Chronique familiale
LES CARNETS DE TANTE ANAÏS : RÉCITS, MYTHES ET TRADITIONS …
Chapitre 10
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1 - LE SEIGNEUR LOUP-GAROU
« Au sommet d’une colline contournée à sa base par la Loire, qui n’est encore qu’un faible ruisseau, se trouvent les ruines du château de Montsuc, dont les sombres tours dominaient jadis le pays à vingt lieues à la ronde.
La tradition a conservé le souvenir des seigneurs de Montsuc, des atrocités qu’ils commettaient, de leur dureté pour les pauvres gens, et quand les paysans regardent ces ruines, ils ne peuvent s’empêcher de frémir aux souvenirs des seigneurs qui se sont succédé, et surtout à ceux du dernier d’entre , qui en punition de ses crimes aurait été transformé en une bête monstrueuse. Voici du reste ce que racontaient les vieilles femmes, le soir à la veillée pendant bien longtemps, et aussi loin que les grands-pères des grands-pères l’avaient raconté à ceux-ci :
« Ce seigneur rançonnait les voyageurs et les marchands, battait les paysans, les faisait pendre sans motif, pour l’exemple, disait-il, et s’amusait parfois même à prendre comme cible des femmes et des enfants, faisait placer dans le feu les pieds des individus auxquels il supposait de l’argent, enlevait les jeunes filles et les martyrisait. Son audace et sa brutalité ne s’arrêtait même pas devant la noblesse plus faible que lui. On dit qu’ayant enlevé une belle jeune fille d’une famille noble des environs, il la fit pendre par les cheveux et la laissa mourir dans une lente agonie, pour la punir de sa résistance.
Un beau jour, les habitants de la région apprirent que le baron de Montsuc avait disparu, mais en même temps on commença à parler vaguement dans la contrée d’un animal fantastique qui s’était jeté sur des voyageurs attardés, qui s’était précipité sur des troupeaux et les avait décimé ; bientôt des quantités de personnes affirmèrent l’avoir vu.
C’était un animal, plus gros qu’un loup, dont les yeux lançaient des éclairs et la gueule des flammes et de la fumée ; il parcourait les distances avec la vitesse du vent et avait été aperçu au même moment par des individus éloignés de plusieurs lieues. Bientôt cette bête, un loup-garou, disait-on, ravagea le pays tuant et dévorant les hommes et les animaux, s’acharnant surtout après les femmes et les enfants, enlevant les jeunes filles qui gardaient leurs troupeaux.
Dans le pays, on eu recourt aux neuvaines et aux prières pour débarrasser le pays de ce fléau. Aucun chasseur n’eût osé affronter le monstre, sachant que ses balles n’auraient pu atteindre l’animal surnaturel, et pendant bien des années l’horrible bête désola le pays. Son endroit de prédilection était un carrefour au milieu d’un bois appelé le bois de la Vroussotte, traversé par deux grandes routes et que l’on appelle encore dans le pays La Crou-de-Runa ; c’est là qu’il attendait les voyageurs et les paysans attardés.
Les bûcherons assez hardis pour aller dans la forêt trouvaient des membres d’enfants disséminés sous les arbres. Et la légende est assez vive dans le souvenir des habitants du pays pour qu’on cite telle clairière, tel carrefour, dans lesquels on a trouvé, soit des lambeaux de chair, soit des têtes, un bras ou des vêtements ou une jambe d’enfant, et l’on dit encore le nom des famille éprouvées par le monstre.
Cependant un vieux bûcheron, un soir, rentrant de son travail, entendit des cris désespérés qui partaient de la hutte dans laquelle, il habitait ; il se précipité et trouve sa fille saisie par le monstre qui essayait de l’emporter ; il s’élance et d’un coup de cognée brise les reins de l’animal et lui fait une large blessure.
Or, la légende rapprochant les dégâts commis par ce monstre des atrocités du baron de Montsuc, dit que lorsque la bête, qui n’était qu’un loup-garou, fut blessées, elle se changea tout à coup en la personne du baron et qu’il dit alors au bûcheron d’une voix expirante : « Je te remercie de m’avoir frappé, car en punition de mes crimes, j’étais condamner à errer sous cette forme pour l’éternité. Il fallait pour me livrer que la main d’un chrétien fit couler mon sang » . Et en disant ces mots il expira. »
Mais les incrédules, les esprits forts, les « higanauds » (huguenots) prétendant simplement que loup-garou frappé par le bûcheron n’était qu’un vieux loup remarquable par sa force et son audace, et dont la hardiesse était excitée par la famine qui précéda la Révolution. »
D’après Antoinette Bon - Revue des traditions populaires - 15 avril 1890 Juin 2016
2 - LA FONTAINE DE SAINT LÉON AU CHAYLAT
« Le Chaylat est un modeste village de l'ancien archiprêtré de Blesle, qui est devenu le chef-lieu de la paroisse et commune de Saint-Etienne-sur-Blesle. Sur la rive droite du ruisseau de Voirôze, un peu au-dessus du chemin reliant le Chaylat Saint-Etienne, se trouve une fontaine sacrée dédiée à Saint Léon .
Trois côtés de cette fontaine sont bâtis en pierres et supportent une voûte dans le mur du fond est percée une ouverture de vingt centimètres de côté, par laquelle l'eau tombe et s'écoule aussitôt le long de la montagne, très escarpée. Dans les murs latéraux, on aperçoit deux niches qui devaient contenir des statues de Saint Léon.
Cette fontaine a une spécialité l'eau guérit les enfants lents à marcher et qui ont le défaut de « croiser les jambes lorsqu'on les met à terre.
Les gens du pays déclarent que le remède est souverain, si on l'emploie de la manière suivante l'enfant est porté à la sainte fontaine, on lui lave les jambes avec l'eau de la source puis on emporte un peu de cette eau que l'on fait bénir par M. le curé du Chaylat et, pendant neuf jours, on en frotte les jambes du bambin en récitant cinq Pater et Ave. Il parait qu'à la fin de la neuvaine, l'enfant marche convenablement.»
D’après l’Abbé Julien Espinasse - Les fontaines Saintes de l’arrondissement de Brioude - Almanach de Brioude et de son arrondissement - Date d'édition : 1924
Juin 2016
3 - LE CHAPELET DE SAINTE MADELEINE
« Les deux parties de la Chauds, près de Massiac ont reçu leur nom de deux dévots personnages qui s’y étaient retirés : saint Victor avait un ermitage sur l’un, sainte Madeleine sur l’autre, et actuellement encore chacun d’eux y a une chapelle bâtie en son honneur. De leur dévote retraite, les deux anachorètes pouvaient se voir ; mais la rivière les empêchait de communiquer ensemble. Cependant Madeleine désirait beaucoup consulter Victor sur les choses divines ; enfin elle l’obtint du ciel, et y parvint par un miracle, suivant la tradition.
