Chronique familiale
LES CARNETS DE TANTE ANAÏS : RÉCITS, MYTHES ET TRADITIONS …
Chapitre 11
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1 - LES PÉNITENTS - CHILHAC
« Il y avait, autrefois à Chilhac, une confrérie de pénitents, et l’on faisait, par les rues, la procession de la Passion. Les pénitents avaient une robe blanche, ils étaient masqués et avaient les pieds déchaus dans des soles.
L’un d’eux portait la croix, un autre le fouet, un autre la lance, un autre la couronne d’épines, un autre l’éponge, un autre le coq, d’autres des lanternes à la cime d’un bâton, et, pour en finir, toutes les choses que vous savez.
Cette année-là, Micalan, qui figurait le bon dieu, portait la croix, et Pataud, le fouet. Il n’y aurait eu rien que d’ordinaire, si nos deux hommes avaient été de bons pénitents ; mais tout au contraire, ils ne pouvaient se supporter et se faisaient de mauvais tours à qui mieux-mieux…
C’est pourquoi, si Pataud sentait le fouet brûler, dans sa main, vous le devinez. Mais il attendit que Micalan tombât (il devait tomber trois fois comme vous le savez). La première fois qu’il mit un genou par terre, il fut cingler d’importance, et je vous assure qu’il fut vite levé ! Un peu plus loin, il tomba de nouveau : flic ! flac ! flic ! flac !… Ce furent quatre coups de fouet bien posés ! Si bien que, quand il fut le moment de tomber pour la troisième fois, Micalan n’osait pas : il regardait le fouet du coin de l’œil… Cependant, il tomba. Pataud l’attendait. Il serra le manche, fit grincer ses dents et appliqua sur les jambes de Micalan trois coups de fouet qui auraient renversé un âne.
- Passes-y, de nouveau, par mon champ de pois ! grommela-t-il entre ses dents .
- Aïe ! Aïe ! cria Micalan. Que fais-tu coquin ? Me veux-tu tuer ?... Tu ne vois pas que je suis le bon dieu ?...
L’année suivante, quant on fit, de nouveau, la Passion, Micalan avait une envie folle de tenir le fouet, mais Pataud se garda bien de porter la croix… »
D’après Henri Gilbert - Les conteurs du Covize – Imprimerie « La Haute-Loire » - Le Puy en Velay – 1953 Décembre 2016
2 - LES NOËLS VELLAVES
«
… C’est une légende très ancienne, infiniment ancienne, comme toutes les légendes, et dont l’authenticité n’est plus discutable que celles où paraissent les « dracs », les fées et les lutins… quelques vieux, quelques vieilles vous assureront avoir autrefois aperçu bien souvent la nain malicieusement perché au bord d’un chaume : d’autres affirmeront avoir entendu à diverses reprises le ricanement moqueur du lutin caché dans les haies… d’autres enfin vous assureront aussi que jadis de vieilles gens avaient certainement connu les deux héroïnes de mon conte…
Il y avait donc un roi et une reine qui n’avaient point d’enfant… Cela chagrinait beaucoup Sa Majesté le roi que préoccupait fort la question d’un successeur à la couronne… Nos souverains d’ailleurs s’étaient épuisés en vœux de toutes sortes mais le ciel inexorablement obstiné ne leur envoyait toujours point de progéniture ! Or un beau jour des hérauts d’armes annoncèrent au peuple à grand fracas que dieu avait enfin daigné donner un héritier au trône. Prince ou princesse ? Ce furent deux charmantes jumelles.
Je vous laisse deviner la joie du roi et de la reine. Elles furent gâtées, choyées, dorlotées… enfin aussi mal élevées que possible. L’une d’elle chantait toujours pendant que l’autre toujours dansait et la première fut appelée Chanson, comme, comme l’on dit chez nous Madelon, Louison, Margothon, Mion… et l’autre Bourréïo comme on dit en Provence Mireïo.
Or, nos deux petites princesses, au grand mécontentement de précepteurs rigides et du roi lui-même, aimaient à s’éloigner du château et à aller danser ou chanter parmi les paysans. Elles s’asseyaient volontiers à leur table et prenaient plaisir à partager avec eux le pain de seigle et leurs « pompes » blanches… Leur popularité allait sans cesse grandissante…
Tant et si bien qu’un jour, le roi, leur père, outré d’un libéralisme aussi démocratique, les chassa du royaume, interdisant à tous les sujets sous peine de mort de donner asile aux deux princesses exilées.
Voici dont Chanson et Bourréïo s’en allant côte à côte sur la grand’route. Elles arrivent un soir devant une pauvre cabane abandonnée… Elles entrent… Or, elles aperçurent, couchée dans l’ombre, une pauvre vieille à demi-morte de faim et de froidure.
Toutes deux s’efforcèrent de ranimer la moribonde qui, insensiblement, revint à elle… Puis Chanson se mit à chanter, Bourréïo à danser et la vieille, dans l’espoir de beaux jours futurs, des joies possibles et probables, se ranima peu à peu et prit courage… Et lorsqu’au jour nos deux petites princesses voulurent continuer leur route elles ne virent plus la vieille femme mais une jolie fée éblouissante et radieuse qui, s’approchant de nos deux exilées leur dit en souriant :« Allez ! … allez toutes deux par la grand’route, portez partout la gaieté, portez partout la joie… semez le bonheur et semez le rire… On vous chasse d’un royaume ? je vous donne le monde … par les monts, par la plaine, toi, Chanson, chante – et toi, Bourréïo, danse… »
Et c’est ainsi , d’après cette vieille légende, que naquirent notre Chanson et notre Bourrée….
