient pas encore été évacués ». Quant au soldat Marcel Pesme, de la même unité, il reconnaît que la scène l'a mis « tout de suite dans l'ambiance... »Le bois est enfin atteint : il a été nettoyé dans la nuit par deux sections du 23e RIC, les sections Nicolaï et Parcollet de la 6e compagnie du II/21e RIC et la section de déminage de la Compagnie anti-chars du régiment. Un nettoyage « sans résistance », rapporte sobrement le capitaine Jean Surun, le gendre du célèbre général Mangin, qui commande la « 6 ».
5 h. Les hommes du commandant Paris de Bollardière s'installent aux lisières Est du Jungholtz. La discrétion est de rigueur, car les avant-postes ennemis ne sont qu'à une centaine de mètres. La moindre imprudence, et les Allemands peuvent faire appel à leur artillerie, qui causerait un terrible massacre dans ce petit espace boisé où se sont massés 800 hommes. Le risque des mines n'est pas non plus négligeable. « Un ordre est donné : éparpillez-vous et faites votre trou ! se souvient le caporal Maire. Avec les pelle-pioches, chacun creuse son emplacement à une profondeur d'environ 15 cm ».
6 h. Le bataillon semble avoir été repéré : des obus de 88 s'abattent sur le petit bois Et causent des pertes aux marsouins. « Un jeune, arrivé le 30 janvier à la caserne de Mulhouse et affecté dans mon groupe, est touché d'un éclat d'obus, raconte le caporal Guy Seigle, de la 2e compagnie. Un obus de mortier dévié par des branches d'arbre tombe à côté de moi sans exploser. Nous sommes plaqués au sol. Nous nous faisons le plus petit possible. On entend des blessés appeler... ». Arrivé à la 2e compagnie le 27 janvier – moins d’une semaine !, le jeune Abel Mangin - il n'a pas 18 ans - raconte son baptême de feu : « J'étais derrière une touffe de jeunes arbres, en attendant la fin de cet enfer, quand Pierre Delaborde est venu me voir et m'a pris sous sa coupe. Nous nous sommes rendus près d'un soldat qui était allongé. Il l'a secoué mais il était mort... ». Vraisemblablement, il s'agit là du caporal Guy Leroy (section Delattre), première victime de cette journée.
« Cela dure trois quarts d'heure. La terre tremble, témoigne Jean Maire. Quand nous nous relevons, les trous apparaissent remplis d'eau glacée et nos vêtements sont complètement trempés sur le devant. Durant le bombardement, nous n'avons rien senti... »Subitement, le calme revient. Il ne dure pas.
Il est 6 h 50 lorsque l'artillerie française ouvre à son tour le feu en prélude de l'attaque. Le tir ennemi cesse. Il est 6 h 50, et les bouches à feu françaises vont à leur tour donner. Avant que celles-ci ne déposent un écran de fumigènes, le caporal Seigle, un ancien de l'armée d'armistice engagé en Haute-Marne, jette un oeil vers l'objectif du bataillon : « Au premier plan, des prés, des bosquets d'épines et à 400 m, des jardins entourés par des haies et des grillages, au milieu les maisons d'habitation. Le sol est recouvert de flaques d'eau, de neige fondue et surtout de boue. Des départs de coups de fusil et d'armes automatiques sont visibles entre les maisons. J'ai repéré l'école, bâtiment qui se détache au fond d'une place à gauche d'un groupe de maisons. C'est notre objectif ». La préparation d'artillerie, assurée par le 1er groupe du Régiment d'artillerie coloniale du Maroc (RACM) et la compagnie de canons d'infanterie du 21e RIC, débute : elle doit durer dix minutes. Mais cinq se sont à peine écoulées que la 2e compagnie du lieutenant Chabot, chargée de conquérir le centre de Sainte-Barbe, s'élance sur le « billard » séparant le Jungholtz de la cité. La 1ère section du lieutenant Marcel Girardon est en pointe : elle tombe rapidement sur les avant-postes ennemis, surpris par cet assaut mené par les marsouins au milieu de leurs propres obus ! La section Delattre emboîte son pas : « Nous progressons par bonds en nous couchant le plus souvent dans la neige fondue, écrit Guy Seigle, qui commande l'équipe fusil-mitrailleur du 3e groupe du sergent Soulard. Arrivés aux premiers bosquets, des Allemands se montrent en levant les bras... Certains obus tombent même sur mon groupe. La progression par bonds désorganise un peu l'alignement, ce qui fait que les hommes ayant perdu de vue leur chef avancent à l'aveuglette. Des balles traçantes allemandes arrivent sur nous. Deux hommes tombent, l'un devant moi, l'autre à côté, je suis encadré par le tir ennemi. C'est même un mélange d'obus allemands et français avec en plus un tir d'armes automatiques en provenance des maisons. Pour masquer notre avance, notre artillerie tire des fumigènes qui nous cachent mais dissimulent notre objectif. Tout le monde progresse dans les champs. A l'approche des jardins, j'entends le commandant d'unité crier : « Baionnette au canon !... ». Un dernier fossé précédant les jardins est atteint par les hommes de l'adjudant-chef Delattre : le chef de section et ses chefs de groupe en profitent pour regrouper leurs hommes. Le caporal Seigle constate ainsi que son équipe de fusiliers - le FM est tenu par Henri Prévot, de Rimaucourt, et Roland Schneider, de Roches-sur-Rognon - est au complet. Il n'en est pas de même au sein de toute la 2e section. Le voltigeur Abel Mangin, du 1er groupe (sergent Léon Porché), qui raconte son baptême de feu : « Avec Pierre Delaborde, j'ai retrouvé le groupe ou ce qui en restait derrière un transformateur, devant des tranchées allemandes desquelles partaient des grenades à manche. Il me semble qu'à cet endroit, nous avons fait quelques prisonniers que j'ai conduit à l'arrière au PC du lieutenant Chabot. Je suis revenu le long d'un plan d'eau. J'y ai vu quelques blessés dont René Picard qui attendait les infirmiers. Les obus continuaient à tomber sur le plan d'eau et les environs. » Le tireur FM Pierre Delaborde, de Roôcourt-la-Côte, se souvient que son chargeur Picard « a été blessé par un éclat d'obus alors qu'il était assis contre un arbre, à mes côtés ». Ce Rolampontais a été grièvement touché au bras, tandis que le tireur au rocket-gun Jules Lamontagne a reçu un éclat de mortier lui ayant sectionné le tendon d'une jambe. Lamontagne était originaire de Fontaines-sur-Marne, tout comme Lucien Martin, alias « Bidouille » : celui-ci, déjà blessé le 17 novembre 1944 devant Bondeval, a écopé d'un éclat dans l'abdomen. Deux soldats de la 2e section originaires de la Somme ont également été tués : Roger Drioux et Robert Doffin.