Un jour, la sainte s’avance sur le bord de sa montagne son chapelet à la main et après avoir appelé Victor, le lui jette en l’air. A l’instant même, le chapelet s’étend miraculeusement, il se prolonge d’une montagne à l’autre dans toute sa longueur et forme un pont qui les joint toutes deux par leur sommet. Alors l’anachorète et sa sainte voisine s’approchent pour faire leur pieux colloque. Enfin, toutes les fois que Madeleine voulait demander à Victor quelque conseil, elle employait le même moyen. Mais pour éviter toute occasion de scandale et de chute, elle ne se permettrait point d’aller jusque chez lui, ni ne l’autorisait à venir chez elle : tous deux s’arrêtaient à mi-chemin sur le pont, et pendant leur entretien, ils restaient ainsi exposés aux regards et par conséquent à l’admiration des gens du voisinage. »
D’après Legrand d’Aussy - Voyages en Auvergne - Littérature orale de l'Auvergne - Auteur : Sébillot, Paul (1843-1918) - Date d'édition : 1898
Juin 2016
Autre version : La légende de l’Allagnon
4 - UN NOUEUR D'AIGUILLETTE
« Dans un Procès-verbal de Visite des Eglises de l'archiprêtre de Saugues, dressé pour Sylvestre de Marcillac évêque de Mende , par François du Puy, curé de Thoras. en 1650, et communiqué à une Société savante de la Haute-Loire par M. A. Lascombe, on relève ceci :
« Vidal Jacques, prêtre vieux. Le voisinage croit qu'il se mesle de nouer l'eguillette. Deux personnages m'ont bien assuré qu'il la dénouoit, et guérissoit ceux qui estoient atteins du maléfice. Il faist desrober à l'espoux une cheville qui tient le limon de la charrette et l'aprime avec le couteau, jusques à ce que la dicte cheville entre dans l'anneau de l'espouse, et leur dict qu'il faut que tous deux soient à jun lorsqu'il viendra. Il s'en va le matin, lorsqu'ilz sont à jun, avec l'estole, et leur plie l'évangile de St-Jean autour de cette cheville, qui est dans l'anneau avec de l'eau bénite, et faict mettre cela entre eux le soir qu'ils se vont coucher, et sont guairis par ce moyen.
— J'ay souvent exprimé en chere et en prosne la gravité de ce crime, sans nommer personne, et luy ay dict à part que le voisinage l'accusoit. Il m'a dict que si je le mettois dans le verbal qu'il me perdroit... Des lors qu'il a de quoy, il demeure toujours hivre.
Il est desja vieux et bien difficile de le corriger. Il dérobe l'huile de a lampe de l'autel ».
D’après Adrien Lascombe – Publié par la Revue des traditions populaires - Date d'édition : février 1902 Juin 2016
5 - LES TROIS MINEURS
« Au temps jadis, trois mineurs, bons pères et bons chrétiens, travaillaient dans les mines d'antimoine de Massiac (Cantal). Avant de se mettre au travail, ils avaient l'habitude de faire leur prière.Mais un jour ils oublièrent de prier Dieu. A peine eurent-ils commencé leur besogne, qu'un' éboulement soudain les ensevelit vivants dans la mine. Ils eurent alors recours à Dieu et lui adressèrent une fervente prière : un génie leur apparut, toucha du doigt leur morceau de pain, versa de l'huile dans leur lampe et disparut.
Le pain et l'huile durèrent sept ans, et ils ne diminuaient point, et le pain était aussi frais qu'au moment où les mineurs étaient descendus dans la mine. Un jour, ils se prirent à penser à la terre que le soleil éclairait, et l'un d'eux s'écria :
- Si je revoyais la lumière du jour, je mourrais content.- Et moi, dit le second, je serais heureux de revoir, ne fût-ce qu'un instant, mes enfants et ma femme, et de me trouver encore à table au milieu d'eux.- Pour moi, dit le troisième, je désirerais revenir sur la terre des vivants et rester à vivre un an au milieu de ma famille.
Au moment où le dernier des mineurs achevait son souhait, la terre amoncelée qui bouchait l'entrée des galeries disparut tout à coup, et les trois compagnons sortirent. Le premier arriva au jour, regarda un instant la campagne, puis il expira. Le second alla droit à sa maison et retrouva sa femme et ses enfants ; mais il avait tellement changé qu'ils ne le reconnurent pas d'abord; il coupa sa longue barbe, se lava la figure et aussitôt sa femme et ses enfants vinrent l'embrasser. On se mit à table ; mais à la dernière bouchée du repas, le mineur mourut.
Quant au troisième, il vécut encore un an avec sa famille, et il expira à la dernière minute de l'année révolue. »
Recueilli par Mademoiselle Antoinette Bon et publié par la Revue des traditions populaires - Date d'édition : 25 janvier 1886
Juin 2016
6 - LE « PUITS » DE LA MÈRE AGNÈS
« Peu après son entrée au monastère de Langeac, Agnès fut chargée du soin de la cuisine, Or, l'eau était loin de sa portée pour aller la chercher, elle devait accomplir de longs et pénibles trajets, et la crainte de se rendre à charge à sa communauté l'empêchait de demander une aide. Elle confia sa peine à Dieu qui, exauçant aussitôt sa prière, fit jaillir, dans la cuisine même, une source d'eau très limpide et très abondante. Cette source fut plus lard recouverte d'une maçonnerie, et les malades qui venaient boire de son eau en se recommandant aux mérites de sœur Agnès, en éprouvaient du soulagement. Dans ces dernières années, des malades de diverses contrées ont obtenu des guérisons merveilleuses en invoquant notre vénérable mère (Agnès) et faisant usage de l'eau de ce puits.
Une fille de Venteuges (Haute-Loire), aveugle depuis sept ans, recouvra la vue immédiatement après en avoir bu.
Nous avons lu les attestations authentiques de ce fait sous la date de 1854 elles sont entre les mains des Religieuses de Sainte-Catherine.
Le puits en question se trouve maintenant à l'hospice de Langeac, établissement qui a remplacé celuides Religieuses de la Mère Agnès; installées depuis assez longtemps près du l'ont suspendu sur l'Allier.Pour être complet, ajoutons qu'une autre fontaine sainte, appelée « trou de la Mère Agnès se trouvesur la butte Saint-Roch, qui domine la ville à l'aspect sud.
A l'occasion de la peste de 1630. Sœur Agnès conseilla aux habitants de Langeac de construire sur ce monticule une chapelle sous le vocable de Saint Roch, patron des pestiférés. Comme l'eau de l'Allier était amenée difficilement sur le sommet de la butte, les maçons s'en plaignirent à Agnès celle-ci les engagea à creuser un trou à un endroit précis de la colline, les assurant qu'ils y trouveraient de l'eau : la prédiction s'accomplit, en effet, et la chapelle put être rapidement édifiée. »
D’après l’Abbé Julien Espinasse - Les fontaines Saintes de l’arrondissement de Brioude - Almanach de Brioude et de son arrondissement (1924).
- Mon illustre cousin Louis II du Crozet Seigneur de Rognac (Paroisse de Saint-Arcons-d’Allier) sauvé d’une mort certaine par Mère Agnès.
- Miracle de La Mère Agnès en 1656 :
« En 1656, M. du Crozet, de la paroisse de Saint Arcons au voisinage de Langeac, eut une fausse pleurésie, accompagnée d'une fièvre continue, et d'une grande fluxion de poitrine, qui le réduisit à une telle extrémité qu'un habile médecin qui le traitait, ne lui donnait plus que quelques heures de vie.
Mademoiselle sa femme, n'espérant plus rien du secours des hommes, voulut implorer celui de Dieu le plus efficacement qu'il lui serait possible.
Dans ce dessein, elle pria instamment M. Costet de Langeac, qui était venu voir le malade et s'en retournait, d'aviser promptement à ce que les religieuses du couvent de Sainte-Catherine, où il comptait une sœur , implorassent les intercessions de la mère Agnès pour ce pauvre moribond.
M. Costet procura les prières des religieuses telles qu'on les souhaitait. Et elles ne furent pas plutôt faites que la bonne demoiselle qui les avait désirées remarqua en son malade un changement très-notable, et entendit une voix qui lui dit qu'il n'en mourrait point, et qu'elle eût grande confiance aux prières de la mère Agnès.
Le moribond crut entendre à son tour l'heureuse nouvelle qui avait été donnée à son épouse; mais craignant une illusion du démon, il fit venir monsieur son curé. La voix ne l'avait point trompé Bientôt il fut guéri, et alla remercier Dieu au tombeau de la mère Agnès »
D’après la Vie de la vénérable Mère Agnès de Jésus Par Charles-Louis de Lantages
Mai 2016
7 - LE CONTE DE SAINT JULIEN
« Dans le canton, tout le monde connaît le père Vital.