Nos deux princesses sont toujours du même libéralisme, elles aiment toujours à partager le pain du paysan et bien qu’elles portent coiffes et dentelles, cotillon de laine et sabots de bois blanc, on reconnaît facilement leur mystérieuse et illustre naissance car leur âme sensible est fragile comme celle d’une fleur merveilleuse. Toutes deux ont conservé le charme particulier de leur origine : elles sont auvergnates d’âme et française de coeur »
D’après Marius Versepuy « Les Noëls Vellaves » - Bulletin historique, scientifique, littéraire, artistique et agricole illustré publié par la Société scientifique et agricole de la Haute-Loire - Date d'édition : 1911 Décembre 2016
3 - LA CHÈVRE EN OR
« Un jour en se promenant, une vieille femme aperçut dans le Bois de la Coisse une chèvre en or. Cette nouvelle se rependit. Alors tous les gens des villages proches accoururent avec des tombereaux, des crics et des chaines pour la soulever. Tout ce monde arriva à l’endroit dit. Mais elle n’y était pas. Enfin un homme l’aperçut un peu plus loin dans les bois :
- C’est un mystère !
- Je ne sais pas !
- L’or ne marche pas !
- « Coumma fare » !
- Poursuivons là ?
Ils allèrent vers elle et ils l’aperçurent un peu plus loin.
Elle ne marche pas, elle change seulement de place sans qu’on s’en aperçoive.
Tout ce monde est consterné de ne pouvoir l’attraper.
Ils ont cherché pendant longtemps , mais ils n’ont pu l’atteindre « La tsabra d’or ».
On parle encore de cette « betio insorcelade » qu’on n’a plus revu depuis mille huit cent cinquante. »
D’après M. Girodon, élève de l’ école à Pavagnat (commune de Saint-Bonnet-le-Chastel, Puy-de-Dôme)– 1936-1937 - (Overnia – Bibliothèques & Médiathèques de Clermont Communauté – Archives d’Henri Pourrat - Cote : HP 86 9) Décembre 2016
4 - LA DANSE DES FÉES
« Un soir d'été après avoir bien fait danser la jeunesse de la noce au son de sa musette, Jacquillou (Jacques) le cabrettaire, la tête un peu échauffée, paria qu'il irait voir danser les fées aux quatre chemins du milieu de la forêt. Il était brave et très fort Jacquillou et n'avait jamais cru aux fées.
La nuit était claire et notre cabrettaire partit sa musette sous le bras. Deux ou trois fois il lui sembla que quelque chose l'arrêtait, c'était la peur sans doute, mais il avait trop d'amour-propre pour reculer.
Tout à coup quand il fut aux quatre chemins, il vit une vingtaine de fées qui dansaient en rond. Jacquillon eut peur, il ne remarqua pas que ces demoiselles étaient pâles et maigres et que lorsqu'elles se tapaient dans les mains l'on entendait un bruit comme celui que font des os sans viande.
Pauvre Jacquillou était troublé, il admirait ces demoiselles légères habillées de blanc. Il se crut au milieu d'une noce et prend sa cabrette et se mit à jouer. La musette fit fuir les fées, cependant trois ou quatre vinrent vers le musicien et se mirent à danser, mais au bout d'un moment, elles cessèrent, une s'empara de son chapeau, une autre lui enleva son foulard : la plus belle prit la rosette de ruban que Jacquillou avait à sa boutonnière et s'enfuit. Notre musicien courut après, mais la fée était si légère qu'elle ne touchait pas terre, pourtant il finit pas l'approcher. C'était une ombre, il n'y avait pas moyen de la tenir, et Jacquillou avait beau la serrer dans ses bras elle s'échappait toujours.
Ils arrivèrent en courant au bord d'un précipice, le Gour de Marmito, le gouffre de la marmite. Là notre musicien voyant le danger s'arrêta, mais il était amoureux de la fée et coûte que coûte il voulait la prendre, il s'élança vers elle et ils tombèrent tous les deux dans le précipice. L'on n'entendit dans la forêt qu'un bruit semblable à la chute d'un corps et ce fut tout.
Le lendemain l'on trouva le pauvre cabrettaire presque mort et couvert de sang, sa musette était à côté de lui, mais jamais l'on ne put retrouver la rosette et le chapeau.
Jacquillou respirait encore, il eut le temps de raconter ce qui s'était passé, il put recevoir la confession, demander pardon à Dieu et trépassa.
D’après Antoinette Bon - Revue des traditions populaires - Société des traditions populaires (Paris) – Date d’édition : 15 mars 1891 Décembre 2016
5 - LE PAYS DES SIGNES ET DE LA VISION
« Dans la plaine du Livradois ou sur les montagnes, partout les gens que vous rencontrez, dès lors qu'ils vous connaissent bien, peuvent vous raconter quelque expérience qui n'est pas de la terre.
Il est naturel que les femmes surtout, plus sensitives, soient sujettes à ce genre de visions. Mais je connais aussi des hommes qui ont vu des choses, la plupart quand ils étaient enfants il est vrai. Quand ma grand'mère mourut, un mien cousin-germain, et un ami à lui, le fils du meunier d'alors, virent une colombe quitter le corps. L'impression fut si vive que l'ami, un homme fait à présent, m'en parle chaque fois qu'il vient par ici.
Nouara, d'ailleurs, semble avoir été un lieu favorisé. C'était vers l'ancien jardin de plaisance des seigneurs de Nouara, « où l'on allait faire de petites fêtes ». Au temps où il n'y avait guère d'horloges dans les campagnes, par un grand clair de lune, une femme de Goure se trompa d'heure pour aller à la première messe. Arrivée près de ce lieu elle entendit sonner minuit. Elle s'assit sur le muret, et vit distinctement des femmes habillées de dentelle et des hommes en culotte, tous vêtus de blanc, danser en rond autour d'une table de pierre, entre des buis très hauts.
Le blanc est la couleur de ces choses qu'on voit. Je le relève dans plusieurs de ces innombrables signes — signes de la mort proche d'un parent ou d'un ami — dont la relation emplirait un livre.
« Le premier signe que j'aie vu, c'est celui d'une petite que j'avais. Elle est morte quelques jours après, à dix mois. Je la tenais sur mes bras ; j'ai vu un oiseau blanc, gros comme un pigeon, mais ça ressemblait une hirondelle. Il a fait le tour ; il a rasé la poutre ; puis il a disparu ».