Dans la foulée de la compagnie Chabot, les marsouins de la 3e compagnie s'élancent sur le glacis gelé. Parmi les premiers éléments, un jeune Meusien de 17 ans, Jean Guillon, chargeur du rocket-gun de la 3e section : « Les environs, c'était marigots gelés et enneigés. En nous « étalant » sur la glace, arriva ce que nous redoutions, surtout avec nos charges d'obus de rocket : la glace céda. Et plouf pour nous quatre ou cinq jusqu'au cou ! Avec bien du mal, nous nous en sommes sortis et avons repris la progression, pour voir le capitaine Eon déjà aux premières maisons. Là, un civil alsacien donnait des directions et avait l'air de renseigner sur les positions schleus. Et ce sous un déluge de feu, mortiers et 88, après le feu au départ des chars qui nous avaient occasionné plusieurs blessés... ». La section de l'aspirant Thiabaud vient de perdre le soldat Joseph Ferrer, tué, les soldats Grattesol (du Doubs), Robert François et Raymond Leclerc, blessés, tous deux originaires de Saint-Dizier. Tireur FM, Robert François n'a que 18 ans : le brancardier qui vient lui porter secours n'est autre que son beau-père Raymond Stuber, sergent au sein du service de santé commandé par le médecin-capitaine Marcel Heckenroth.
La 2e section du sous-lieutenant Marcel David arrive également en vue de Sainte-Barbe. Marcel Pesme, de Laneuville-à-Bayard, servant dans le 6e groupe du caporal François Lemut, raconte : « Un violent tir de 88 nous a fait obliquer sur la gauche, traverser un fossé plein d'eau - car la neige fondait - et obliquer ensuite à droite pour entrer dans la cité. Là, nous avons été accueillis par le tir des Allemands. A ce moment là, Marceau Feit a reçu la balle qui l'a tué... »*. Le Meusien René Rihn, déjà blessé à Pont-de-Roide, compte également parmi les premiers tués de la section. Louis Oudin, tireur FM du 4e groupe du sergent André Héno, se souvient pour sa part de civils - et parmi eux une jeune femme - qui se portent au devant des libérateurs. Les marsouins doivent les prier de se mettre à l'abri dans leur domicile. Paul Rivault, voltigeur dans la 1ère section du lieutenant Georges Bernard, précise : « Ma première vision en regardant vers les maisons distantes d'une centaine de mètres a été une bâche allemande avec une croix rouge, sous laquelle se trouvait un blindé qui n'a pas tiré sur nous. Je ne sais ce qu'il est advenu, car notre groupe est parti sur la gauche par rapport à cet engin, en direction des premières maisons. Nous avons franchi rapidement la distance entre le bois et les habitations que nous avons atteint sans perte. Les gens terrés dans les caves nous ont prévenu que les Allemands étaient cachés dans presque chaque habitation. Alors que nous parlons à ces personnes, nous avons essuyé les premiers tirs, sans dégât... ».
La 2e compagnie prête à nettoyer le centre de la cité, la 3e qui la suit pour conquérir le secteur droit : c'est à la 1ère compagnie, celle issue du maquis d'Auberive, de s'attaquer à ce gros morceau que constitue l'usine Théodore. Ecoutons le caporal Jean Maire, de la 2e section : « Sur notre droite, nous pouvons assister à l'assaut de la 1ère section. Sur un fond de ciel rougeoyant, à moins de 100 m, nous distinguons de profil les nombreuses silhouettes sombres qui s'élancent, le fusil à la main, et nous entendons leurs cris de sauvage. Le spectacle est saisissant... ». Les hommes de l'adjudant-chef Guy Rosquin s'élancent. Jean Maire : « Après avoir quitté le fourré où nous étions camouflés, nous marchons en file indienne en contrebas de la voie ferrée, que nous voyons aboutir plus loin à une usine. De toutes parts, les balles claquent, venant on ne sait d'où... Derrière moi, j'entends un cri. C'est Grandperrin - un nouveau - qui croit avoir été touché. Il a la manche de capote coupée à hauteur de poitrine, mais la balle a seulement égratigné son bras... Nous suivons un fossé rempli d'eau. Alors pour être moins en vue, nous n'hésitons pas à nous enfoncer jusqu'aux genoux dans cette eau glacée, mais nous n'y sentons rien... Ensuite, il y a un petit terrain découvert que nous devons traverser en rampant. Au bout, nous franchissons une clôture en grillage dans laquelle notre chef de groupe a pratiqué une ouverture à l'aide de sa pince coupante... » René Pitollet, caporal au sein de la 1ère section de l'aspirant Georges Caminade, note dans ses carnets : « Riposte des boches avec leurs canons à six tubes, dont le bruit ressemblait au beuglement d'une vache. Lecomte est tué dès le départ ainsi que Raspès, qui faisaient partie de mon groupe...» Ce 2e groupe, le caporal Pitollet en prend le commandement, après la blessure au talon du sergent-chef Laure : Gilbert Lecomte et Jean-Baptiste Raspès étaient tous deux Haut-Marnais. La liste des victimes de ce département s'allonge...