Chaque jour que le bon Dieu fait, il est ivre comme une faux. L’autre jour, Vital avait une soif qui l’étranglait et rien pour boire, et pas un liard dans sa poche.
Il avait ouï dire qu’autrefois saint Julien faisait des miracles. Mon homme se dit :
- « Bon, je vais aller à l’église ; je ferais une fervente prière et peut-être ce brave saint fera quelque chose pour moi ».
A peine à genoux, il commença par dire :
- « Bon saint julien, toi qui as fait tant de miracles, envoie-moi trois francs, s’il te plaît, pour boire un peu de vin : j’ai tant soif !... Et je te promets que, si tu me fais cette grâce, je ne m’enivrerai plus, et le jour de ta fête, je suivrai, sans sabots, la procession. »
A ce moment, le curé entra, et il fut bien un peu étonné de voir le père Vital prier le bon Dieu comme une vieille béate, car ce n’était pas son habitude… Il l’entendit qui marmottait toujours ceci ! « Bon saint julien, envoie-moi trois francs pour boire un peu de vin : j’ai tant soif ! »
Le curé mit la main à la poche, y trouva trente sous et les mit dans celle de Vidal qui bâillait ; puis il s’en alla sans se faire voir.
Quand cet ivrogne de Vital eut assez fait d’oraisons, il se leva et entendit tinter quelque chose : le miracle s’était fait !
Deux heures après, le curé trouva Vital rond comme une citrouille : les trente sous avaient fait (bonne) fin ! Il lui dit :
- « C’est moi, saint julien. Tu m’avais promis que, si je t’envoyais trois francs, tu te t’enivrerais plus : tu as oublié ! »
Vital, qui était plein comme un outre, reconnut (cependant) le curé, et lui répondit :
- « C’est vous, saint Julien ! Et bien, pauvre bougre, vous me devez encore trente sous ! »
D’après Henri Gilbert « Contes populaires et légendes d’Auvergne » - Richesses du Folklore de France – Les Presses de la Renaissance - 1979 Mai 2016
8 - LES TROIS COQUINS QUI VONT À LA FOIRE
« Il y avait une fois trois galapiats, de ce que rien ne vaut. Leurs noms ne pouvaient tromper personne, s’ils osaient dire. L’un s’appelait Traîne-Besace, le second Galope-Chopine, et le troisième Mange-Gagné. Ils ne pouvaient pas mieux se convenir entre eux, ils s’entendaient comme le doigt et l’ongle. Et s’ils avaient la bourse plate, ce n’est pas la malice qui leur faisait défaut.
Ces trois coquins lavèrent leur blouse, coupèrent leurs cheveux et cirèrent leurs bottes. Ils s’en allèrent à la foire de Condat, peut-être celle du 4 septembre qui touche à la fête. Ils n’étaient pas tombés de la dernière pluie. Ils décidèrent de se servir à la foire d’empoigne et, pour une fois, de bien faire la noce.
Le premier dit aux deux autres :
- Je fournirai la volaille et je la porterai bien grasse.
Le second :
- Je vous offrirai le dessert et vous vous en lécherez les doigts.
Et Mange-Gagné :
- Moi, je paierai l’auberge et du bon vin.
Traîne-Besace alla sous la halle où se tient le marché de la volaille et soupesa des poulets. Il allait de ci-ci de-là, comme un qui sait choisir la marchandise. Sans doute qu’il connaissait les poulets à leur poids et les gens à leur tête. Il s’approcha d’une paysanne un peu simplette :
- Madame, le curé a besoin de volaille, bien vite, et il m’envoie choisir trois beaux poulets pour midi.
La femme se précipitait pour le bien servir ;
- Ah ! pauvre dame, le curé reçoit deux ou trois évêques qu’il a invités par la fête, tout un clergé que je ne saurais pas vous en dire le nom. Il vous faudra compter ce qu’il vous doit, et, quand vous aurez fini le marché, vous irez vous faire payer au presbytère.
Bon, la femme est contente, Mange-Gagné » aussi.
Mange-Gagné s’en va au presbytère, pose son panier dans le corridor, et, l’air tout chose, comme celui qui a du tracas qu’il ne peut en dire, il demande à M. le Curé :
- Ah ! monsieur le curé, que j’ai de malheur d’être venu à la foire ! Ma pauvre femme est dérangée et ce va-et-vient de la rue a fini de lui tourner la tête. Je ne peux pas lui attacher la langue, elle ne sait pas ce qu’elle dit. Elle veut venir vous trouver. Excusez-là, monsieur le Curé, c’est une pauvre folle. Celui qui aurait plus de malheur que moi en aurait trop.
Pendant que Traîne-Besace achetait des poulets – hum ! hum ! - , Galope-Chopine approchait du banc des pâtissières. Nous avions deux pâtissières, la mère et la fille. La mère était un peu boulotte, la fille jolie comme un cœur, et toutes deux avenantes lui convenaient autant que leurs gâteaux.
Je n’en n’ai jamais vu de meilleurs : des brioches tendres que ce n’est rien de le dire, des gâteaux de Savoie et des pâtés de pommes qui vous auraient réveillé un mort.
Galope-Chopine faisait plusieurs fois par an son Carême, mais il aimait bien ce qui était bon. Et le bon dieu veut qu’on soit juste, ils trouvaient les pâtissières à son goût, les gâteaux aussi.
- Ah ! bonjour, mesdames, dit Galope-Chopine, je pensais bien de vous voir aujourd’hui, je viens de vous rendre les cinq sous que je vous dois.
- Pauvre monsieur, vous me devez cinq sous ! (C’était la mère ou la fille qui parlait ). Et bien ! vous avez de la mémoire. Aujourd’hui, les gens ne sont pas délicats.
- À chacun son compte, que voulez-vous ! C’est bien la moindre des choses. Mais je ne m’en vais pas sans rien vous acheter, que vos gâteaux tenteraient un saint.
Galope-Chopine se mit à choisir et se servit bien.
La demoiselle, bien adroite avec ses doigts, vous enveloppait une brioche ou un pâté de pommes en rien de temps, dans une belle feuille de papier de soie toute neuve, nouait une ficelle autour du paquet comme un ruban. Le paquet était bien joli.
Galope-Chopine passa sa main sous sa blouse pour prendre, dans sa veste, un portefeuille qui n’existait pas.
- Eh bien ! eh bien ! eh bien ! j’en ai fait une bonne, j’en suis un avisé. Excusez-moi, mesdames, c’est en changeant de veste que j’aurai fait le coup. Je suis venu à la foire sans argent.
Il faisait semblant de fouiller toutes ses poches.
- C’est bien la première fois que pareille chose m’arrive. Vos gâteaux seront prêts pour d’autres, et j’aurai le plaisir de vous revoir à la prochaine foire (Il y a deux foires en septembre).
- Oh ! monsieur, dirent la mère et la fille, s’il n’y a que mes gâteaux qui vous tracassent, allez-vous en tranquille. Vous les paierez un autre jour. Si vous ne les preniez pas, vous nous feriez déplaisir.
Galope-Chopine se laissa prier. S’il l’avait voulu, elles lui prêtaient de l’argent. Il était fort pour entortiller le monde.
Ces trois coquins ne valaient pas la corde pour les pendre. Ils se retrouvèrent au foirail des cochons, et ce fut au tour de Mange-Gagne de payer son écot. Il conduisit Traîne-Besace et Galope-Chopine à l’auberge du Cheval-Blanc. L’aubergiste était bien convenable et ne craignait pas de plaisanter un peu.
- Madame, nous voudrions faire une petite fête. Le plus jeune de nous va se marier. Nous vous portons des poulets bien tendres et le dessert. Fournissez-nous quelque petit plat et du bon vin.