« Un matin, raconte la même vieille femme, nous allions travailler à la Forie. J'avais douze ans. Nous étions quatre ; nous fûmes deux à voir une caisse (cercueil) ; les deux plus près ne la virent pas. Au bout de huit jours, encore plus matin, celle qui avait vu la caisse avec moi, une fille de dix-sept ou dix-huit ans, en sortant de chez elle pour venir travailler, vit un jeune homme, un paysan voisin, tout habillé de blanc, ses habits de travail tout blancs, qui marchait à la cime d'une côte aussi vite qu'il pouvait. Ça lui fit tellement frayeur, qu'elle retourna chez elle, pour tomber évanouie au milieu de la maison. Elle ne vint pas travailler ce jour-là. Le jeune homme mourut dans la semaine d'un accident de chasse ».
D’après Claude Dravaine - L'Auvergne littéraire et artistique - Date d’édition : mars 1932 Décembre 2016
6 - LA NUIT DE LA TOUSSAINT

« Il paraît que, chaque année, la nuit de la Toussaint, les morts de la paroisse viennent sur terre et visitent les lieux où ils ont vécu. Ils parcourent, en particulier, le chemin qui conduit à l’église et par où leur cercueil a passé le jour de leur enterrement. Ils s’arrêtent à tous les endroits où les porteurs fatigués se sont arrêtés.
Il y avait, au village des Sauvages, une vieille fille d’une piété rare, tante Rose. Elle avait une dévotion très grande envers les âmes des défunts, et elle avait l’habitude de passer en prière la nuit entière entre le jour de la Toussaint et celui des morts. Or, une année, elle était dans sa chambre, et elle priait .
Tout à coup , la porte s’ouvrit, et toute une foule de personnages, vêtus de blanc, entra dans l’appartement. Ils la regardèrent avec douceur et ils lui souriaient. Et, chose étrange, elle n’avait pas peur. C’était les morts de sa famille.
Elle reconnut son père, sa mère et ses sœurs morts, oncles et ses tantes. Et voici que deux fantômes blancs, deux de ses sœurs mortes, la prirent chacune par la main, et l’entraînèrent vers le chemin qui, de Chanteloube, va à Lafarre. Et là, elle aperçut d’autres fantômes blancs qui attendaient sur la petite place du village ; et tous se prosternèrent devant la croix qui domine la muraille. Puis les fantômes se mirent en marche dans la direction de Lafarre.
A la jonction du chemin de Vallet de nouveaux fantômes blancs vinrent s’adjoindre aux précédents ; d’autres encore quand on arrive à Lafarre, venant du chemin du Cros. Sur la place se tenait une foule très considérable qui semblait attendre. Ils se saluèrent silencieusement. Puis comme en procession, ils pénétrèrent dans l’église ; et ils étaient là, tous tournés vers l’autel, en extase. Tante rose ne savait plus si elle rêvait, si elle était encore vivante ou morte. Elle se sentait heureuse, et elle priait. Quand la première lueur du jour parut, il se produisit comme un frémissement dans l’assistance mystérieuse, et tout disparut. Tante Rose se trouva seule dans l’église. »
D’après Henri Hugon (1869-1944) « Les légendes du Velay » - Réédition du Musée de Saint-Didier Novembre 2016
7 - ON NE DOIT PAS TRAVAILLER LE DIMANCHE

« Il y avait une fois un fermier très riche, qui avait beaucoup de domestiques. Marguerite, sa première servante, était connue dans tout le pays pour son attachement à son maître et aussi pour son peu de respect de la religion.
Un dimanche le fermier ordonna à tous ses gens d'aller travailler dans un champ au milieu de la forêt, parce qu'il y avait du fumier à écarter (à étendre), et que l'ouvrage pressait. Les autres domestiques dirent que le dimanche était un jour de repos, consacré au Seigneur, et Marguerite fut la seule qui se montra disposée à obéir à son maître. Celui-ci, pour l'encourager, lui promit une forte récompense, puis, suivant l'habitude du pays, il se rendit sur la place devant l'église, pour causer avec ses amis à la sortie de la messe.
Cependant Marguerite se rendit au champ, qui était très grand, et elle se disait : « Je n'écarterai pas sans doute tout ce fumier aujourd'hui, car il y en a trop ; mais je ferai de mon mieux, et demain nous reviendrons tous nous mettre à l'ouvrage. C'est bien mal aux autres domestiques de n'avoir pas écouté leur maître; pour moi, j'aime mieux lui obéir que d'aller à la messe où l'on perd son temps, Après tout, est-ce bien vrai qu'il y a un bon Dieu? »
Elle se mit à l'ouvrage, et elle avait à peine remué quelques fourchées de fumier, lorsqu'elle vit sortir du bois un homme tout petit, mais qui avait une tête grosse comme une citrouille. Il siffla et aussitôt trente autres nains, plus laids et plus petits que le premier accoururent avec des fourches et se mirent à écarter le fumier.
Lorsqu'il fut entièrement étendu, le chef des nains dit à Marguerite :
— Au revoir, trouve-toi ce soir à dix heures dans la grange; je viendrai chercher ma récompense.
Aussitôt il disparut ainsi que ses trente compagnons. La pauvre Marguerite avait bien du chagrin, car elle pensait que tout cela n'était pas naturel; elle allait s'en retourner à la ferme, quand elle entendit du bruit derrière elle : elle se retourna et vit une vieille femme, toute ridée, qui lui dit :
— Tu viens de te donner au Diable, ma pauvre fille ; je suis en purgatoire, où je souffre depuis longtemps, parce que j'ai travaillé le dimanche au lieu d'aller à la messe. Je puis te sauver, si tu peux me dire le nom du sixième jour de la semaine, je l'ai oublié, et si je le savais je cesserais de souffrir.
— C'est le vendredi, répondit Marguerite.
— Merci, dit la vieille : ce soir lorsque tu seras dans la grange, garde-toi bien de serrer aucun cordon autour de toi. Quand le diable viendra, jette-lui une botte de paille avant qu'il ait pu s'approcher de toi.
La vieille disparut; Marguerite rentra à la ferme; à dix heures, elle alla à la grange et le diable arriva pour la prendre. Mais elle lui jeta au nez une botte de paille. Le diable se sauva en jurant.