Dans la cité, la progression commence, 3e compagnie à l'extrême-droite avec pour objectif la salle des fêtes, 2e compagnie au centre pour s'emparer de l'école et de la mairie. Le caporal Guy Seigle, de la section Delattre, poursuit son récit : « Nous repartons en franchissant une route... Les haies des jardins se passent facilement. Nous avançons vers les premières maisons. Avec quelques hommes, je me dirige vers l'école en traversant la place sur laquelle se trouve un rond-point couvert de végétation. Les Allemands se retirent des maisons qu'ils occupaient avant notre arrivée pour nous précéder à l'école. Voyant cela, notre chef de section nous fait signe de bifurquer vers une maison à droite de l'école, mais celle-ci est sous le feu des Allemands embusqués et nous nous trouvons bloqués là. Nous sommes en avance sur le reste de la compagnie qui se débat toujours dans les jardins des premières maisons du village. Nous avons pu profiter d'un repli partiel de l'ennemi. C'est à dire que nous sommes infiltrés derrière sa ligne de défense. Nous occupons seulement deux maisons : le chef de section est dans l'une et moi avec le sergent et le groupe FM dans l'autre. Nous formons ainsi une petite enclave de 8 à 10 hommes dans deux maisons... »
La compagnie Eon* progresse sur la droite. La section Bernard* va rapidement se heurter à une énergique résistance ennemie : « Nous avons franchi deux ou trois pâtés de maisons avant d'arriver en bordure du terrain de foot, témoigne le soldat Paul Rivault. Nous devions le traverser pour atteindre les maisons en face où étaient embusqués les Allemands. Ils nous voyaient arriver... » Fusils et mitrailleuses crachent sur le groupe commandé par le sergent Maurice Landivaux, de Chaumont, engagé sur ce terrain découvert et enneigé jouxtant la salle des fêtes située à la sortie de Sainte-Barbe. Une balle au front tue le sous-officier, un pompier âgé de 32 ans. L'explosion d'un obus ôte la vie au jeune Anicet Vanaquer (17 ans), de Marnaval, et blesse Lucien Minot. Le soldat Raymond Rousset, père de famille bisontin, est également tué. « J'ai dû être blessé au troisième bond en avant ordonné par le caporal qui avait pris le commandement du groupe », raconte Paul Rivault, touché d'une balle à l'épaule. Le FM, servi par Jean-Louis Renaud et Roger Levallois, fait l'objet des tirs de l'ennemi : le tireur a les deux joues traversées par une balle, son chargeur, originaire de Laneuville-à-Bayard, trouve la mort. Seuls sont indemnes le caporal Jean Régin, Joseph Sguerra et Monso. En quelques instants, le groupe Landivaux a perdu quatre tués et trois blessés. Cinq s'étaient engagés en Haute-Marne...La section David pousse en direction de la place jouxtant le théâtre. Parvenue à son objectif, elle aperçoit un camion ennemi qui, par une marche arrière, entreprend de remorquer une pièce de 88 : par leurs tirs, Louis Oudin et le caporal Jean Renard abattent passagers et servants.Les hommes du lieutenant Georges Bernard atteignent également le théâtre. Ils entreprennent le nettoyage d'une rue bordée de palissades en bois*. Débouche alors une auto-mitrailleuse allemande. La blindée enfonce une palissade et se retranche, par le jardin, derrière une maison. Armé de son fusil lance-grenades, le soldat François Roussille, de Versailles, essaie imprudemment de la mettre hors de combat. Il n'en aura pas le temps : un projectile l'atteint de plein fouet en pleine poitrine. Adossés à une palissade, des marsouins voient arriver un véhicule transportant des soldats allemands, tandis qu'ils essuient des coups de feu tirés depuis plusieurs fenêtres. Le radio Joseph Decombe est tué d'une balle dans la tête. Une balle explosive éclate contre la palissade, à quelques centimètres de la tête de Gilbert Hinderschiett, tireur au rocket-gun. Non loin, une rafale partie d'une cave atteint au bas-ventre le soldat Fernand Billey, de Fesches-le-Chatel *(Territoire de Belfort) ( en réalité dans le Doubs). Ses camarades parviendront à le mettre à l'abri dans un sous-sol, mais il succombera à ses blessures. Le caporal Pierre Blanchard, chef de groupe, est également touché à la cuisse.Le soldat Aimé Poirot, ayant repéré un canon de 37 mis en batterie, se glisse dans une maison et fait feu au lance-grenades : un servant est tué par un éclat au front, les trois autres se replient. Ils seront faits prisonniers. Dissimulé derrière un garage, l'auto-mitrailleuse ouvre le feu, blessant indistinctement un prisonnier et, au genou, le soldat Roger Rondeaux. Une balle brise l'anneau-grenadière du fusil d'Aimé Poirot, mais le marsouin, qui bénéficie de la "baraka" depuis le début de la campagne, est indemne.Alors que les compagnies Chabot et Eon procèdent au nettoyage de Sainte-Barbe, la compagnie Vial livre combat pour conquérir l'usine. En pointe, la 3e section du sous-lieutenant Roignant pénètre dans le périmètre de cette entreprise et rapidement, bénéficiant de l’effet de surprise, atteint la lisière Nord. Dans la foulée, elle a capturé une trentaine d'Allemands, dont leur commandant. Une mitrailleuse lourde ennemie installée sur le crassier