- C’est bien possible, dit la femme, qui pensait que ces trois hommes avaient envie de rire et que l’argent leur brûlait les doigts.
Ils burent et mangèrent tant qu’ils purent, et ils avaient une bonne descente. Ils firent trinquer la dame avec eux. On lui conta un peu fleurette, pas plus qu’il ne faut. L’heure vint enfin de payer la note :
- C’est moi qui paie dit l’un
- Oh ! non, dit l’autre, ce sera moi.
- Ah ! si tu me faisais cet affront, de ma vie, je ne te connaîtrais plus.
La pauvre femme de l’auberge croyait qu’ils allaient se battre. Les soirs de foire, on ne sait jamais… Elle essaya de leur parler raison : ils recommencèrent de se disputer,
- Ce sera moi !
- Je te dis que ce sera moi !
- Nous allons nous brouiller, madame, dit Magne-Gagné », si vous ne nous mettez pas d’accord. Vous êtes aimable que vous voudrez bien nous permettre de vous bander les yeux. Celui que vous attraperez, nous lui permettrons de payer, et on n’en parlera plus.
La femme, qui était jeune et un peu étourdie, se laissa mettre un bandeau épais sur les yeux. Les trois coquins gambadèrent autour d’elle, juste pour lui donner confiance, et disparurent par la fenêtre sans lui dire au revoir et merci. »
D’après Marie Aimée Méraville – Contes d’Auvergne – Editions Erasme – Paris 1956.
Mai 2016
9 - LES CORNES DU SAIGNEUR
« Au temps où au Tourniquet il y avait la vigerie de Pascon qui venait jouxter les moulins, les gens allaient d’étendre dans l’allée fraîche sous l’ombrage, où veillaient deux grands chiens de pierre.
Un dimanche, à la Saint-Jean que le Bourguignon ensoleillait fort et rôtissait le pays, la grande Marguerite du chiffonnier et la Marguerite du saigneur s’y étaient rendues et faisaient une petite sieste pendant que leurs maris se plongeaient dans le bief.
Le chiffonnier nageait comme un barbeau, le saigneur le valait, et il fallait voir nos deux arcandiers fureter énergiquement les rives et prendre de beaux chevesnes.
Il y étaient si appliqués, qu’ils n’entendirent pas Racle-Couenne, le barbier, qui lui aussi en faisait autant à côté d’eux.
Voilà que mon Saigneur, pour aller vers l’aval, fit la planche, d’un coup de tête il heurta ce pauvre Racle-Couenne et le fit chuter.
- « Excusez-moi, cria Saigneur, je ne vous voyais pas ! » mais lorsqu’il voulut voir ce qu’il avait heurté, il n’ y avait plus personne : le barbier «était au fond du bief sous cinq pieds d’eau !
>
Mon Saigneur, pas fier, repêcha Racle-Couenne et le porta dans l’allée où se tenaient les deux femmes.
J’ai oublié de préciser qu’aussi bien l’une que l’autre étaient joliettes et elles le savaient : la Marguerite du saigneur avait bien un léger strabisme, mais elle valait aussi peu.
Lorsqu’elles eurent étendu ce grand garçon de Racle-Couenne, presque mort, et dénudé comme un saint Jean, les voilà qu’elles le frottent jusqu’à l’écorcher. Elles firent tant que le barbier ne voulut plus mourir : il ouvrit les yeux, et heureux d’être frictionné par deux jolies filles, s’évanouit à nouveau et attendit un bon moment pour ressusciter.
Enfin, il se décida, reprit son souffle et dit :
- « Oh, que je vous remercie, Marguerite, ma mie, vous m’avez sauvé la vie ! »
- « Que non, répondit-elle, c’est mon saigneur qui vous a repêché »,
- « C’est possible, mais je suis sain et sauf, c’est à vous que je le dois ».
- « Comment ? »
- « S’il avait eu des cornes, il me tuait ».
- « Oh, pourtant », s’écrièrent les deux filles. Et les voilà qui se contorsionnent tant elles s’amusaient. Elles riaient si fort que vous les auriez entendues du Postel.
- « Oh, pourtant ! dit la Marguerite, pourtant, mon pauvre ami, pour être beau vous n’êtes pas bien finaud. Innocent, lorsqu’elles sont neuves elles plient comme de l’osier… »
D’après « Les Contes du Brivadois » de Touana Bartan (Antoine Bertrand) - Editions René Borel à Brioude – 1934 – Traduction Albert Massebeuf.
Mai 2016
10 - LA VEILLÉE CHEZ LE CORDONNIER
« Un soir d’automne, sept ou huit farceurs qui s’étaient réunis pour veiller dans l’échoppe de Cadelu de la Meunière , le cordonnier du Vala1, entreprirent de médire les femmes.
Ils étaient tous mariés, et pas un ne voulait laisser dire qu’il n’était pas maître chez lui.
- « S’il vous plaît, il ne manquerai plus que ça, qu’il faille obéir et cheminer devant un jupon ! criait Claude Mange-Graines : ma femme, ma belle-mère et toute la boutique je fais marcher tout ça comme je veux, faute de quoi une gifle et le compte est réglé ».
- « Tenez, dit Cadelu, vous êtes tous des « jean foutres » et vous êtes des petits enfants devant madame. Toi qui parles si haut, tiens, Claude mon Mange-Graines, tu vois cette belle paire de bottes, elles sont à ta pointure, et beau cuir, eh bien je te les donne, emporte-les, elles seront définitivement à toi si d’ici deux heures tu n’as pas eu peur de ta femme ; mais si, avant nous nous apercevons que tu restes coit, tu me les paieras deux louis d’or ».
- « Ça va » ! dit le Claude Mange-Graines, et heureux commun roi, il s’empara des bottes par les oreilles.
- « Mais, dit le cordonnier, elles sont sèches, elles pourraient te blesser, tiens, prends ce pot de graisse, dissimule le dessous ta blouse, et tu les enduiras à la maison ».
- « Tu as vu ça, toi cordonnier, tu m’en ferais faire une belle ; de la graisse sur ma blouse pour la salir ! c’est ma Mion qui m’en chanterait une, lorsqu’elle s’en apercevrait ».
- « Tu me dois deux louis d’or ; tu as redouté ta femme ».
Et comme la bande de s’esclaffer, et mon Mange-Graines couard, comme s’il avait été fessé, ne garda pas les bottes, il ne paya pas les deux louis d’or, mais il en fut pour un baril de vin banc, une potée de tripes et une fougeasse ».
1Place de Brioude.
D’après « Les Contes du Brivadois » de Touana Bartan (Antoine Bertrand) - Editions René Borel à Brioude – 1934 – Traduction Albert Massebeuf. Mai 2016
11 - LE COULOIR DU LAIT

« Deux braves Limagnais en descendant du Puy
Un peu plus bas que Fix, se trouvèrent de nuit ;
Il était obscur, il faisait froid et ils crevaient de faim ;
Il neigeait à plein temps et la bise en soufflant
Leur bouchait les yeux !
- « Il faut nous abriter,
Sans quoi nous sommes foutus, mon pauvre camarade ! »
Disait l’aîné, Jean. Le plus jeune, Vital :
- « Je crois que par là il doit y avoir une maison,
Nous ne pouvons aller plus loin, on ne voit plus la trace »
Juste à ce moment, ils voient une baraque
A côté du grand chemin.
- « Nous sommes sauvés, d’un peu plus… »
Ils heurtèrent au portail
- « Ouvrez-nous, s’il vous plaît
Nous sommes que deux paysans, nous ne voulons aucun mal,
Et nous sommes prêts à mourir devant votre portail,
Ouvrez vite, ouvrez, nous sommes à moitié gelés ! ».