Marguerite ne voulut plus retourner au champ de la forêt; elle se garda bien, depuis, de travailler le dimanche; elle ne manqua plus d'assister à la messe; aussi elle ne revit plus le diable. »
D’après Antoinette Bon - Revue des traditions populaires - Société des traditions populaires au Musée d'ethnographie du Trocadéro (Paris) - Date d’édition : mai 1888 Novembre 2016
8 - LES ENFANTS MORTS SANS BAPTÊME
« Un fermier dont la servante avait mis au monde un enfant mort, alla l'enterrer la nuit au pied d'une croix située aux Quatre-Chemins.
L'enfant était à peine déposé dans la fosse, qu'on entendit dans l'air trois cris déchirants. Le fermier s'enfuit effrayé, et ce ne fut qu'au point du jour qu'il put achever de combler la fosse. Et depuis, la nuit, on vit longtemps voltiger les feux follets autour de la fosse et de la croix. ».
D’après le Docteur Pommerol - Revue des traditions populaires - Société des traditions populaires au Musée d'ethnographie du Trocadéro (Paris) – Date d’édition : Décembre 1899 Novembre 2016
9 - DANSE MACABRE SUR LE RUISSEAU DE GUI

« J’ai entendu conter par grand’ tante un fait de sorcellerie particulièrement intéressant.
Dans son pays natal, dans la commune de Doranges, ma grand’ tante, encore toute jeune, demeurait avec ses parents dans un hameau perdus dans les bois, bâti sur le flanc d’une colline. Au fond de la vallée coulait un petit ruisseau qu’elle nomme le ruisseau de « Gui ».
Sur ce ruisseau, me disait-elle, tous les soirs, après le coucher du soleil venaient se réunir tous les mauvais esprits : le diable, le démon, le loup-garou, le charlatan … et là, ils dansaient toute la nuit sur l’eau, au son d’une musique monotone et macabre.
Dans tout le voisinage, ces mauvais esprits étaient craints, si bien que, quand arrivait le soir, personne n’osait sortit dans cette direction. Ma grand’ tante m’affirmait même que, revenant un peu tard de l’école, elle vit sur l’eau ces mauvais esprits, vêtus d’une bigarrure de haillons, exécutant des danses macabres et que, pour ne pas passer sur le ruisseau de « Gui », elle fur obligée d’aller faire un détour de deux ou trois kilomètres alors qu’elle n’avait que quelques centaines de mètres pour arriver chez elle. Et pour ne pas être possédée du démon, elle récita durant le parcours je ne sais combien de chapelets. Pendant le jour, même lorsque les mauvais esprits étaient « partis », elle ne se hasardait jamais seule sur le pont du ruisseau.
Même pour se protéger de ces charlatans, chaque année, à la fête de Noël, ils (ses parents) tuaient un lapin blanc et le portaient sur le ruisseau hanté. Là, toute la nuit, la terrible société devait s’en nourrir.
Pendant le jour, elle se réfugiait dans les bois du « Commandeur » dans un rocher où elle était invisible et, tous les soirs, et particulièrement les soirs sans lune, suivant l’expression de ma grand’ tante, les esprits revenaient toujours avec la même musique lugubre.
Cependant, me dit ma tante, un homme du voisinage, plus hardi, voulut se rendre compte de la vérité de cette histoire qu’il n’avait jamais vue, mais qu’il avait entendue raconter. Il prit son vieux fusil de chasse et, un soir, il partit pour le ruisseau de « Gui ».
Il guetta toute la nuit et ne vit rien venir ; il remarqua seulement que cette musique monotone que l’on entendait, était produite par l’eau qui s’engouffrait derrière un rocher ; il remarqua aussi que ce que ses voisins prenaient pour des esprits, était vraisemblablement un buisson aux formes assez bizarres qui bordait le ruisseau et se reflétait sur l’eau.
Notre homme voulut alors désabuser ses voisins mais tout le monde l’accusa d’avoir signé un pacte avec le démon et de s’être entendu avec lui. On ne voulu donc pas le croire et, ma grand’ tante me dit qu’elle n’avait jamais eu confiance en cet homme et qu’elle ne se hasarderait encore aujourd’hui jamais sur le ruisseau hanté pendant la nuit…. »
D’après N… Ducher, élève au Cours Complémentaire à Saint-Germain l'Herm (Puy-de-Dôme) – 1927 - (Overnia – Bibliothèques & Médiathèques de Clermont Communauté – Archives d’Henri Pourrat - Cote : HP 86 2 3 ) Novembre 2016
10 - LA PROCESSION DES TRÉPASSÉS

« De l'Abbaye d'Aurillac, à part l'église abbatiale, il ne reste plus grand chose aujourd'hui à part des noms et quelques pierres.
Il faut citer la Fontaine de l'Aumône qui coule au coin de la rue du Buis et du Square Saint Géraud. Son nom lui vient de l'aumônerie du Monastère qui se trouvait là et l'on raconte qu'elle a donné parfois non pas seulement de l'eau mais de l'huile et du vin.
La fontaine qui se trouve sur la place Saint Géraud devant la maison Renaissance des chanoines, est taillée dans un énorme bloc de serpentine verte qu'un abbé d'Aurillac, vers la fin du XIème siècle, fit venir de Griou pour orner ses jardins. Le bassin que l'on peut voir reposait sur un autre bien plus grand, qui fut brisé par les protestants. L'église Saint Géraud, telle qu'elle s'offre aujourd'hui, est elle aussi bien attachante.
De la première basilique Romane, il reste un beau chapiteau, qui a été creusé pour en faire un bénitier, et deux dalles décorées de feuillages et d'animaux symboliques, encastrées dans le mur de la chapelle, à gauche du chœur. Il y a là aussi, sculpté dans la pierre, un curieux Samson datant du Xème siècle, le plus ancien spécimen de la sculpture préromane à Aurillac. Des fouilles récentes ont également fait apparaître le transept romain.
Les protestants incendièrent l'église avec tout son riche mobilier en 1569. Les reliques de Saint Géraud furent elles aussi brûlées : on ne put sauver que quelques ossements, qui portent la trace du feu.
Cependant, Monseigneur de Noailles releva le chœur, restaura le transept et une travée de la nef. On y travaillait encore en 1643. Le reste de l'église date de la fin du XIXe siècle.