crache le feu : le groupe du sergent Jean Creste (1ère section) l'enlève à la grenade, faisant 12 prisonniers. La 2ème section de l'adjudant-chef Guy Rosquin parvient à son tour dans l'usine. Le caporal Jean Maire raconte : « Nous atteignons de petits baraquements en planches, dans lesquels nous pénétrons avec prudence, mais il n'y a rien. La section est alors dispersée à l'extérieur, tout derrière des tas de bois qui servent à nous camoufler. En face de nous, se trouvent deux gros bâtiments vitrés avec, au milieu, un pont roulant. Un peu à gauche, une tour métallique portant une grande roue sur laquelle s'enroule le cable qui permet aux cabines de descendre dans la mine... Tout de suite, sur notre droite, devant un baraquement de planches, une dizaine de Boches sont alignés. Ils ont été faits prisonniers par la 3ème section. Nous sommes encouragés, et nous n'attendrons que l'ordre de nous porter plus en avant. Mais voici que des hommes se replient : ce sont des blessés de la 3ème section qui rejoignent le poste de secours. Le sergent Thomas, qui traîne sa jambe avec beaucoup de mal, nous apprend que plusieurs camarades sont tués, dont le caporal Roger Clément...".Que s'est-il passé ? Une cinquantaine de fantassins ennemis appuyés par trois blindés viennent de lancer une contre-attaque visant à reprendre l'usine Théodore. Le capitaine Robert Vial raconte ce combat : "Nous apercevons, par les perspectives des rues, un groupe compact d'ennemi qui se porte, au pas de gymnastique, du centre de la cité vers l'usine... Très vite, la contre-attaque se développe : elle prend l'usine d'enfilade et parvient, en l'espace de quelques minutes, au contact de ma compagnie, qu'elle fusille du haut des fenêtres de grands bâtiments. Des pertes : notre position est difficile... Un char, puis deux, qui ont déjà pris à parti la compagnie Chabot dans les rues de la cité, foncent sur nous en dirigeant sur notre flanc droit le feu de toutes leurs mitrailleuses. Il faut évacuer la baraque attenante à l'usine, où nous avons rassemblé les prisonniers. Mouvement périlleux que le chef de section (Note : le sous-lieutenant Roignant) exécute avec un sang-froid remarquable. Les prisonniers d'abord, que tirent sans merci leurs camarades, puis les nôtres, un à un. Nous nous installons quelques mètres plus loin, toujours dominés par la haute façade de l'usine d'où sortent des coups de feu qui, tout à coup, étendent à terre l'un de nous. Les brancardiers ne suffisent plus...".
Alors que la 1ère compagnie est contrainte au repli par cette contre-attaque énergiquement menée, retrouvons la 2e compagnie aux prises avec l'ennemi aux abords de l'école, dans le centre de Sainte-Barbe. Les hommes de la 2e section de l'adjudant-chef Delattre sont retranchés dans deux maisons. Parmi eux, le caporal Seigle : "Nous voyons l'arrière de l'école et pouvons tirer sur les Allemands qui ont du mal à passer les grillages en se repliant. Avec quelques hommes, je sors de la maison pour reconnaître le côté aveugle de celle-ci, lorsqu'au coin du mur, je me trouve en face d'un soldat allemand aussi surpris que nous. Nous le faisons prisonnier...". Autre soldat de la section, René Lambert, un Parisien venu du maquis de Pincourt, témoigne : "L'adjudant-chef Delattre m'a commandé d'aller, à travers les jardins, chercher des munitions pour le lance-grenades. A mon retour pour approvisionner les tireurs de la section, j'ai entendu un coup de feu...". Un homme tombe. Le caporal Seigle raconte : "Cela fait une heure que nous sommes installés dans cette maison lorsque Roland Sanrey me dit vouloir lancer une grenade à fusil sur un tireur qu'il a repéré dans le clocher de l'église. Malheureusement, il n'aura pas le temps de tirer car, repéré lui aussi, il est tué d'une balle en plein front par ce tireur qui embête tout le monde...". Roland Sanrey, d'Andelot, avait 20 ans. Son demi-frère André Pernot sert aussi dans la section Delattre : il sera également blessé ce jour-là. La 2e section n'est pas la seule à souffrir. La 3e, confiée provisoirement à l'adjudant-chef haut-marnais André Holveck, n'est pas épargnée. "Je me suis rendu à l'église, écrit le soldat Abel Mangin, j'ai remarqué de nombreux corps, et parmi ceux-ci, j'ai reconnu la chevelure blonde du sergent Roy, que j'avais vu 5 minutes avant ; il venait d'être tué par un Allemand qui était posté dans une descente de cave...". Le sergent Jean Roy, chef de groupe dans la section Holveck, avait 26 ans ; il était originaire de Luzy-sur-Marne. Le caporal Guy Seigle se souvient que Roy, "qui veut nous rejoindre, est tué en traversant la rue. Notre chef de section, lui, a réussi à passer, mais le sergent-chef Jeanjean, qui arrive avec quelques hommes, est blessé en essayant lui aussi...". Adjoint à l'adjudant-chef Delattre, Maurice Jeanjean, 34 ans, a reçu une balle dans le bras. Ayant été précédemment malade, il venait de retrouver la 2e compagnie quelques jours plus tôt, ramenant avec lui trois volontaires des communes voisines de Sommeville (où il réside) et Fontaines-sur-Marne : Abel Mangin, Jules Lamontagne et Lucien Martin.