Et un homme, aussi vieux que Mathusalem,
Ouvrit la fenêtre :
- « Ah, mes pauvres amis,
Il faut être moitié fou pour traîner en chemin
Par ce temps de voleur ; entrez et près du feu
Vous serez vite dégelés, à nouveau plein de vigueur ;
Un pichet de piquette, un coup de matelas,
Quand vers Brioude, demain, il vous faudra descendre,
Vous serez reposés, vaillants et presque neufs,
Tenez, voilà votre lit, je vais dormir en haut,
Il se fait tard, bonne nuit, il y a encore de la braise au foyer,
Et pour vous éveiller, laisser chanter le coq ».
Et le vieux s’en alla, emportant le chaleil,
Il les laisse tous deux devant le lit étroit.
- « Il est pas large, Jean et cela manq
ue de lumière ! »
- « Comment ferons-nous, vital, tous deux pour dormir ? »
- « Il faudra se serrer, nous ne risquons pas d’avoir froid »
Ils se serrèrent bien, enveloppés dans leur deux suaires.
Il y avait déjà longtemps qu’ils dormaient, quand le brave Vital
Éprouva le besoin de servir l’urinoir.
D’urinoir, s’il vous plaît, il n’ en a pas !
Pas même un mauvais sabot que l’on puisse « essayer » !
- « Que puis-je faire ? pourtant le besoin me tenaille »
- « Je crois, dit Jean, que contre la muraille,
En haut du matelas, il y a quelques plats d’étain,
Une à deux casseroles et des pots en fer blanc,
Et toi qu’es fin et adroit comme un singe
Sans te geler les pieds, sûr, tu pourras l’atteindre »
Et Vital se dressa
- « J’en ai une, mais voilà
Elle est cassée, on dirait qu’on lui a coupé la queue ! »
- « Tu en tiens une ; tu n’en veux pas deux ? »
- « Telle qu’elle est, elle fera, maintenant fais attention,
Tire droit, je ne veux pas de ta bénédiction ».
- « Risque pas, comme c’est bon de se bien soulager ! »
- « Que fais-tu, cria Jean, mandrin, tu veux me noyer ? »
- « Sacré maladroit, tire droit … arrête… tu m’as trempé,
Ta casserole perd… »
- « Sacrebleu, je me suis trompé !
Ah, je ne l’ai pas fait exprès, mon pauvre Jean,
Pour une casserole, j’ai pris la passoire du lait ».
D’après « Les Contes du Brivadois » de Touana Bartan (Antoine Bertrand) - Editions René Borel à Brioude – 1934 – Traduction Albert Massebeuf. Avril 2016
12 - LA FONTAINE QUI DÉNONCE

« Un seigneur de Couasse
1 dans le Puy-de-Dôme, tua un jour son berger, dont il était jaloux, et il avait pris les plus grandes précautions pour qu’aucun soupçon ne pesât sur lui.
Un pauvre bûcheron fut accusé de ce meurtre et traduit devant le seigneur haut justicier, qui était le coupable lui-même. Il fut condamné à mort et allait être exécuté, lorsque survint un moine, qui déclara avoir vu le meurtrier aller laver ses mains et son épée au ruisseau voisin, et qu’il ressemblait au seigneur de Couasse.
Comme le seigneur ordonnait de saisir l’insolent, celui-ci dit :
- Il est un moyen de vous laver de tout soupçon : tirez du fourreau votre épée, placez-en la pointe sur vos armoiries et jurez que vous ne les avez pas souilles par ce guet-apens.
Le seigneur obéit, puis le moine lui demanda de porter la pointe de son épée sur la tête du Christ placé au dessus des armoiries. Quand cela fut fait, trois gouttes de sang étaient visibles sur la tête du Christ et sur les armoiries.
Le moine luit alors de venir à fontaine du bois de Couasse ; tout le monde s’y transporte, et le moine fait voir au fond de la fontaine trois gouttes de sang pareilles à celles qui ont apparu sur la tête du Christ et sur les armoiries. Sa jeune fille s’étant approchée, l’épée du baron qu’il tenait machinalement à la main, effleure sa robe blanche, et trois gouttes de sang se montrent sur cette robe. A cette vue, la baron s’affaisse et tombe mort.
On assure que certains jours la fontaine du bois de Couasse laisse voir à travers le cristal limpide de ses eaux trois gouttes de sang. »
1Lieu-dit d’Arlanc
D’après l’Abbé Grivel – Chroniques du Livradois – Ambert – 1852 Avril 2016
13 - QUAND LES PROSTITUÉES FAISAIENT DE LA DENTELLE

« En recueillant les filles perdues au Refuge, Saint François d’Assises est à l’origine de la prise en charge institutionnelle des prostituées, au XVIIe siècle. Le saint jouait les trouble- fête en secouant l’ordre établi au point que trois souteneurs encouragés par la jeunesse dorée le cueillirent sur le parvis de l’église du Collège pour le truicider.
Mais il tint bon, et son trait de génie fut de procurer aux prostituées un carreau et , avec lui, le moyen de gagner de l’argent « honnêtement ». Tant et si bien qu’on retrouve des pièces de dentelle du Puy jusque dans les églises des missions jésuites d’Amérique latine ! »
D’après » Le Puy –En- Velay Secret » - Hors Série de l’Éveil de la Haute-Loire – Novembre 2015 Avril 2016
14 - LES « COURPATAS » DE BLASSAC

« Blassac est un petit village situé en aval de La Voûte-Chilhac, sur la rive gauche de l’Allier. Il est bâti sur un rocher à pic sur l’Allier. Une église romane est placée au centre de l’agglomération. Jadis cette église était mieux entretenue qu’elle ne lest aujourd’hui, et le curé qui la desservait au commencement du siècle dernier était très zélé pour la maintenir dans un état de propreté qui la faisait remarquer entre toutes celles des environs. Les soins tout particuliers qu’il rendait à son église et bien d’autres qualités, sans doute, l’avaient rendu populaire.
Aussi lui faisait-on force cadeaux, suivant la saison, de lièvres, de perdreaux, de pigeons qu’il ne laissait pas moisir dans son garde-manger. Ces oiseaux purement culinaires lui permettaient d’avoir une table toujours ouvertes à ses amis.
Au printemps, lorsque les parures de la vigne se développent et que les feuilles prennent une certaine ampleur, rien n’est aussi savoureux que des pigeons rôtis enveloppés dans des feuilles de vigne et bardés du lard savoureux des campagnes. C’est en effet la saison où les pigeons nouveau-nés sont dans toute leur tendresse et sont appréciés des gourmets surtout quand on pouvait les arroser de ce gentil vin muscat provenant de ce fameux terroir des Olennes jadis réputés dans la paroisse voisine de Saint-Ilpize.
Donc un jour de semaine, un brave paroissien avait promis à notre curé de lui porter pour le dimanche matin trois beaux pigeons bien dodus et bien grassouillets. Notre curé n’avait pas cru moins faire pour les déguster que d’engager les deux marguilliers de la paroisse auxquels il avait l’intention de faire voter certaines dépenses pour l’embellissement de sa chère église, pensant que la table est une grande entremetteuse d’amitié et que lorsqu’on a rompu le pain et trinqué ensemble, les âmes honnêtes ne peuvent rien refuser.
Ce dimanche si attendu arriva. Dès l’aube notre bon pasteur se rendit à sa treille pour choisir les feuilles les plus développées ; il ne voulait même pas laisser à sa servante le soin de détacher les minces bandes de lard qui devaient contribuer avec les feuilles à la parure des pigeons. Tout était prêt, il ne manquait rien que les oiseaux, et cependant déjà les sonneurs avaient mis en branle les cloches pour sonner le premier coup de la grand-messe paroissiale.