Une légende raconte qu'autrefois, le jour des morts, à minuit, les fantômes de ceux qui devaient mourir dans l'année sortaient par le porche abbatial et s'en allaient lentement vers le cimetière.
Un garçon se crut assez fort pour aller voir passer cette procession de la Nuit des Trépassés, mais s'étant reconnu lui-même dans un de ces fantômes, il tomba sur la place sans connaissance. On le releva au petit matin, mais il avait perdu le sens, bientôt après il perdit la vie. »
D’après Traditions, légendes, contes mystérieux d'Auvergne Novembre 2016
11 - LE PELOTON DE LAINE

« La mère Miette » du village de Maisse (Saint-Victor-La-Rivière), dans le département du Puy de Dôme, était si avare, qu’elle aurait tondu un œuf.
Sa quenouille à la main, elle suivait ses vaches au champ de l’Aubespi (les beaux épis) quand elle trouva au milieu du chemin un gros peloton de laine, couleur de la bête. Elle se baisse vivement pour le ramasser et si vite, si vite, qu’elle ne pense pas une minute à la fileuse qui l’a perdu. Elle le voit déjà dans la vaste poche de son tablier qui s’ouvre toute grande comme pour le recevoir.
Cependant, elle ne peut saisir le peloton. Il glisse, glisse devant elle, et la mère Miette, pour le prendre, dépose en toute hâte sa quenouille au bord du chemin. Ses deux mains libres se tendant avidement vers le peloton pour le saisir. Mais non, il glisse, encore, il glisse toujours !
La mère Miette oublie sa quenouille au bord du chemin, ses deux belles vaches qui, par habitude, s’en vont toutes seules tranquillement au pacage et la voilà courant comme une folle après le peloton qui fuit devant elle. Pareil à un feu follet, tantôt il la poursuit, tantôt, il l’a précède ; mais il lui échappe toujours. Elle franchit, haletante, les prairies du hameau, elle monte sans s’en apercevoir la côte de Châtel-Guizon ; elle paraît vouloir suivre le mystérieux peloton de laine au bout du monde. Enfin, elle réussit à saisir non pas le peloton, mais le brin de laine qu’il entraîne.
Elle, elle est contente ; elle tient, non plus dans ses mains, mais dans ses bras, un énorme peloton de laine : elle en fera faire une veste et des bradzes (pantalons) pour son homme, une jupe pour elle, elle vendra le reste… C’est une fortune ! elle ne sent pas la fatigue. Et bientôt elle ne peut plus tourner le brin de laine autour du peloton, tant celui-ci est devenu gros. Elle en a du chagrin, mais il faut se résigner à rompre le fil.
C’est ce que fait Miette en poussant un soupir de regret ! Mais tout à coup le peloton, qu’elle a tant convoité, disparaît dans un bond fantastique, et en même temps ce beau peloton de laine qu’elle avait obtenu avec tant de peine s’échappe de ses bras, malgré ses efforts pour le retenir.
Et voilà la vieille courant de nouveau après le peloton ! Elle saisit le brin de laine. Vingt fois, elle recommença le même labeur, vingt fois il eut le même résultat. On la vit le même jour à Mont-Redon, à Chastres, à Oursières, partout, échevelée, hors d’haleine, exténuée, courant toujours après un peloton qu’elle dévidait fiévreusement.
Son homme trouva les deux belles vaches à l’Aubespi, la quenouille au bord du chemin, pareille au Juif errant, la vieille mère Miette n’arrêta plus sa course, et elle court encore.
Quand vous trouverez des pelotons de laine couleur de la bête, ramassez-les ; mais avec l’intention de les rendre aux fileuses qui les ont perdus, sinon… »
D’après Céline Mazier (25 avril 1886) - « Revue des traditions populaires. » Contes Populaires et Légendes d’Auvergne – Les Presses de la Renaissance (1977) Octobre 2016
12 - LA BARAILLE ET LA DAME JAUNE.

Dans le château de Villeneuve
1 bâti par Rigault d'Aurelle, baron de Villeneuve, chambellan, maître d'hôtel et ambassadeur de Louis XI, Charles VIII et Louis XII. il y avait une gouvernante nommée la Baraille qui se conduisait très mal. Une nuit le diable l'appela par son nom et lui ordonna de se lever; elle répondit par des imprécations et des injures. Satan lui présenta un parchemin et lui ordonna de le signer, ce qu'elle refusa avec de nouvelles insultes. Rendu furieux, Satan la saisit, l'étrangla et lui brûla plusieurs parties du corps avec des fers rouges.
Dans le même château existe la Dame Jaune, femme vêtue de jaune, au teint jaune, qui vient glisser sa main froide dans le lit des hôtes et les tirer par les pieds la première fois qu'ils couchent à Villeneuve.
1 Villeneuve-Lembron, chef-lieu de commune, canton de Saint-Germain Lembron, arrondissement d'Issoire (Puy-de-Dôme).
D’après le Baron du Roure de Paulin - Revue des traditions populaires - Auteur : Musée de l'homme (Paris) - Éditeur : Société des avril 1907 Octobre 2016
13 - DES CERCUEILS SUR LA ROUTE

« C’est une veillée d’hiver que j’évoque aujourd’hui. Un vieillard, ami de ma famille était venu ce soir là à la maison. J’étais assise sur un petit banc dans un coin près du fourneau. Mes parents causaient avec notre hôte, mais je n’écoutais par leur conversation. Pourtant, à un moment donné je tressaillis, mes oreilles avaient été frappées par des paroles étranges, la voix grave et lente de notre ami nous plongeait dans une immobilité recueillie. Il racontait des histoires du passé, « des histoires de son temps », à l’époque où les hommes fanatisés par leur croyance, effrayaient, la nuit, les gens qui s’aventuraient dans la campagne.
Six ans se sont écoulés depuis cette veillée mais le récit qu’on nous a fait à mes parents et à moi, est resté gravé profondément en ma mémoire.