Bloqués par l'efficacité du tireur embusqué dans le clocher, les marsouins de la compagnie Chabot vont devoir également composer, vers 9 h, avec un ennemi autrement plus redoutable : un char (un Tigre selon certains témoignages), l'un de ceux qui, selon Robert Vial, appuieront la contre-attaque de l'usine. Face au mastodonte, les tireurs des trois rocket-guns de la section de commandement, dirigés par l'adjudant-chef haut-marnais Robert Vitry, s'activent. Le soldat André Herdalot, 20 ans, note dans ses carnets : "Un de mes camarades et moi-même tirons dessus. Mais il ouvre le feu sur nous avec son canon et ses mitrailleuses. Des camarades tombent...". Parmi les blessés, Maurice Habermacher, de Manois, dont l'oreille est coupée par l'éclat d'une pierre d'une maison touchée par un projectile. Pour venir à bout du blindé, le lieutenant Chabot décide de faire appel aux Tank-Destroyers du Régiment colonial de chasseurs de chars. Voilà plus de deux heures déjà que le 1/21ème RIC se bat.
A l'extrême-droite de la cité, dont le nettoyage a été confié à la 3ème section (aspirant Thiabaud) de la 3ème compagnie, survient une rencontre insolite que raconte Jean Guillon, chargeur du rocket-gun dont le tireur est un autre Meusien, Mario Marchetti : "Marchetti et moi nous trouvions sur le perron d'une maison à la recherche d'un éventuel blindé. Mais avec cette particularité que nous étions face aux Allemands... que nous prenions pour des gens de la 2ème compagnie qui, eux, avaient revêtu l'imperméable vert. D'où notre méprise, et notre échange de signes d'amitiés, auxquels ils ont répondu... jusqu'à ce qu'on nous fasse remarquer notre bévue... C'est alors que les choses se précipitèrent...". De cette maison contre laquelle les deux Meusiens ont pris position, des coups de feu claquent. Deux marsouins se précipitent dans l'habitation. Ils tentent de gagner l'étage : le caporal Gilbert Combre et le soldat Robert Creux, le benjamin du bataillon (et l'un des cadets de la 1ère Armée). Né en janvier 1929 à Saint-Dizier, il vient de fêter son seizième anniversaire ! Dans la cage d'escalier, le très jeune soldat est fauché par deux rafales, "la seconde dans sa chute, au cours de laquelle il a heurté le caporal à un bras. On a même précisé alors qu'il l'avait reçue dans le dos, Combre y ayant échappé. Régnait alors pas mal de confusion puisque nous apprenions aussi la mort d'Amode Dominici. Roger Georges a vu les deux Allemands sauter d'une fenêtre du haut (...), sûrement ceux qui venaient d'abattre Creux. Il les a canardés sans succès...". La mort de leur jeune copain déchaîne les hommes de la 3ème section. Le groupe du sergent-chef Michel Procot s'empare de la maison : de la cave, sortent douze Allemands... et des civils. Sous le coup de la colère, leur Feldwebel est abattu. Jean Guillon se souvient également d'un "copain ch'ti râlant sur un tas de fumier proche, une balle dans le ventre, criant de les abattre tous. Mon premier vrai combat... Ces deux gamins des deux bords s'affrontant (j'avais moi aussi 17 ans), "ils" n'étaient pas plus âgés, notamment ce jeune revêtu d'une chasuble croix-rouge : "Ich Polak... Ich Polak.." pour lequel nous étions pleins de commiscération...". Ces prisonniers sont parqués dans un jardin, leur garde étant assurée par Jean Paroissien, l'observateur de la section. Quand un "mouchard" s'avisera de renseigner par signes un tireur, auteur de quelques coups de feu, il sera abattu. "A 9 h 30, note l'aspirant Thiabaud dans son carnet, ma section borde les lisières sud de la cité Sainte-Barbe...". Ses pertes s'élèvent à 2 tués (Robert Creux et Joseph Ferrer) et 7 blessés : Amode Dominici qui décèdera le 4 février, Demoulin, Grattesol, Robert François, Raymond Leclerc, Pernoud et Vasseur.