Bien soucieux, le curé interrogea vainement la route. Les pigeons n’arrivaient pas. Vainement, il avait cherché à calmer son attente par la lecture du bréviaire et il terminait l’office du saint jour lorsque tout à coup, il se frappa le front : il lui était venu une idée providentielle. En effet, la veille, en se promenant sur les rochers escarpés qui dominent l’Allier, il avait aperçu dans les anfractuosités du roc un nide de courpatas dans lequel reposaient moelleusement sur la plume trois oiseaux qui, par leur grosseur, pouvaient rivaliser avec les pigeons. Bie lardé, bien enveloppés de feuilles de vigne, pourquoi ces oiseaux ne pourraient-ils pas remplacer avantageusement les pigeons, peut-être même les surpasser par un fumet plus délicat ?
Sans hésiter, déposant son chapeau et son bréviaire, il se rend vers le rocher et entreprend la descente périlleuse qui va lui permettre d’opérer sa capture. Il ne prévoyait pas, le malheureux, les dangers qui l’attendaient. Il arriva facilement au nid, là, il se mit à cheval sur une saillie du rocher et déboutonnant sa soutane il introduisit à la façon des jeunes bergers les trois courpatas entre la peau et la chemise.Il se réjouissait par avance de la surprise plus ou moins agréable qu’il procurerait à ses convives, mais au moment où il allait remonter, ses regards se tournant malencontreusement vers le fleuve, il vît l’abîme et un vertige le saisit.
S’accrochant de toutes ses forces au rocher, il ne put que rester accroupi sans pouvoir remonter.
Déjà il entendait tinter le second coup de la messe, maintenant il percevait le murmure des fidèles amassés sous le porche, il entendait la voix aiguë des enfants répondant aux prières du matin qui précèdent la messe. Sa position ne changeant pas, elle devint plus critique lorsque comme un dernier appel retentit le dernier coup de la messe.
De leur côté les paroissiens commençaient à s’étonner de l’absence de leur pasteur. Le clergeon avait déjà fouiller le presbytère, les marguilliers qui étaient également chantres l’avient hélé de leur voix la plus sonore et personne ne répondait.
Un jeune berge, mû par un sentiment de convoitise et qui connaissait l’existence du nid de courpatas, indiqua d’une façon timide qu’il avait vu M. le Curé se diriger à pas précipités vers les grandes roches et qu’il pouvait lui être arrivé un malheur. On se porta en toute hâte de ce côté et l’on vit notre pauvre pasteur dans une position bien piteuse et hors d’état d’avancer ou de reculer. Les hauts bonnets de la fabrique tinrent alors conseil, et une des meilleures têtes de l’endroit proposé d’attacher une cordre à un grand chaudron et de la glisse à hauteur du curé qui pourrait s’y asseoir commodément et être rendu au milieu des siens. Ce fut l’affaire d’un instant. La veille, la grande Jeanne avait fait sa lessive et fut heureuse de prêter un de ses immenses chaudrons ustensile de toutes les ménagères de nos campagnes qui en font dans l’angle de leur cuisine une sorte de panoplie brillante.
Avec des peines infinies, on hissa un mât horizontal avec une poulie au bout. Dans la gorge de la poulie s’enroula la corde munie du chaudron et M. le curé n’eut qu’à se laisser choir dans l’ustensile de cuisine et quelques minutes après, il était sain et sauf et remerciait la Providence de lui avoir sauvé la vie. La foule le conduisit directement à l’église sans lui laisser le temps de se débarrasser de ses oiseaux, qui de leurs griffes naissantes lui déchiraient la peau. Il se revêtit devant l’autel de ses habits sacerdotaux et commença la messe. À chaque coup de griffe des courpatas, le brave homme déguisait ses souffrance et il disait aux courpatas : « Attendez, mes amis ! attendez le dernier non sum dignus » ; malgré ses souffrance qui devenaient plus vives de moment en moment, sa piété ne lui permettait pas d’abréger son supplice. Ce fut un log martyre, mais enfin le moment arriva et, en trois coups de poing fortement assénés sur sa poitrine , il fit justice de ses persécuteurs ailés.
L’histoire ne dit pas comment il fit dîner ses convives. Toujours est-il que les marguilliers ne votèrent pas la sacristie et qu’au moment où arriva la Révolution l’église de Blassac n’en avait pas.
Cette église si bien entretenue n’avait pas de sacristie ; le prêtre s’habillait devant l’autel, et c’était pour voter les fonds d’ue sacristie que le curé offrait à dîner aux marguilliers. »
D’après Ulysse Rouchon – Contes et Légendes de la Haute-Loire – Moulins – 1947 Avril 2016
15 - LA PRUNELLE

« Il ne faut pas croire que ce soit un mensonge ; il y en a bien la bonne moitié de vrai aussi sûr que le pont de Veille-Brioude.
Jean le Cabretaire avec son Annette de chez le mal torché avaient une fille, l’Antoinette, un vrai numéro ! Ça avait dix-huit ans, pas laide, il s’en faut, vous auriez renoncer à trouver quelque chose de plus désagréable : Têtue comme une mule, et si vous disiez blanc, elle voulait noir, vous vouliez aller à droite, elle voulait aller à gauche, paresseuse comme un lézard, méchante comme la gelée, agréable comme un faix d’ortie ; les garçons l’avaient surnommée ; la Prunelle.
Chez ses parents se faisait la veillée, les voisins s’y assemblaient, les femmes apportaient un tabouret et le chauffe pieds, plein de braise pour se rôtir la viande en filant, teillant ou écartant l’étoupe, les hommes jouaient à la « bourre » avec des haricots ; ensuite, avant d’aller dormir, ils mangeaient des pommes de terre ou des marrons cuits au four.
Pendant ce temps, la Toinette près de la cheminée grommelait, quand elle ne somnolait pas.
Un soir où l’on épluchait des marrons, le Jean cria : « Réveille-toi, Toinette, viens goûter aux marrons, ils sont bien bons »
- « Je n’en veux pas » répondit l’aimable enfant.
- « Pourquoi n’en veux-tu pas ? Ils sont excellents, je te dis ! »
- « Je n’en veux pas »
- « Sale bête, tu es butée ! je paries que tu préférerais de la m… ! »
- « Oui ! »
- « Et bien ! attends ! je vais t’en chercher ».
Et mon Cabretaire se lève et rapidement se rend à l’étable et revient avec deux crottes de chèvre.
- « Tiens, belle mie, en voilà, régale-toi ! »
- « Mais elles ne sont pas cuites, père »
- « Sûrement, elles ne le sont pas, mais elles vont l’être ».
Il prend une cuillère, met la marchandises dans le petit pot grand-mère qui mijotait sur le feu.
- « Allons, ma Toinette ; elles sont prêtes, tu es servie ».
- « Mais dites, père, aviez-vous goûté les marrons avant de m’inviter, goûtez ça d’abord, puis nous verrons ».
- « Monstre de malheur, gueuse, tu ne me feras pas renoncer, tu y passeras, te dis-je ! »
Le pauvre Jean prend une crotte et l’écrase entre ses dents ; cela lui donnait des hauts le cœur, son estomac tournait ; il eut assez de force pour dire : « Et bien, maintenant que j’en ai goûté, mange ! »
- « Oh, non, mon pauvre père, excusez-moi, vous avez tout juste mangé celle que je voulais ! »
Si on ne l’avait pas retenu, le cabretaire allait se noyer.
Et maintenant, braves gens, si par hasard vous cherchiez une bru, ne vous privez pas, la Toinette attend, le Jean et Annette du mal torché ne se feront pas prier. »
D’après « Les Contes du Brivadois » de Touana Bartan (Antoine Bertrand) - Editions René Borel à Brioude – 1934 – Traduction Albert Massebeuf. Avril 2016
16 - COUTUMES RÉGIONALES DU BRIVADOIS

« Notre région brivadoise reste très attachée à certaines traditions locales, et cet attachement est peut-être plus vivace chez nous que dans d’autres contrées : on en trouve la preuve dans la persistance de quelques coutumes, parfois simples et naïves, mais curieuses dans leur réalisation.