Voici le récit qui revient à mon esprit en ce moment :
Une nuit, les habitants d’un village voisin de Courpière revenaient de la foire ; il était onze heures du soir. C’était pendant l’hiver, la nuit était profonde et noire, les sabots ferrés des paysans frappaient en cadence sur le sol gelé et le bruit animé de leur voix, troublait la calme de la campagne. Ils parlaient de leur champs, de leur avoir, en gesticulant des bras, en remuant la tête et s’animant avec force dans leur patois. Ils allaient d’une marche rapide.
Soudain, à un détour de la route, à travers le bois qui la borde, ils s’arrêtèrent effrayés : ils voyaient à travers les branches des sapins sombres, danser des lumières vives comme les clartés que jettent des torches enflammées que l’on élève et que l’on promène dans la nuit. Immobiles, les paysans restaient muets… et plus loin sur la route ils entendaient des voix aux sons rauques et caverneux. Les lueurs s’éloignaient.
Alors, croyant que peut être ces lumières et ces voix n’étaient qu’une hallucination de leur esprit, ils reprirent leur marche. Mais plus loin, leurs yeux fouillant les ténèbres de la nuit virent nettement sur la route, non loin d’eux, de longues caisses … qui n’étaient autres que des cercueils, et, distinctement, ils entendaient ces mots « fuis, ne te détourne pas la tête, ne cherche pas à savoir ce que c’est, gare au Diable, ne tente rien où tu es mort ». Les voix lugubres et ces clartés diaboliques avaient fait fuir les paysans épouvantés se croyant harcelés par le diable et ses compagnons , surgis de la terre pour s’emparer d’eux.
Et chaque nuit, à onze heures, si l’on s’aventurait sur la route, on voyait le même spectacle et l’on entendait les mêmes voix.
Mais une nuit, plusieurs villageois s’armèrent de fusils, de fourches, de bâtons et à onze heures ils allèrent s’assurer de ces actes de ces actes de sorcellerie.
Et le lendemain, au village, on racontait qu’ils avaient trouvé des hommes vêtus de blanc et masqués et des hommes cloués vivants dans les cercueils.
Après la fuite des « revenants » surpris, le calme reparut au village et la nuit on ne rencontra plus ces terrifiantes apparitions ».
D’après Denise Serre, élève du Cours Complémentaire de Jeunes Filles à Courpière (Puy-de-Dôme) – Février 1927 - (Overnia – Bibliothèques & Médiathèques de Clermont Communauté – Archives d’Henri Pourrat - Cote : HP 86 2 5) Octobre 2016
14 - LE SORCIER DE RIOM

« Ces faits m'ont été contés en 1894 par Mme Antoinette Bouchet, d'Aubière, un village tout près de Clermont-Ferrand, et de Royat-les-Bains, et cette personne a connu le paysan à qui ces faits sont arrivés, qui est aussi de son village.
A Aubière, tout près de notre maison demeurait un jeune ménage, de paysans : le mari était cultivateur et c'était un brave garçon, très estimé dans le village à cause de sa bonne conduite et de son extrême probité. '
Un jour, lui et sa femme, s'étant rendus à Clermont-Ferrand au marché pour y vendre quelques produits de leur ferme, ils rentrèrent à Aubière assez lard dans la soirée. Après leur souper, ils voulurent mettre l'argent gagné de la journée, avec leurs économies, qu'ils avaient l'habitude de cacher au fond d'un ancien bahut. A leur grand étonnement et à leur grand désespoir, ils constatèrent que pendant leur absence, quelque malfaiteur s'était introduit chez eux, et que tout leur argent avait disparu ! Ils se perdirent en conjectures au sujet des voleurs, et se creusèrent en vain la tête à chercher qui aurait pu leur jouer un si mauvais tour. C'était d'autant plus pénible qu'ils étaient entourés de parents et d'amis, qui naturellement étaient au-dessus de tout soupçon.
La jeune femme après avoir réfléchi longtemps, pria son mari de ne point ébruiter l'affaire, et l'engagea fortement à partir dès l'aube pour aller dans les environs de Riom, où il y a un célèbre sorcier, et qu'il ne manquerait pas de leur donner des indices, et de les mettre sur la trace des voleurs.
Il suivit, son conseil, partit le lendemain matin, et se rendit chez le sorcier. Il trouva un vieillard qui avait l'air très paisible et respectable, lui dit qu'il avait été volé, et n'avait aucun soupçon au sujet du voleur. (Il se garda bien de lui apprendre son nom, ni celui de son village).
Le sorcier lui fit descendre un long escalier jusque dans une espèce de cave, où il faisait tout à fait noir, il alluma alors- un flambeau qu'il passa dans un anneau de fer du mur, et le paysan vit qu'au centre de cette cave il se trouvait un puits, où il y avait de l'eau.
Le vieillard fit quelques passes au-dessus de ce puits, et dit au paysan de regarder dans l'eau, où il verrait se dessiner peu à peu la figure du voleur.
Le jeune homme regarda attentivement et, à la lueur rougeâtre du flambeau, il vit distinctement se dessiner la figure d'un de ses oncles, qui habitait la maison à côté de la sienne, et pour qui il avait une grande affection.
Il se récria, et déclara que c'était impossible, et voulait s'en aller furieux, se croyant trompé, mais le sorcier lui affirma qu'il n'était pour rien dans cette apparition, et qu'il n'avait fait qu'évoquer la vision du voleur, et ne voulait même pas savoir qui c'était. Le paysan lui dit, que comme preuve, cela était insuffisant, et qu'il ne croirait jamais à la culpabilité de quelqu'un, sur une base aussi fragile; le sorcier lui demanda alors s'il voulait qu'un mal ou un sort fût fait au voleur, comme par exemple un pied foulé, ou un bras cassé ?
Le jeune homme déclara que cela était trop, mais qu'il voulait bien que l'on fît en sorte que le voleur se coupât la main; l'autre lui assura que cela arriverait ; le paysan lui paya sa consultation, monta dans sa carriole, et partit pour Aubière, avec une confiance fort limitée dans le pouvoir du sorcier.
En rentrant dans son village, et arrivé près de son logis il vit son oncle qui fendait du bois, devant sa porte ; juste au moment où il descendit de sa carriole, l'oncle fit un faux mouvement avec sa cognée, et se fit une large entaille à la main gauche, et le sang coula abondamment.