A la gauche de la section Thiabaud, les autres sections du capitaine Eon sont aux prises avec les Allemands défendant farouchement le cinéma-théâtre. Balles de fusils-mitrailleurs et grenades visent particulièrement les fenêtres du bâtiment. Dans les rangs de la compagnie, la liste des tués et blessés s'allonge Une balle explosive atteint grièvement à la jambe l'adjudant-chef Jean Gérin, un ancien marin qui commande la section de commandement : il sera amputé. Un de ses agents de liaison, le varois Michel Baretge, est également mis hors de combat.Quant à l'auto-mitrailleuse, celle que n'a pu réduire François Roussille, elle se montre redoutable. A la 2ème section, le caporal Hubert Marceau et le soldat René Petitpas, de Marnaval, sont blessés. Agé de 19 ans, ce dernier rend l'âme en appelant sa mère. "Le capitaine Eon veut rejoindre le lieutenant Bernard, qui se trouve de l'autre côté de la rue, écrira le journaliste Michel Bollot. Il est pris sous le feu de l'auto-mitrailleuse qui n'est qu'à 30 mètres du PC. Une balle lui traverse le talon gauche. Le capitaine refuse d'être évacué avant d'avoir dicté ses ordres au lieutenant Bernard..."*.Pour museler cette blindée, les servants du rocket-gun de la 1ère section sont requis. Gilbert Hinderschiett se hisse sur le plancher d'une cabane de jardin, près d'une maison dans laquelle se sont retranchés ses camarades. Il enlève quelques tuiles et, par cet orifice, tire sur l'auto-mitrailleuse toujours sur la petite place. Au second coup, une rocket atteint les chenilles. Endommagée, la blindée parvient néanmoins à se replier lentement, sans qu'Hinderschiett puisse toutefois l'atteindre à nouveau. La compagnie peut, sur ce point, être provisoirement soulagée. Mais Stanislas Rosanski a été touché dans l'action...Le sergent-chef Jean Vignole conduit un groupe de la section Bernard en direction d'une maison. Il entreprend de traverser la rue, lorsque deux rafales crépitent du larmier. Criblé de balles, le sous-officier s'écroule. Kremenski, un brave quadragénaire père de famille, est blessé au bras et à l'épaule. Colère parmi leurs camarades : la maison est prise d'assaut, deux soldats Allemands capturés dans la cave. "Ils n'avaient plus d'armes et s'étaient rendus, se souvient le sergent André Héno. Un officier les a rassemblés dans la cour du théâtre, leur a demandé de faire leur prière et, malgré mon intervention personnelle, les a bel et bien descendus sans autre forme de procès.. Vignole était mon ami : nous venions tous deux d'Afrique noire. Il avait laissé, au cours de notre passage en Algérie en 1943 et 1944, une fiancée qui l'attendait à Lapasset en Oranie". L'abnégation des marsouins paie. Un à un, les soldats Allemands abandonnent le théâtre. Les hommes du sous-lieutenant Marcel David et la SME du lieutenant Lucien Quetstroey investissent le bâtiment. Désormais, ils vont faire converger leurs tirs en direction des Allemands qui tiennent plusieurs maisons environnantes. Installé près d'une rampe d'escalier, Louis Oudin lâche des rafales de FM en direction des soldats ennemis qui se replient. Il est 10 h 30 lorsque le PC de la 3ème compagnie est installé dans le bâtiment.
C'est à cet instant que les blindés du RCCC, ayant réussi à rentrer dans Sainte-Barbe malgré les mines, peuvent intervenir. La situation s'est alors améliorée, puisque devant la 2ème compagnie, l'ennemi entame un décrochage vers le Nord. Quant au char Tigre, il s'est également replié en direction du Nord-Est de la cité. Pour accompagner ces mouvements, la CCI du capitaine haut-marnais Claude Chaize et les blindés font feu sur les maisons encore occupées par l'ennemi. "Nous préférons que les chars nous fassent appuis d'artillerie avec leurs pièces de 76, écrira l'adjudant-chef Georges Chapron, de la SME. Quand nous avons repéré une fenêtre ou un ennemi qui est caché, nous leur indiquons et cela ne dure que l'espace d'un instant : ni bas de mur ni bonhomme ne restent !...". Guy Seigle (2ème compagnie) : "Au bout d'un quart d'heure, il y a déjà beaucoup de dégâts, des maisons brûlent en dégageant de la fumée. D'un bond, nous quittons notre position, traversons la rue pour entrer dans l'école. Je vois des Allemands en tenue blanche s'enfuir, nous leur tirons dessus. Ils sont empêtrés dans les haies des jardins. Mon groupe FM reçoit l'ordre de pénétrer dans le sous-sol de l'école...".
Il est 11 h 15 lorsque les hommes du lieutenant Antoine Chabot s'emparent de ce bâtiment. Une surprise attend le lieutenant Marcel Girardon, commandant la 1ère section : dans le sous-sol de l'école, se sont entassés environ 300 civils, "hommes, femmes et enfants complètement affolés, se demandant ce qui va leur arriver..." (Guy Seigle). "Girardon, sans avoir bien compris ce qui lui arrive, est d'un seul coup saisi par les épaules, porté en triomphe dans la cave aux vastes dimensions. Il a toutes les peines du monde à se dégager. Dehors, il n'a pas fait un pas qu'il essuie un nouveau coup de feu..." (capitaine Vial).