A Auzon, la veille de la Saint-Jean, on place aux portes et aux fenêtres des habitations, des bouquets de sureau et de feuilles de noyer . A Lamothe, un agneau fait partie de la procession en l’honneur de Saint Jean-Baptiste, patron de la paroisse.
Dans quelques localités subsiste encore la coutume des « réveillés », ainsi appelée parce que les jeunes parcourent, durant la nuit, les rues ou les villages en donnant de pittoresques chansons dont la plupart commencent par le refrain bien connu « Réveillez-vous, gens, qui dormez… » Tantôt, les « réveillés » sont chantés dans la nuit du 1er au 2 novembre ; tantôt ils retentissent dans la nuit du 30 avril au 1er mai pour annoncer la venue du « mois le plus beau » ; tantôt aussi, comme à Blesle, c’est au cours de la semaine sainte que les jeunes gens chantent la Passion sur un air ancien, d’un charme mélancolique tout particulier. Généralement, en ces occasions diverses, les chanteurs nocturnes recueillent devant chaque maison de l’argent ou des œufs dont le produit sert soit à de bonnes œuvres, soit à des divertissements en commun. C’est une coutume de ce genre qui a fait donner au dimanche de Quasimodo le nom de « Pachadette ».
Une autre coutume, toujours très en vogue, se rapporte aux projets de mariage. A la chapelle d’Entremont près Brioude, on tire la corde de la cloche surmontant l’oratoire pour obtenir un heureux hymen. A Notre-Dame de Laurie, il faut faire plusieurs fois le tour de la chapelle miraculeuse en tenant une bougie allumée pour obtenir la même faveur. A la Trinité
1 près Montclard, on noue un genêt de la main gauche. A Saint-Etienne-sur-Blesle, la jeune fille qui porte la bannière le jour de la procession de l’Ascension est persuadée qu’elle se mariera bientôt. Pratiques auxquelles se mêlent évidemment un peu de superstition, mais qui demeurent vivaces.
Mentionnons également l’habitude des « reinages », ou proclamations des rois et reine de la fête patronale d’une localité ; quelquefois les reinages se font aux enchères, même dans les églises et chapelles. L’ancien usage des « romanies » subsiste en beaucoup de pèlerinages ; il s’agit d’offrandes remises au clergé sous forme de menue monnaie, en retour desquelles le prêtre dépose dans la main des fidèles quelques gouttes de vin bénit, comme on le remarque à Sainte-Bonnette-d’Alvier
2 à saint-Eutrope de Fontannes
3, à N.D de Grâce de Salzuit
4, etc.
Dans la Limagne de Brioude, on suspend aux statues de la Sainte vierge ou à celle des saints patrons, le jour de leur fête, des grappes de raisin nouveau pour demander la protection du vignoble. »
>
D’après l’ Abbé Julien Lespinasse – Chroniques du Brivadois – Un peu d’histoire locale – Edition « Almanach de Brioude » - 1965
1 Montclard : Le Pèlerinage de la Trinité2 Sainte Bonnette d’Alvier3 La Fontaine Saint Eutrope à Fontannes4 La Chapelle de Notre Dame des Grâces
Mars 2016
17 - LE PRÔNE DU CURÉ DE SAINT JEAN

« Au temps où l’église de Saint-Jean était paroissiale, il y eut un curé qui trouva la manière d’offrir une pinte de bon sang à toutes ses ouailles, et ma foi, il ne s’y serait pas engagé s’il avait su la tournure que cela allait prendre.
Un dimanche, au beau milieu de la grand’messe, il monta en chaire et prêcha ainsi :
- « Ecoutez, vous tous qui êtes là, et dites à ceux qui sont demeurés à l’extérieur : cela ne peut plus continuer de cette façon, il faut que cela cesse, je suis excédé de constater que mes paroissiens détiennent le ruban du dévergondage ».
- « N’avez-vous pas honte, les hommes, d’aller trainer votre cuir chez cette grande laide de Marguerite Gargousse, qui tient auberge dans l’impasse de la Pardige ! comment pouvez-vous digérer les fricassées de la Guitte, sa repoussante servante ! »
- « Je n’en dirai pas plus aujourd’hui, mais j’en sais tant et plus que si vous y retournez, je vous servirai une fricassée mémorable ».
- « Et vous les femmes, vous croyez que l’on ne sait pas où vous allez courir, lorsque vous dites que vous allez ourler chez le tisserand, ou que vous allez laver à la gravière la toile des chemises ? »
- « Ah, vous faites un sacré travail dans Cachepoux, et vous blanchissez de rude façon dans les vigeries de Pré Caillé ! Vous devriez suivre l’exemple de ces bonnes âmes, la Dorothée et la sœur Lucie, réciter des chapelets et non lever la jambe ! »
- « Je vous le confirme, il faut que cela cesse, sans quoi, dimanche prochain vous aurez de mes nouvelles, chacun aura son compte ».
La Dorothée, servante du bailli , et la Lucie, une ancienne religieuse qui s’était convertie en matelassière, faisaient deux beaux spécimens de femmes fraiches, grassouillettes, bien en chair ; les mauvaises langues – où n’y en a ‘-il pas ! leur taillaient des croupières, mais quand elles égrenaient un rosaire à l’église, personne ne disait : « Voilà de la graine de Paradis ».
Ce prône fit grand bruit ; toute la semaine, ce fut un sujet de conversation, chez le forgeron, à la fontaine, au lavoir, il s’en dit de toutes les couleurs. Chacun donnait son avis, mais personne ne pouvait prévoir le comportement du curé aux vêpres du dimanche suivant.
Aussi l’église ne fut pas assez grande, tous ne purent y entrer : il en était venu de Saint-Pierre, de Saint-Préjet, d’Entremont, de Chabreuges et même de Lodines, une bonne moitié demeura dans la rue !.
Après avoir chanté le Gloria, le curé mit son chapeau sous son bras et monta en chaire.
Avant de réciter son Bénédicat, il posa son chapeau derrière lui, sur le banc, renifla une prise de tabac et commença :
>
- « J’ai patienté huit jours, vous n’avez pas fait plus que si je n’avais rien dit ; eh bien, il faut que cela cesse ! Aujourd’hui, je vais m’occuper des femmes, nous verrons les hommes, dimanche prochain ! ».
- « Ah, les hommes, vous ne croyez pas plus loin que votre nez ! si vous serriez d’un cran, vous n’en seriez pas là ! »
- « Ah, les femmes sont comme les chattes lorsqu’elles appellent le matou : si vous fermez la fenêtre elles surveillent la chatière, si vous fermez la chatière, elles grimpent à « l’enjamine » ! Veillez-y sans quoi vous êtes foutus ».
- « Maintenant, je m’en vais jeter mon chapeau sur celle qui trompe le plus son mari ».
Il n’eut pas aussitôt dit ça que, pendant qu’il se retournait pour prendre son chapeau, il se fit dans l’église un vacarme du diable : les femmes s’étaient levées et se précipitaient vers la sortie : le porche était trop étroit, elles s’y écrasaient, et mon curé, le chapeau à la main, comme s’il jouait au palais, ne pouvait en attraper une … il n’y en avait plus !.
Alors s’adressant aux hommes : « Et voilà, vous êtes édifiés. Vous êtes contents ! »
Effectivement, ils riaient jaune, pas fiers, mais plus d’un serrait les dents et promettait de servir à son épouse une bonne secouée.
Tout à coup, Gargouissou, le tisserand, boiteux et borgne resté célibataire, ricana, plié de rire, montrant le dessous de la chaire, là où se mettaient habituellement la Dorothée et la Lucie : les chaises étaient vides !
La Dorothée et la Lucie avaient fui.