Le neveu voyant que le sorcier avait dit vrai, s'approcha de lui, et le pria d'entrer chez lui, sous prétexte de lui panser sa main.
Quand ils furent seuls, il lui raconta qu'il avait été volé d'une somme, et qu'il était positivement certain que c'était lui le voleur; et le pria instamment de lui rendre l'argent, sous peine de le .faire savoir dans tout le village. L'oncle essaya d'abord de nier, et fut très saisi, mais voyant que son neveu était bien résolu à exécuter ses menaces, il finit par avouer, et alla chercher l'argent, le suppliant de ne rien dire, même à sa femme, car elle ignorait son crime.
Ceci est un parmi mille faits, où le sorcier de Riom a été employé afin de retrouver soit de l'argent perdu, ou des voleurs, ou des objets volés. »
D’après Mademoiselle Brandt - Revue des traditions populaires -Auteur : Musée de l'homme (Paris). Auteur du texte - Éditeur : Société des traditions populaires au Musée d'ethnographie du Trocadéro (Paris) - Date d'édition : novembre 1895 Octobre 2016
15 - JEAN DES ENVIES

« Aux Martres-de-Veyre, on parle
de Dzuan de le ivedzè (Jean des Envies), qui était en rapport avec les esprits.
Plusieurs fois il avait amené des amis dans son cuvage ; il descendait une bouteille vide dans sa cave, située au-dessous, et remontait. On entendait alors très nettement les esprits tirer le vin et refermer la cannelle; on descendait et on remontait la bouteille pleine.
Un autre jour le même homme, en revenant des vignes, s'arrêta sur le pont de la Monne, appuyant sa hotte sur le parapet. La diligence de Vic-le-Comte passait et il la regardait d'un oeil mauvais pour lui jeter un sort et la faire verser; mais d'autres esprits plus forts combattirent sans doute ceux qu'il évoquait, car ce fut lui qui tomba à la renverse, avec sa hotte dans la rivière. »
D’après La Revue des traditions populaires - Auteur : Musée de l'homme (Paris) - Éditeur : Société des traditions populaires (Paris) - Date d'édition : mars 1899 Octobre 2016>
16 - LA LÉGENDE DU PRÊTRE QUI REVIENT DIRE SA MESSE A MINUIT

« Un soir, un homme de Féroussat qui passait près de l'église de Lamontgie, y vit de la lumière ; il s'approcha, regarda à l'intérieur par une fenêtre, et reconnut avec terreur l'ancien curé qui était mort quelques temps auparavant ; le prêtre était à l'autel, en tenue d'officiant, au milieu de tous les cierges allumés, et il se retournait de temps en temps du côté de la nef, comme s'il attendait quelqu'un.
L'homme s'en alla, très intrigué ; le lendemain il revint, assez tard dans la nuit, et vit le même spectacle. « Oh oh ! il y a quelque chose d'extraordinaire : ce prêtre attend sans doute quelqu'un pour servir sa messe. »
Aussitôt il alla réveiller l'enfant de chœur : il n'est pas encore jour, mais M. le curé doit partir de très grand matin, et il veut dire sa messe avant de s'en aller. »
L'enfant le suivit sans défiance, entra dans l'église, et s'approcha du prêtre dont il ne pensa à scruter la physionomie : il agita sa sonnette, le curé descendit de l'autel, et commença la messe qu'il dit jusqu'au bout. Quand l'office fut terminé le prêtre se retourna vers l'enfant, lui fit un beau sourire, et disparut : en même temps, tous les cierges s'éteignirent à la fois.
L'enfant effrayé poussa de grands cris, mais l'homme, qui avait suivi la scène par l'entrefaîtement de la porte, l'appela et le rassura : « Je suis là, mon enfant, n'aie pas peur, viens avec moi ».
Depuis, il n'y eut plus d'apparition. On conclut que ce prêtre avait oublié de dire avant sa mort, une messe qui lui avait été commandée et payée.
D’après A. Dauzat - Revue des traditions populaires - Date d'édition : février 1899 Septembre 2016
17 - ANTOINE EN PARADIS

« Antoine Viralo, le gendre de la Guite, habitait sous la Tranchée et faisait des sabots ; dévot comme un abbé, il servait la messe du curé de Saint-Préjet , on l’avait surnommé « Saint ».
Mais pour son malheur, il avait un voisin, Baptiste de la Chèvre, qui lui en faisait voir de toutes les couleurs, ils étaient voisins de propriétés aux Vigeries, une parcelle de la taille d’un foulard, et il ne s’écoulait pas de semaine sans que ce coquin de Baptiste lui fasse une misère.
Ils avaient des arbres mitoyens, lorsque mon Antoine allait pour récolter la moitié de la feuille de ses branches, l’autre avait tout raclé et récolté. Aussi, ce pauvre Antoine en était-il malade.
Le lundi de Carême, l’Elisabeth, sa femme, lui fit une grosse poêlée de boudin, il en mangea tant qu’il eut une indigestion, qui se mit au lit et mourut étouffé.
Comme il était en bons termes avec le bon dieu, il alla au Paradis et arriva à la porte avant le soleil levant. La porte « tait ouverte et Saint-Pierre assis sur un baquet, le dos au lit, raccommodait un filet.
- « Te voilà, mon Antoine, dit Saint-Pierre, tu ne t’es pas attardé, tu ne crains pas le froid pour arriver si tôt ».
- « Oh, je me suis hâté, je voulais arriver avant la ruée ».
- « Quand es-tu mort ? »
- « Hier, nous avons abattu le porc, sauf votre respect, le boudin m’a étouffé ».
- « Allons ! Assieds-toi ! »
- « Et vous, bon Saint-Pierre, vous exercez toujours, je vois que vous réparez votre filet ».