Dans l'usine Théodore, la situation de la 1ère compagnie reste délicate. Caporal Jean Maire : "Nous commençons à nous organiser un peu mieux. Quelques moellons qui traînent sur place servent à édifier un muret qui va nous protéger. Tandis que j'ai l'idée d'entrer dans un petit baraquement qui se trouve tout derrière nous, une rafale d'arme automatique s'abat dans ma direction et les balles arrivent juste à mes pieds après avoir traversé les planches. Je sors, tout fier de n'être pas touché. Par contre, Lhotel, du 4ème groupe, vient de prendre une balle dans le bras droit. Il a très mal, et s'en va en jurant vers l'arrière mais en se camouflant le plus possible...". La position est de moins en moins tenable : "A une centaine de mètres à notre gauche, au sommet d'un crassier, une mitrailleuse a été mise en batterie. Mais les servants ont du mal à utiliser leur arme car ils ont sont repérés et dès qu'ils font dépasser leurs têtes, ils sont ajustés avec précision. L'un d'eux aura son casque transpercé sur le côté, au ras de l'oreille. Et avec toutes ces fenêtres, qui sont autant de postes de choix pour l'ennemi, il n'est pas facile de localiser un tireur au fusil. Le caporal Jean Duport, notre chef de groupe, veut essayer d'observer. Il se met debout, laissant dépasser sa tête au-dessus du tas de bois qui le protège. Au bout de quelques econdes, nous le voyons tomber à la renverse. Son c asque roule à côté de sa tête et en plein milieu de son front apparaît un trou d'oùle sang commence à s'échapper. Il respire quand même. Nous l'entourons, absolument impuissants car nous avons compris qu'il n'y a plus rien à faire. Encore quelques minutes, un dernier râle, et c'est la fin...". Il est midi environ. Les hommes du commandant Paris de Bollardière se sont donc emparés de leurs objectifs principaux (l'école et le théâtre) mais restent bloqués dans l'usine. En outre, indique le journal de marche du 1/21ème RIC, "la partie Nord de la cité est toujours fortement défendue et des mouvements d'engins blindés sont décelés aux lisières de l'usine et du bois de Ruelisheim...".
A ce moment, des violents tirs d'artillerie allemande s'abattent sur la cité, particulièrement dans le secteur conquis par la 3ème compagnie désormais confiée au lieutenant Bernard. Dans le théâtre, un obus explose sur la scène : le lieutenant Edmond Thouvenot, un ancien combattant des Brigades internationales en Espagne ayant pris le maquis en Haute-Marne, est blessé, de même que Rouzier et le jeune René Jubeau *(17 ans). L'ennemi fait également donner des mortiers de six tubes : "Me trouvant dans la salle d'eau de l'école, raconte le caporal Seigle, un obus tombe sur la maison. J'ai reçu un éclat de sanitaire dans le genou gauche. Cet éclat n'étant pas profondément entré, je l'ai retiré moi-même...". Le soldat Jean Dorckel, de la section Bernard, progresse avec Roland Bassuel : quand il se retourne, il constate que son copain a disparu. Le Bragard a été littéralement enterré par l'explosion d'un de ces obus. Un membre dépassant trahit sa présence : Bassuel sera conduit au poste de secours pour y recevoir de l'oxygène.
En début d'après-midi, la progression reprend en direction de la partie Nord de la cité, où l'ennemi est toujours retranché. La 3e compagnie suit ainsi l'axe de la route d'Ensisheim, qui marque les lisières Est de Sainte-Barbe. Deux groupes sont en pointe : celui du sergent-chef Auzimour (1ère section) et celui du sergent André Héno (2ème section). Postés chacun derrière la fenêtre d'une maison, Bernard Moginot et Louis Oudin, tireurs FM respectifs de ces groupes, couvrent l'avance de leurs camarades. Le premier, abrité derrière le mur, se relève pour réapprovisionner son arme automatique. Une balle l'atteint à la cuisse. "Glinglin" comprendra plus tard que le projectile a ricoché contre le volet de sa fenêtre ! Réapparaît une auto-mitrailleuse. Peut-être celle qui harcelait les marsouins aux abords du théâtre. Oudin se dit qu'il est temps d'en finir : il lâche sur la blindée plusieurs rafales de balles perforantes. Elle se replie. Mais le Bragard n'aura guère l'occasion de savourer ce répit : une balle, tirée d'une proche maison, le touche à la main. Son chargeur René Paroissien - frère du soldat de la 3ème section - le remplace au FM.La 3ème section de la 2ème compagnie progresse également vers les lisières Nord. Elle aussi a subi, au cours de la journée, quelques pertes. Son chef, l'adjudant-chef Georges Holveck, 35 ans : un éclat de fusant reçu dans le dos.Le tireur FM Jean Dubreuil : "une balle de parabellum tirée d'une fenêtre de cave en traversant une rue", précise-t-il. Son chargeur Emile Nottebaert, de Froncles : lui ayant succédé au FM, il tombe peu après. Le fonctionnaire caporal Georges Ballu : "abattu d'une rafale de mitrailleuse en traversant la place entre l'église et l'école. Il a été touché à la poitrine, son porte-cigarette était percé d'une balle... Une lettre du soldat Forest relatait ses derniers moments", nous écrira son frère Denis Ballu.Devant la section Holveck, un char allemand soutient la résistance au Nord. Celui-ci qui s'est replié ? Quoi qu'il en soit, deux TD du RCCC viennent l'affronter et l'immobilisent. Mais leur lieutenant est tué ultérieurement. Désormais, marsouins des compagnies Chabot et Bernard sont réunis pour nettoyer les ultimes résistances encore rencontrées, dans les dernières maisons de la cité en direction d'Ensisheim. "Les Allemands ont installé trois nids de mitrailleuses d'où ils tirent sur les brancardiers qui viennent ramasser les blessés", relate le journaliste Michel Bollot. Les secouristes du médecin-capitaine Marcel Heckenroth ont fort à faire durant la journée : Jacques Lasdrat, de Charmes-les-Langres, touché au bas-ventre, succombera le 6 février, René Nicard compte parmi les blessés.Un blindé français vient soutenir les fantassins. Les Allemands le prennent pour cible... et le manquent. L'engin se replie et envoie quelques obus sur la maison. Agitant des drapeaux blancs, une vingtaine de soldats ennemis en sortent. Il est environ 16 h. Sainte-Barbe est presque entièrement nettoyée.