- « Oh par exemple ! dit le pauvre Curé, que faut-il voir ! »
Le dimanche suivant il n’y eut rien pour les hommes. »
D’après « Les Contes du Brivadois » de Touana Bartan (Antoine Bertrand) - Editions René Borel à Brioude – 1934 – Traduction Albert Massebeuf. Mars 2016
18 - LE MOINE, LE LOUP ET LA BERGÈRE

A trois kilomètres de Bourg-Lastic, au fond des gorges du Chavanon, « La Cellette », quoique située en Corrèze, est spirituellement affiliée à l'Auvergne.
Au XII
esiècle, un bénédictin de Mozac se perdit dans ces montagnes. Frappé par l'aspect de ces gorges sauvages, il y construisit une cellule et une chapelle. Ce fut « La Celle (ou maison) de Notre-Dame », où l'abbé de Mozac fit plus tard résider quelques-uns de ses moines.Au XV
e siècle, s'y installèrent les Cordeliers de Murat (Haute-Auvergne) dont le couvent avait été détruit par les Anglais. Le beau monastère qu'ils bâtirent fut ruiné à la Révolution. On en a fait aujourd'hui un asile d'aliénés.
Tout près de là, entre les Gorges de Chavanon et celles de La Clidane, le Rocher de la Chèvre garde le souvenir des saints moines de La Cellette. On raconte qu'un jour, un loup prit la chèvre et, tandis qu'il la dévorait, le monstre tenait sous sa patte la petite bergère qui tentait de défendre son bien. Or un moine avait entendu les cris de la fillette; il accourut, ordonna au loup de lâcher sa proie, et la bête, obéissant, vint se coucher aussitôt aux pieds du religieux.
Le rocher où s'était déroulée la scène a gardé l'empreinte d'un pied de chacun des acteurs...
D’après Traditions, légendes, contes mystérieux d'Auvergne Mars 2016
19 - ENCORE UNE HISTOIRE DE LUTIN
« Un paysan avait été à la foire de Pradelles. Il y acheta des moutons et, le soir venu, il les ramenait chez lui. Il approchait de Lafarre, quand, arrivé à la descente qui va du Cros à Langougnole, il vit un superbe mouton qui semblait s’échapper de son troupeau parmi les genêts.
Le paysan l’appelle, rien n’y fait. Alors, il le suit pour le rattraper et le ramener. Celui-ci, par moments, s’arrêtait et bêlait, et, quand notre paysan tendait la main pour le saisir, il repartait à toute vitesse. Furieux, l’homme s’acharnait à la poursuite ; et l’autre recommençait toujours son manège.
Et cela dura, dura longtemps, jusqu’à ce que le paysan se trouva comme perdu en pleine nuit, loin de ses moutons.
Enfin, fatigué et découragé, il cria : »Va au diable, sale bête ». Alors, il lui semble entendre, lui aussi, un rire railleur.
Ayant enfin retrouvé ses moutons, il les compta. Ils y étaient tous.
C’était encore un tour d’un lutin, qui s’était transformé en mouton. »
D’après Henri Hugon (1869-1944) « Les légendes du Velay » - Réédition du Musée de Saint-Didier Mars 2016
20 - LA DAME BLANCHE

« Depuis quelque temps, on ne parlait, à Chilhac, que d’un revenant qui se montrait, toutes les nuits, dans le bois de « Labadan », le long du chemin qui va au Chassagnon.
Chaque soit, à minuit, une dame blanche apparaissait à l’orée du bois et y restait jusqu’au matin.
Aussi la peur avait gagné toute la contrée ; les femmes ne passaient qu’avec crainte, même le jour, en cet endroit, et, à l’assemblée, ou bien à la veillée, ce sujet faisait virer les langues :
- Voyez-vous, disaient les femmes, ce doit être une âme qui languit et qui a besoin de messes.
- Je crois, faisaient les autres, que c’est le diable qui vient quérir les âmes damées qu’il a achetées.
Une nuit, le courrier de La Voûte, qui venait du Chassagnon, portant une femme et ses deux enfants, passa comme le revenant se montrait. Les enfants se mirent à crier, et la femme eut tant de peur qu’elle pensa s’évanouir. Le postillon n’eut que le temps de mettre son cheval au galop.
Et le lendemain, les gens de La Voûte et de Chilhac surent ce qui s’était passé. Cela fit peur, un peu plus, aux femmes, qui n’osaient plus veillez, et aux jeunes filles, qui ne se risquaient plus dans les endroits obscurs…
Cela dura une quinzaine.
En ce temps-là, il y avait, au pays, une forte tête, le baron Adhémar de Bannat, qui venait d’arriver d’Afrique, où il avait fait sept ans. Un soir, il prit sa voiture et s’en alla, seul, au bois de Labadan. Quant il arriva, le ciel était assez clair, mais un peu couvert, par endroits ; la lune sortait de derrière les nuages, puis se cachait de nouveau comme si elle voulait faire un mauvais coup… Les ombres des pins s’allongeaient sur le chemin ; les buissons semblaient d’affreuses bêtes, des monstres accroupis dans l’herbe : la pointe des arbres était remuée par un vent léger qui faisait sortir du bois un bruit étrange ; une chouette, qui ululait dans un vieux chêne, achevait de répandre, dans la nuit, un sentiment de peur.
Adossé à une roue de sa voiture, Adhémar attendait l’heure de l’apparition.
Minuit !
Tout d’un coup, la chouette se tut. Quelque chose passa parmi les arbres, dans l’épaisseur du bois. Cela avait une forme blanche, légère comme ces nuages qui couraient, là-haut, dans le ciel. La Dame Blanche – car c’était elle – devait avoir vu l’homme et venait droit sur lui.
Adhémar n’était pas peureux : il en avait vu d’autres, en Afrique. Cependant, ce revenant le rendait soucieux… A ce moment, la Dame blanche suivait un sentier qui menait droit à la voiture. Comme elle passait derrière un genévrier, un nuage couvrit la lune. On y voyait rien, à trois brasses, tant le bois était noir.
Adhémar attendait, et le cheval, plus effrayé que lui frappait du pied, et, en secouant son cou, faisait sonner les grelots.
Un moment après, la nuée qui cachait la lune, poursuivant sa route, dans le ciel, laissa l’astre dans tout son éclat. Le cheval trépigna davantage , ses grelots sonnèrent à se briser, et Adhémar vit, à trois pas, le revenant, la Dame Blanche !...
Ses cheveux se dressèrent, mais il eut la force de soutenir la présence de celle qui avait semé l’épouvante dans toute la contrée.
D’un saut, il fut sur le revenant. Déjà, il l’avait saisi de sa main gauche ; de sa main droite, il lui mit un pistolet devant la figure :
- Parle ! fit-il. Es-tu chair ou esprit ? Que demandes-tu ?
Le revenant ne répondit point ; mais, tout à coup, il poussa un cri et tomba, comme assommé.
La mère et le fils s’étaient reconnus !
A la pointe du jour, des moissonneurs virent, dans le fossé du chemin, une femme étendue, et , à côté, un homme qui riait en lui baisant la main.
- Dieu de bonté, dit un moissonneur, c’est le baron Adhémar avec sa mère !...
- Cette folle, dit l’autre, qui a fait mourir son mari et qui est venue à Cerzat pour se livrer à ses folies.
- Voyez-vous, j’avais toujours dit que devait être cette détraquée qui venait faire le revenant.
Ils s’avancèrent. La femme était morte et l’homme avait perdu la raison. Adhémar se laissa hisser sur sa voiture, puis on l’emmena.
Le lendemain, La Dame Blanche descendit dans la fosse et l’on planta une croix au lieu où elle se montrait.
Les revenants d’autrefois n’étaient autre chose que des personnes. »
D’après Henri Gilbert « Contes populaires et légendes d’Auvergne » - Richesses du Folklore de France – Les Presses de la Renaissance - 1979 Mars 2016
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