- « Il faut bien, la Madeleine est si gourmande ! elle ne veut que de la truite !... Cela irait bien sans ces cavaliers de Georges et de Michel, qui me tiennent rancune, ils sont jaloux, ils me surveillent, ils voudraient me surprendre, un procès verbal me ferait perdre mon emploi ! il ne faut pas, il y a de bons pourboires !... »
- « Dis, Antoine, prends ma place : dissimule-toi et assieds-toi là, je vais donner deux ou trois coups de filet dans le ruisseau et je reviens aussitôt. S’il vient du monde, tu laisseras passer les paysans, les cordonniers et les pêcheurs. Tu éplucheras les papiers des autres ; tu retiendras les curés, les notaires, les juges et les avocats, il faut se méfier de ces gens là ; lorsque je reviendrai, j’étudierai leur cas. Ensuite je t’indiquerai ta place, tu y seras comme une bûche dans un sac de pois ».
- « N’ayez pas peur, bon Saint Pierre, n’ayez aucun souci, j’ai été, autrefois employé d’octroi, je m’en charge ; mais au préalable, indiquez moi où cela se trouve, s’il vous plaît ».
- « Où est-ce ? Que veux-tu que je t’indique ? »
- « Où est-ce ? Tenez, tout ce boudin m’indispose, s’il vous plaît, où est-ce ? »
- « Ah ! ce sont les commodités que tu veux ! Tu vois cette petite fenêtre, eh bien c’est là ».
- « Là ce trou ? et c’est la terre là-bas, et tenez voilà Brioude, voilà les vigeries et voilà mon pré. Ah ! bon saint Pierre, que vois-je ! ce pilleur de Baptiste de la boque, ce poux ! ce gredin ! Dépouiller mon frêne, et voler mon bois ! Ah ! Mandrin, si je n’étais pas mort ! »
- « Simple, dit saint Pierre, ne crie pas comme ça, tu as maintenant le moyen de te venger ; il est juste en dessous du trou, si tu n’est pas maladroit, vise-le, je vais ouvrir la fenêtre et je t’avertirai lorsqu’il faudra tirer. Tiens le voilà qui lève la tête, il croit qu’il pleut ! Feu ! »
- « Pan ! fit Antoine… »
- « Quelle grêlée, cria Saint Pierre, il me semble que l’as atteint avec précision, il est maculé de la tête aux pieds, il court comme s’il avait le feu à sa cheminée »
- « Ah ! Brave saint, je suis soulagé, que je suis content, maintenant, je le sens, je suis en Paradis ! »
Et non, le pauvre, il n’était pas en Paradis, il n’était que dans son lit ! Il s’en rendit bien compte lorsqu’il fut éveillé ! ».
D’après « Les Contes du Brivadois » de Touana Bartan (Antoine Bertrand) - Editions René Borel à Brioude – 1934 – Traduction Albert Massebeuf. Septembre 2016
18 - LES FÉES ET LES CHAUVES-SOURIS

A Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme) sont les grottes des fées, creusées par elles dans l'ancien temps, pour s'y abriter contre le froid, durant l'hiver; on ne savait pas encore bâtir les maisons. Mais les pauvres bonnes fées avaient si froid que la Grande Fade, la maîtresse de toutes les fées, en eut pitié. Elle les transforma en Chauves-souris, d'où on les voit sortir chaque soir durant l'été pour y chercher leur nourriture. Puis, quand les froids se font sentir là-haut, elles se blottissent dans les fentes des cavernes pour avoir chaud pendant l'hiver et ne pas périr.
On dit aussi dans la montagne que ce sont toujours les mêmes chauves-souris et qu'elles ne sont point mortes depuis que la Grande Fade les a métamorphosées .
D’après Francis Pérot - Revue des traditions populaires - Date d'édition : décembre 1911 Septembre 2016
19 - LES CORBEAUX DÉNONCIATEURS

« C’était la veille de la Saint-Michel, par une de ces matinées sombres dans nos montagnes, et qui annoncent que la neige est au ciel :
Per la Saint-Micha, l’eiviar i au chat.
Deux voyageurs d’assez mauvaise mine cheminaient par la route qui conduit de Champetières à Sauxillanges. Arrivés près du carrefour d’un petit bois qui bordait le chemin, ils parurent distraits par le croassement de quelques corbeaux qui étaient perchés sur des arbres voisins :
« Tiens, dit l’un deux à l’autre à voix basse et regardant autour de lui avec précaution, c’est singulier ; il semble que ce sont les mêmes corbeaux qui étaient là quand nous assommâmes ce coquin marchand de fil, à pareil jour et par temps semblable. Fort heureusement que ces vilaines bêtes crient, mais ne parlent pas. »
Un berger qui s’était abrité derrière un rocher qui le cachait à tous les yeux, entendit ces paroles, et se hâta d’en donner avis aux hommes de justice. On courut après les deux étrangers qui, dans un moment de surprise et d’effroi, se coupèrent dans leurs réponses et finirent par avouer leur crime. Il y avait près de vingt ans que ce meurtre, qui avait causé une grande sensation dans le pays, avait été commis, sans qu’on eût pu en découvrir les auteurs, qui furent condamnés à mort et exécutés. »
D’après l’ Abbé Grivel - Littérature orale de l'Auvergne par Paul Sébillot – Date d’édition : 1898 Septembre 2016
20 - LE MEURTRE DE LA DUCHESSE DE MERCOEUR

« Le duc de Mercoeur, alors partisan d'Henri IV, invita celui-ci à venir dans son château qui domine le village d'Ardes-sur-Couze, arrondissement d'Issoire. Pendant que le duc était à combattre ses ennemis, Henri IV séduisit la duchesse, et son mari, en ayant été averti, tua sa femme et la jeta du haut de la muraille qui était très à pic ; puis le duc se fit « ligueur »
1. Il ne reste plus qu'un pan de mur; mais le 29 octobre, jour de fête dans le pays, et qui est l'anniversaire de la mort de la duchesse, le château redevient ce qu'il était, et, à deux heures après minuit, on voit le duc poignarder sa femme et la précipiter du haut de la muraille.
Mais personne n'ose aller s'assurer du fait, car tous ceux qui ont eu la curiosité d'y aller n'en sont jamais revenus. »
1Ligueur : Personnage appartenant au Mouvement catholique de « La Ligue » dont certains membres haïssaient Henri IV.
D’après Edmond Deroure - Revue des traditions populaires – Date d’édition : février 1901 Septembre 2016
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