Reste à reconquérir l'usine. Elle ne pourra se faire que par l'appui d'un peloton de Sherman. Les sections Caminade et Rosquin sont chargées de l'opération. Ecoutons encore le caporal Jean Maire, du groupe Duport : "Au cri "En avant !", tout le monde s'élance en gueulant. Les chars soutiennent notre progression par leurs tirs au canon et à la mitrailleuse... Au moment où notre 5ème groupe franchit un grillage, des balles claquent tout près de nos oreilles... Sur des rails, se trouvent plusieurs wagons plats endommagés. Derrière, nous découvrons un Boche, assis, qui en nous voyant jette son fusil. Aucun doute possible, c'est lui qui vient de nous ajuster. Nous sommes très excités et d'un réflexe commun, Blanchard et moi, nous tirons. Touché au ventre et à la tête, l'homme s'affaise. Duport est vengé. Nous continuons à foncer, tandis que derrière nous, les chars ne cessent de tirer pour nous appuyer... Alors nous entrons dans un des grands bâtiments de l'usine... Nous fouillons le local où se trouvent de grands bacs métalliques mais il n'y personne. Par contre, sous les fenêtres qui sont assez hautes, nous trouvons des cartouches vides, et même quelques lambeaux de vêtements vert de gris... Un peu plus loin, se trouvent deux corps allongés. Ce sont deux gars de la 3ème section qui étaient donc arrivés jusque là ce matin. Je reconnais mon pauvre Roger Clément...". L'avance se poursuit : "Derrière moi j'entends crier : "En avant ! Allez-y les gars". C'est notre capitaine Vial qui, entouré de quelques hommes, avance lui aussi à grandes enjambées, le colt au poing, sans casque, et le sourire aux lèvres.. Notre section marque un temps d'arrêt. Le capitaine a pris la décision de regrouper toute la compagnie. Alors nous en profitons pour regarnir un peu nos chargeurs qui en ont bien besoin. Et puis, sur un nouvel ordre, nous reprenons la progression. Tout en face, il y a un petit bâtiment avec des soupiraux au ras du sol. Bedin ouvre la porte et perçoit un peu de bruit. "Raouss" crie-t-il ! Alors un Boche se présente, le fusil à la main. Sous la menace de la mitraillette, il jette son arme et lève les bras. Puis un deuxième arrive, lentement, un troisième, un quatrième et un cinquième, qui sont donc tous faits prisonniers... ». La fouille des bâtiments se poursuit. L'ennemi ne lâche pas prise et cause encore quelques victimes à la 1ère compagnie : le sergent-chef Marcel Contestabile, adjoint à l'adjudant-chef Rosquin, et l'un des frères Mognot sont blessés. Mais l'usine est enfin entre les mains du bataillon De Bollardière. Les Allemands qui ont pu décrocher se sont retranchés dans le bois de Ruelisheim.
C'est de ce bois qu'un véhicule de reconnaissance ennemi débouche et fonce sur la route de Ruelisheim, passant devant la compagnie Vial qui commençait à s'installer pour la nuit dans Théodore. Le caporal Maire est témoin du passage de ce véhicule « occupé par quatre Boches habillés de noir - des tankistes - et armés d'une mitrailleuse. Ils ont l'air ébahis en nous voyant et n'ont pas le réflexe de tirer à temps. Notre fusil-mitrailleur n'a pas le temps non plus de réagir. Mais ils n'iront pas très loin car dans la cité, un tireur bien posté, et aux réflexes rapides, fait leur affaire...". Pour ce fait d'armes, le jeune haut-marnais Mario Cappellaro, 20 an, tireur FM du groupe Charles Dominé (1ère section, 2ème compagnie) sera décoré de la médaille militaire. Il la recevra le 19 mai 1945 des mains du général de Gaulle.
L'heure est désormais au bilan, et il est lourd pour le 1/21e RIC : 32 tués, 83 blessés (dont six décéderont) et six disparus. Ces derniers ont essentiellement été faits prisonniers lors de la contre-attaque menée dans l'usine, comme les soldats Charlier, Nadeau et Pignal. A elle seule, la 3e compagnie compte 16 tués et 33 blessés (dont deux officiers) et la 2ème (selon André Herdalot) 11 tués et 35 blessés. Les pertes ennemies s'élèvent à 145 prisonniers dont 5 officiers. Le nombre des tués et blessés allemands n'est pas connu.
Parmi les marsouins tués au combat ou mortellement blessés, 18 s'étaient engagés en Haute-Marne : on citera encore le caporal Roger Clément, du maquis d'Auberive, André Delanne (décédé le 5 février), de Villiers-sur-Suize, Serge Hemonnot, de Ravennefontaine (la veille de sa mort, à l'âge de 23 ans, il avait adressé quatre lettres à sa famille), Pierre Mathis, de Cirey-sur-Blaise (à 21 ans, il était père d'un jeune enfant), Jacques Berthomeau, de Sexfontaines, ou encore Henri Mielle, 18 ans, de Perrancey. Originaire du même village, son camarade Jean Mussy, de la 1ère compagnie, précise qu' "il fut tué d'une balle dans la tête par un tireur caché dans un wagon de potasse avec un fusil à lunette".
Signalons que le 1/21ème RIC ne fut pas le seul à payer cher la conquête de la cité Sainte-Barbe. Le II/21ème RIC du commandant Sicardon a pris également part aux combats, dans une proportion moindre, mais n'en a pas moins subi des pertes. La 7ème compagnie déplore notamment 5 tués. Le lieutenant-colonel Delteil, adjoint au chef de corps, a été blessé dans la matinée, et le médecin-auxiliaire Advinier, du 25e Bataillon médical, tué.
Publié par Club Mémoires 52
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